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changeurs peuvent être responsables s'il y a quelque faute à leur imputer et si cette faute a causé un préjudice au propriétaire du titre. C'est le droit commun (art. 1382 et 1383). Ainsi ils pourraient être déclarés responsables s'ils connaissaient ou devaient connaître l'opposition formée par le propriétaire dépouillé à la vente des titres. Mais c'est là une question de circonstances, dont l'appréciation appartient au tribunal.

Une autre question qui se présente à ce propos, c'est celle de savoir si le propriétaire de titres au porteur perdus ou volés peut exiger de l'Etat ou de la compagnie qui les a ėmis, soit des dividendes, soit le capital que ces titres représentent, tout au moins en fournissant caution pour la restitution de ces sommes le cas échéant. En principe, il faut répondre affirmativement, car le billet perdu n'est pas la créance même, mais la preuve de celle-ci. Mais la difficulté vient de ce que l'Etat ou la compagnie sont obligés de payer au porteur du titre, car celui-ci est possesseur de la créance. Et, d'autre part, il n'existe pas ici, comme en matière de lettres de change, de dispositions légales permettant d'obtenir le paiement d'un effet égaré (1). Cependant, il est bien rigoureux de n'accorder aucune protection au propriétaire du titre au cas où la propriété ou la destruction sont bien établis. Aussi les tribunaux ont cherché à combler cette lacune de la loi en permettant à celui qui a perdu ou à qui ont été volées des actions au porteur dans une société anonyme ou en commandite, de former opposition, entre les mains de la société, au paiement des dividendes afférents à ces actions. Ces dividendes sont alors déposés à la caisse des consignations en vertu de l'ordonnance du juge, et le propriétaire peut les revendiquer après cinq ans, c'est-à-dire lorsque la société est à l'abri des réclamations qu'un tiers de bonne

(1) Il existe en France une loi sur la matière. Un projet a aussi été présenté à la Chambre belge.

foi pourrait diriger contre elle (1). Quant au capital qui deviendrait exigible, on admet que la compagnie doit aussi le verser à la caisse des consignations et que l'ancien possesseur du titre peut le réclamer après trente ans. Toutefois, la jurisprudence est divisée sur cette question (2).

(2) NAMUR, Commentaire de la loi sur les lettres de change (Bruxelles, 1873), no 322. Paris, 13 mai 1865. Trib.de Bruxelles du 26 mars 1873 (Belgique judiciaire, 1874, p. 279).

(2) Parmi les arrêts qui refusent au propriétaire dépossédé une action contre la société en cas de vue de titres au porteur, citons un arrêt de la Cour de Bruxelles, du 29 décembre 1862 (Pasier. b. 1863, II, p. 71), et un autre de la même Cour, du 3 avril 1876 (Pasicr., 1876, II, p. 218). V. aussi sur cette question, Laurent, t. 32, no 605 à 608; et une dissertation de M. Scheyven, dans la Belgique judiciaire (1870, p. 818).

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321. DES COMMERÇANTS.

« Sont commerçants, dit l'article 1er, ceux qui exercent des actes qualifiés commerciaux par la loi et en font leur profession habituelle. »>

Il importe, pour bien des raisons, de distinguer les commerçants des non-commerçants. Ainsi, les engagements des commerçants sont, jusqu'à preuve du contraire, présumés commerciaux, et, par là même, sont de la compétence des tribunaux de commerce; les commerçants sont assujettis à certaines obligations, notamment à celles de tenir les livres déterminés par la loi; seuls, ils peuvent être déclarés en faillite; les juges des tribunaux de commerce sont choisis parmi les commerçants ou anciens commerçants, etc.

C'est donc l'habitude de faire des actes de commerce

(1) Le Code de commerce français a été revisé en Belgique dans ses parties les plus importantes par des lois de diverses dates dont nous allons donner le commentaire succinct. Le numérotage des articles de ces lois sera modifié lors de la codification qui suivra la revision complète.

qui donne à quelqu'un la qualité de commerçant. Il ne suffit pas, pour être commerçant, de se livrer parfois à des spéculations commerciales isolées; il faut que ces actes soient nombreux, se succèdent à de courts intervalles, constituent une profession.

