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assez elle-même, le législateur de ne pas se confier assez en sa sagesse et en ses lumieres.-Oui, j'entre dans sa véritable pensée et dans son intention, et je veux plus fortement que lui-même que cette intention ait tout son effet, et cette pensée tout son résultat.

La loi propose, et je veux qu'elle ordonne; elle conseille, et je veux qu'elle prescrive. Elle doute, elle hésite, en offrant ses bienfaits, et je veux qu'elle décide, qu'elle force de les accepter; je me plains qu'elle ne conserve pas assez la majesté de son caractere, l'autorité de son langage.

La loi doit commander avec empire; il est indigne d'elle de se borner à insinuer et à persuader. C'est un axiome connu de tous les jurisconsultes : Jubeat lex, non suadeat.

C'est dans ce sens que je vote le rejet du projet de loi.

ART.

N 68.

OPINION prononcée au tribunat par le tribun ALBISSON, sur la loi relative aux contrats de mariage, et aux droits respectifs des époux: (Tome I, p. 259.)

TRIBUNS,

Séance du 19 pluviose an x11.

Le projet de loi dont l'ordre du jour amene la discussion, fait quelques changements assez importants, dans les conventions matrimoniales usitées dans cette grande partie de la France dont les lois romaines formaient le droit commun, pour avoir donné

ART.

1393

l'éveil aux jurisconsultes nés sous le régime de ces lois, habitués à leur empire, et pénétrés de leur excellence.

Instruit comme eux à leur école, admirateur comme eux de leur profonde sagesse, j'ai dû partager l'espece de sollicitude que cet éveil a excitée : mais, chargé par la constitution de coopérer à la formation d'une loi générale, commune à toutes les parties de la République, j'ai dû, lorsque le projet en a été présenté, commencer par me dépouiller de toute prévention personnelle, de tout préjugé d'habitude et de localité, capable d'influer sur l'émission de mon vœu individuel, pour n'écouter que la voix de la raison publique, et me rendre à l'évidence d'un intérêt général.

C'est avec la confiance que cette disposition doit m'inspirer, et fort d'ailleurs du surcroît de lumieres que j'ai acquis parmi vous, mes chers collegues, que je viens m'expliquer librement avec vous sur cette partie du projet de loi qui doit intéresser les pays appelés jusqu'ici de droit écrit, par les changements qu'elle opere dans leur ancienne législation.

Ce n'est pas sans quelque regret que je me vois ici en opposition avec un collegue estimable, dont les talents ont plus d'une fois honoré cette tribune : mais, ce qui l'adoucit beaucoup, c'est de penser que, s'il attaque certaines dispositions du projet, ce n'est que parce qu'il les juge capables d'empirer cette législation admise depuis des siecles dans la partie de la France qui nous a vu naître l'un et l'autre, et que je ne les défends, moi, que comme nécessaires pour la compléter, et propres à l'améliorer; que c'est pour lors le même esprit qui nous anime tous les deux; que; par conséquent, c'est nous accorder que de nous combattre.

J'entre en matiere par l'article 1393, qui porte qu'à défaut de stipulations spéciales qui dérogent au

régime de la communauté ou le modifient, la communauté légale, telle qu'elle est réglée dans la premiere partie du chapitre II, formera le droit commun de la France: disposition rendue, s'il se peut, encore plus précise par l'article 1400, qui déclare que cette communauté légale s'établit d'elle-même et par la seule force de la loi, à défaut de contrat.

Il est certain que ces deux dispositions introduisent un droit absolument nouveau dans les départements anciens nouvellement réunis, qui, en matiere de conventions matrimoniales, ne connaissaient d'autre droit commun que les lois romaines, puisque celles-ci n'admettaient la communauté des biens entre époux, qu'autant qu'elle était expressément convenue

entre eux.

Mais cette innovation les blessé-t-elle en quelque chose? leur enleve-t-elle dans le fond quelqu'un de leurs anciens usages, de leurs anciennes habitudes, de leurs anciens moyens de contracter? Choque-t-elle en quelque point les principes et les convenances de la société conjugale ? Y rendra-t-elle les mariages moins fréquents ou plus dispendieux ?

Voyons ce qu'il en faut penser.

