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de réunir toutes les attributions du Tribunat, la commission du Corps législatif n'avait pas même le droit d'opposer son projet à celui du Conseil d'état; tout ce qu'elle pouvait faire était de présenter au Conseil d'état ses observations dans les conférences particulières qui étaient tenues à cet effet: « Il fallait, disait l'empereur, que l'on << se mît d'accord sans bruit et sans éclat. » Mais par suite de sa prédilection pour son Conseil d'état et de ses préventions contre tout corps nommé par la nation, cet accord prétendu n'était qu'apparent, et c'était toujours par le fait le Conseil d'état qui décidait; le rôle de la commission du Corps législatif se réduisait ainsi à une conférence officielle avec les conseillers d'état, puis à émettre devant l'assemblée un avis toujours approbatif; personne ne lui attribuait d'autre fonction; elle même n'y prétendait pas ; et loin d'attacher au rapport fait en son nom l'importance qu'elle aurait dû y mettre, s'il eût pu servir à interpréter la loi, elle laissait toute latitude à l'orateur qui en était chargé : celui-ci en faisait même souvent un morceau d'apparat, et si le passage du discours de M. de Monseignat relatif au duel n'était pas trop long pour être cité en entier, on verrait par ses paroles mêmes qu'il s'occupait bien plus de briller par des dé

veloppements philosophiques que d'éclairer les juges sur le sens de la loi.

Que si, au lieu de citer le discours du rapporteur de la commission, M. Dupin s'appuyait sur le rapport de l'orateur du Conseil d'état en présentant le projet, je le concevrais : ce rapport était en effet le résumé des intentions du Conseil d'état, la pensée des rédacteurs de la loi : aussi était-il appelé exposé des motifs, aussi était-il connu long-temps d'avance, imprimé, distribué; tandis que celui du rapporteur de la commission n'était communiqué d'avance à personne, pas même aux orateurs du Conseil d'état, et sitôt qu'il était prononcé, le vote de la loi suivait immédiatement.

Peut-être même est-on en droit de faire quelques reproches à M. de Montseignat d'avoir soulevé une question aussi importante que celle du duel au moment où l'on ne pouvait pas lui répondre, et surtout d'avoir laissé croire à l'adhésion du Conseil d'état, sans s'être assuré à l'avance de cette adhésion: il s'exposait par-là à jeter du doute sur le sens de la loi, non pas pour les contemporains, mais pour ceux que l'éloignement des temps rendrait incertains du rôle dont il était chargé.

Ce qu'il devait faire, si telle était en effet

l'opinion du Conseil d'état, et s'il voulait constater cette opinion, c'était de provoquer de sa part une explication dans la conférence qui fut tenue; mais les procès-verbaux font foi qu'il ny fut pas dit un seul mot du duel, et, faute d'avoir suivi cette marche, la seule qui pût donner quelque poids à ses paroles, l'explication de M. de Monseignat reste une opinion isolée et tout-à-fait dénuée d'autorité.

Il reste donc maintenant à chercher, indépendamment de cette opinion, les conséquences que l'on doit tirer du silence absolu gardé sur le duel, soit dans les comités intérieurs du Conseil d'état, soit dans les conférences avec la commission du Corps législatif. Pour une question si importante, ce silence ne peut s'expliquer par un oubli : que faut-il donc en conclure?

Or ce serait, à mon sens, méconnaître étrangement la pensée du Conseil d'état, ou pour mieux dire celle de l'empereur, sous les inspirations duquel se rédigeaient toutes les lois, que de croire qu'il ait voulu établir des peines contre le duel. Ce génie prodigieux, qui connaissait assez l'esprit de la nation pour lui inspirer cet enthousiasme fanatique dont le récit nous étonne chaque jour, et qui devait son ascendant à l'art de ménager les idées et le caractère français, aurait craint de heurter ce caractère en abo

lissant le duel; lui dont tous les efforts tendaient à exalter les courages, à réveiller les idées d'honneur et de gloire, ne pouvait s'exposer à affaiblir ces mêmes idées; il ne pouvait songer à abolir le duel dans ses nombreuses armées, parmi cette foule de jeunes et brillants officiers dont le bouillant courage débordait de toute part; il ne pouvait l'abolir au moment où il venait de rétablir la noblesse, lorsqu'il s'efforçait de reproduire dans sa cour plébéienne l'esprit, les manières et tout l'appareil de l'ancienne cour. Il ne pouvait surtout songer à instituer contre le duel des peines infamantes,

telles que

que l'on veut aujourd'hui les faire ressortir de la législation.

Mais, dira-t-on, si l'empereur voulait conserver le duel, il devait alors déclarer sa volonté à cet égard. Non pas, tout lui faisait au contraire un devoir d'éviter cette déclaration : les reproches d'injustice et d'immoralité que l'on avait faits au duel, ses inconvénients réels et ses dangers, les excès qui l'avaient signalé, concouraient à lui faire désirer de ne pas se prononcer; il devait s'estimer heureux que la législation exis

· Aujourd'hui encore', dans les régiments, les colonels s'occupent des duels entre les officiers, et pour les soldats mêmes il y a un officier chargé d'examiner les causes de la querelle et de délivrer les épées.

tante et les mœurs lui permissent de s'abstenir. Le duel, il faut en convenir, est une anomalie dans l'ordre social; il ne peut se justifier que par des considérations étrangères aux maximes ordinaires de la justice civile; il semble même reconnaître la vengeance personnelle et le droit du plus fort; et le législateur, en proclamant cette anomalie, en adoptant hautement le duel, devait craindre d'affaiblir l'autorité des grands principes qu'il avait posés.

Mais si l'on se plaint que je ne donne ici que des conjectures, s'il reste encore quelque obscurité dans les esprits, voici l'application de la loi qui vient lever tous les doutes. Depuis le Code pénal, la tolérance a continué telle qu'elle existait avant lui; la loi a été constamment appliquée dans ce sens pendant trente ans ; elle l'a été par les mêmes hommes qui, soit dans le Conseil d'état, soit dans le Corps législatif, avaient concouru à sa rédaction, en présence de ce même discours de M. de Montseignat, dont ils ne tenaient aucun compte, qu'ils écartaient sans se donner même la peine de le discuter'; elle l'a été sous les yeux du souverain qui l'avait inspirée et

I

M. Mourre, avocat général, dans son réquisitoire sur l'arrêt de cassation du 8 avril 1818, déclare simplement que l'opinion d'un rapporteur de la commission du corps législatif ne peut avoir aucune autorité.

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