Il ne suffit pas non plus, pour être considéré comme commerçant, d'avoir pris cette qualité dans un acte; de même, ce n'est pas la patente qui constitue le commerçant (1). Par contre, la qualité de commerçant peut être attribuée à toute personne, quelle que soit sa qualité, si elle exerce habituellement des actes de commerce. Ainsi, un notaire, un avoué, et même ceux à qui le commerce est interdit, tels qu'un avocat, un juge (2), qui se livrent habituellement à des opérations qualifiées commerciales par la loi, pourraient être déclarés commerçants, et être mis en faillite s'il y a lieu.

Il ne faut pas, d'ailleurs, confondre la profession habituelle avec la profession principale. Ainsi, ceux qui joindraient l'habitude des faits de commerce à des fonctions qui y sont étrangères, ne pourraient, en justifiant que leur profession principale n'est pas commerciale, se soustraire aux obligations qui incombent aux commerçants.

L'artisan, ou celui qui s'applique pour son compte aux arts manuels, est souvent opposé au commerçant. Mais la ligne exacte de démarcation entre ces deux qualités est parfois difficile à préciser. Il est certain que l'homme de métier qui se borne à façonner la matière première qu'on lui remet, pour l'approprier à l'usage auquel on la destine, ne fait pas acte de commerce: tel est le tailleur qui confectionne des vêtements dont il ne livre pas l'étoffe; le petit meunier, qui convertit en farine le blé qu'on lui confie. La circonstance que l'artisan fournit certains accessoires d'une

(1) Cassation de Belgique, 15 janv. 1842.

(2) Les avocats, les membres de l'ordre judiciaire, les membres de la Cour des comptes, les consuls qui reçoivent un traitement de l'Etat ne peuvent faire le commerce.

valeur minime, ne change rien au caractère de sa profession. De même, il importe peu qu'il exerce son industrie avec le secours de quelques compagnons ou apprentis: le louage d'ouvrage ne devient une opération commerciale que lorsqu'il s'exerce sur une assez vaste échelle pour constituer une entreprise de manufacture (1).

Mais la question devient plus difficile lorsque l'artisan fournit les matières premières sur lesquelles s'exerce son industrie. Il nous semble que, lorsque la main-d'œuvre est pour lui le principal, et lorsqu'il a en vue avant tout la rétribution de son travail, que la matière qu'il fournit n'est, en d'autres termes, que l'occasion d'exercer son art sans qu'il spécule sur l'achat et la revente de cette matière, qu'alors il n'est pas commerçant. Au contraire, s'il cherche à bénéficier sur la matière même, indépendamment du travail de main-d'oeuvre qui s'y ajoute, il fait acte de commerce. Il nous paraît aussi que l'artisan ne devient pas spéculateur par cela seul qu'il préviendrait la commande, et irait offrir le produit de son travail pour le réaliser immédiatement, avant de recommencer une nouvelle tàche. Il n'est commerçant que s'il tient à la disposition du public un certain nombre d'objets confectionnés d'avance et dont il n'attend pas la réalisation pour en fabriquer d'autres (2).

D'excellents auteurs reconnaissent l'artisan devenu commerçant, à ce signe qu'il expose en vente dans des magasins. ou boutiques, des objets de son industrie (3). Par contre, il y a des jurisconsultes qui considèrent comme commerçant tout artisan qui fournit la matière première sur laquelle il travaille (4). Il nous semble que, pour qu'il y ait acte de

(1) DALLOZ, répertoire, voir acte de commerce, ños 116 et 117. (2) ALAUZET, Ouv. cité, t. VI, no 2991.

(3) PARDESSUS, Cours de droit commercial, 6` édit. Paris 1856-1857, t. I, no 81. NAMUR, OUV. cité, nos 33 et 48. DALLOZ. Répertoire,

vo acte de commerce, nos 112 et 113.

(4) BÉDARRIDE, Code de commerce, t. I, no 37 et suiv.-CARRÉ, Tr. de

la compétence, t. II, p. 542.

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