Et d'abord, le projet consacre la plus grande liberté dans les conventions matrimoniales; il n'y met d'autres bornes que le respect dû aux bonnes mœurs à l'ordre public, et aux dispositions régulatrices, injonctives ou prohibitives du Code civil.

ART.

Il déclare formellement que la loi ne régit l'asso- 1390 ciation conjugale, quant aux biens, qu'à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos.

Il ne leur permet pas, à la vérité, de stipuler dé- 1387 sormais d'une maniere générale que leur association sera réglée par l'une des coutumes, lois ou statuis locaux qui régissaient ci-devant les diverses parties du territoire français, et qu'il abroge.

ᎪᎡᎢ.

C'eût été les rejeter dans le dédale d'où il s'agit de les retirer, et élargir le gouffre que le Code civil doit fermer.

Mais, trouvant la France partagée entre deux systêmes différents, également recommandables par l'ancienneté de leur regne et la ténacité des habitudes qu'ils avaient formées, il les conserve l'un et l'autre, les régularise, les simplifie, les rectifie l'un et l'autre, et annonce aux intéressés des deux parts qu'ils peuvent cependant déclarer d'une maniere générale qu'ils entendent se marier, ou sous le régime de la communauté, ou sous le régime dotal.

Jusque là, rien que de parfaitement égal entre les deux systêmes, et de parfaitement libre dans leur option.

Mais, si nulle déclaration des futurs époux n'a précédé le mariage, si nulle convention ne les engage quant à l'administration, à l'usage, à la disposition de leurs biens respectifs, la loi doit réparer cette insouciance. Il importe à la société que les mariages soient heureux, et les ménages bien concordants (pour parler le langage de la loi). Il lui importe donc que celle-ci regle la mise de chacun des époux dans une masse commune destinée au soutien de la nouvelle famille; qu'elle mette cette masse sous la direction de celui des deux qu'elle doit juger le plus propre à l'administrer, la conserver et la faire prospérer; et qu'elle lui en confie le droit exclusif, pour bannir du ménage, autant qu'il dépend d'elle, tout sujet d'altercation et de division.

Il était donc nécessaire d'établir, pour ce cas particulier, un droit commun qui suppléât à l'imprévoyant abandon des époux, et pour cela, il fallait opter entre les deux systêmes de la communauté ou du régime dotal.

Le projet se décide pour le premier: mais remarquons bien que, quelque parti qu'il eût pris, les par

tisans de l'un ou de l'autre ne pouvaient faire, de cette option, un sujet bien raisonnable de réclamation, attendu la liberté laissée à tous de rendre inutile cette option de la loi en la faisant eux-mêmes; que, par conséquent, la loi n'enleve pas plus aux habitants des pays de droit écrit, qu'elle n'eût enlevé à ceux de la France coutumiere, en adoptant le systême du régime dotal, aucun de leurs anciens usages, de leurs anciennes habitudes, de leurs anciennes manieres de contracter; que, par conséquent, son option quelconque n'eût blessé en rien ni les uns ni les autres.

Mais cette préférence donnée au systême de la communauté, pourquoi ne pas la donner à celui du régime dotal? et enfin, où était la nécessité de préférer l'un ou l'autre ?

Je ne me permettrai ici ni l'éloge, ni la censure de l'un ou de l'autre de ces deux systêmes. L'un et l'autre me conduiraient trop loin; l'un et l'autre pourraient fournir la matiere de plusieurs volumes. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais seulement d'examiner la raison de la préférence donnée au systême de la communauté, d'après l'état actuel de chacun des deux systêmes.

J'observe donc d'abord, que, dans le régime dotal, rien n'établissait ce qu'on peut appeler un droit commun, pour le cas où nulle convention relative aux biens n'avait accompagné le mariage, parce que nulle loi positive ne réglait, dans ce cas, le mode ni la quotité de la participation respective à ces biens, ni le soin de leur administration commune.

Dira-t-on que ce droit commun résultait de la distinction que les lois faisaient entre les biens dotaux et les biens paraphernaux ? des droits qu'elles donnaient au mari sur les premiers, et de la défense qu'elles lui faisaient de s'immiscer dans l'admnistration ou la disposition des derniers, sans l'aveu et le consentement de la femme ?

ART.

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