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si elle ne permet pas qu'un intrus se place dans une famille à laquelle il est étranger.

M. BOULAY croit qu'un mari et une femme ne s'accorderont jamais à supprimer l'état de leur enfant.

S'ils se le permettaient, ce serait parce que le mari aurait la conviction qu'il n'est pas le véritable père : d'où il conclut qu'en fait général, tous les enfans dont la naissance a été cachée et l'état déguisé sont des enfans adultérins qu'on voudrait rendre héritiers d'un père qui n'est pas le leur; et comme leur réclamation n'est rien moins que favorable, il trouve fort bon qu'on fasse fléchir à leur égard la règle pater is est, et qu'on soit admis à leur opposer tous les genres de preuves qui peuvent faire voir qu'ils ne sont pas les enfans du mari de leur mère, ni par conséquent les enfans du mariage; qu'ainsi ils ne doivent point être admis dans la famille.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que la suppression d'état consentie par les deux époux serait une circonstance favorable.

à l'enfant.

M. REGNIER observe que Cochin l'a regardée comme impossible ce jurisconsulte pense qu'il y aurait toujours de l'opposition de la part de l'un des époux. La suppression d'état aura moins lieu encore, maintenant que les familles ne sont plus dirigées par l'orgueil de la naissance et par l'intérêt de favoriser les mâles et les aînés.

M. ROEDERER dit qu'il serait scandaleux que les enfans fussent admis à porter contre leur mère une accusation d'adultère, pour établir que la personne qui se prétend leur frère n'est pas le fils de leur père.

Il conteste que l'accouchement d'une femme et l'éducation de son enfant à l'insu de son mari ou loin de ses yeux soient une preuve, ou même un commencement de preuve que ce mari n'est pas le père de l'enfant. Un mari violent qui connaîtra ou soupçonnera un commerce clandestin entre sa femme et un amant pourra la menacer des plus redoutables

traitemens, si elle devient grosse dans le temps sur lequel porte ses soupçons. Cependant elle est grosse au moment même de ces menaces: son mari s'absente pour service public, ou pour affaires particulières. Elle, intimidée, cache son accouchement, le dérobe à la connaissance de son mari, quoique l'enfant puisse être de lui comme de l'amant, ou de lui seul, la jalousie seule ayant vu un amant dans l'homme qui n'était qu'un ami. M. Ræderer va plus loin : il dit qu'il est possible qu'un enfant très-légitime, mais dont la légitimité n'est pas certaine aux yeux du mari, à plus forte raison qu'un enfant né d'un commerce adultérin, ait été mis au jour et élevé loin des yeux du mari, en vertu d'une convention faite entre les deux époux. Un mari qui se croit trompé, celui qui sait l'être, peuvent dire à leur femme: «< L'enfant <«< dont tu es enceinte n'est pas de moi; il faut que tu te gardes de laisser jamais paraître à mes yeux ce fruit de tes « désordres. >> On dit que cela est impossible, et l'on cite Cochin. L'orateur répond que cela est très-possible, et il cite d'Aguesseau, qui lui-même cite ce mot d'Ovide, omnia tuta timens, pour prouver qu'une femme intimidée est capable de toutes sortes de réticences; et qui dit ailleurs, dans son vingt-troisième plaidoyer, qu'un père peut très-bien désavouer son propre fils, et vouloir venger sur le fils l'affront qu'il a reçu de la mère.

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M. PORTALIS demande qu'on se borne à dire, à l'article 3, sans commencement de preuve, parce que l'expression preuve par écrit s'applique aux preuves qui ont été acquises contradictoirement entre les deux contendans.

LE PREMIER CONSUL fait relire l'article 4 du chapitre Ier il propose d'y ajouter l'exception résultant de la grossesse cachée.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS propose de rédiger ainsi l'amendement: Lorsque le mari, par le fait de sa femme, n'aura « pas eu connaissance de l'accouchement. »

LE CONSEIL adopte cette exception, et celle de l'impossibilité physique de cohabitation.

La discussion de l'exception résultant de la séparation est

ouverte.

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit qu'il est difficile d'adopter cette exception, parce que la séparation de corps n'établit pas entre les époux l'impossibilité de cohabitation. Il n'est pas ordinaire qu'ils se fréquentent; cependant cet événement est possible. Mais si l'exception est admise, il conviendra, pour ne pas se contredire, de supprimer le mot physique dans la disposition qui établit l'exception de l'impossibilité de cohabitation.

LE PREMIER CONSUL dit qu'en effet les rapprochemens que ménageront entre les époux ceux qui tenteraient de les réconcilier peuvent leur donner lieu d'avoir commerce ensemble, sans être cependant suivis d'une réconciliation définitive.

M. BOULAY dit que la circonstance de la séparation est une forte présomption contre la paternité; qu'elle ne doit céder qu'à l'évidence des preuves. Il serait dur, en effet, que la femme pût donner librement des enfans étrangers au mari.

LE PREMIER CONSUL dit que cette réflexion prouve qu'il est nécessaire, avant de prononcer, de traiter la matière de la séparation. Comment se fixer, lorsqu'on ignore si l'enfant de la femme séparée de corps portera le nom du mari, si, en certains cas, la séparation ne sera pas suivie de la clôture?

M. TRONCHET croit l'ajournement d'autant plus nécessaire, qu'après la matière du divorce on arrivera à un chapitre de fins de non-recevoir, qui résout la plupart de ces questions. L'ajournement est proposé.

L'article 3 du chapitre II est mis en délibération comme base. LE CONSEIL l'adopte en principe avec les amendemens du Consul Cambacérés et de M. Portalis.

Le Conseil adopte également en principe que les héritiers

du mari seront admis à la preuve qu'il n'est pas le père de l'enfant, quoique celui-ci ait justifié qu'il est né de la femme pendant le mariage.

(Procès-verbal de la séance du 24 brumaire an X. — 15 novembre 1801.)

Le chapitre III, intitulé des Enfans nés hors mariage, est soumis à la discussion.

La section première, sur la légitimation de ces enfans, est d'abord discutée.

L'article 1er est adopté ainsi qu'il suit :

« Les enfans nés hors mariage, d'un père et d'une mère << libres, pourront être légitimés. »>

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L'article 2 est discuté; il est ainsi conçu :

<< Ils seront légitimés par le mariage subséquent de leurs père et mère, lorsque ceux-ci les auront légalement re«< connus avant leur mariage, ou qu'ils les reconnaîtront dans « l'acte même de célébration. »

LE MINISTRE DE LA JUSTICE fait observer que cet article semble refuser à la reconnaissance faite postérieurement au mariage l'effet de légitimer les enfans nés avant que le père et la mère fussent mariés. Il est cependant possible que la pudeur que l'intérêt, de ne pas aliéner des parens austères, aient empêché les époux de reconnaître leurs enfans, soit avant, soit lors de la célébration de leur mariage; et alors il n'est plus en leur pouvoir de rendre l'état civil aux fruits prématurés de leur union. Cependant, la légitimation est l'effet nécessaire du mariage; la déclaration des père et mère, et toutes les formalités, ne servent qu'à déterminer l'application de ce principe.

M. REGNIER dit que le système du Ministre faciliterait la fraude des époux qui, pour s'assurer une succession, ou par d'autres motifs, s'accorderaient à reconnaître un enfant qui leur est étranger.

LE MINISTRE répond que, comme ce serait là une fraude,

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Ib.

les tiers intéressés seraient admis à contester la reconnaissance.

M. DEFERMON ajoute que d'ailleurs ce genre de fraude serait difficile, puisque deux époux ne pourraient le tenter qu'autant qu'ils trouveraient un enfant qui n'appartiendrait à personne.

M. TRONCHET dit que l'objection du Ministre vient de ce qu'il confond les effets que le mariage subséquent avait sous l'ancienne jurisprudence, et ceux qu'il a aujourd'hui. Autrefois le mariage subséquent légitimait de plein droit les enfans, sans qu'il fût besoin d'une reconnaissance antérieure ou faite lors de la célébration, parce que la filiation pouvait ètre prouvée, même à l'égard du père; mais la recherche de la paternité étant abrogée, la filiation ne peut plus être prouvée que par la reconnaissance du père : or, l'article s'applique à l'enfant qui n'a pas été reconnu. Cette reconnaissance ne peut être constatée que par un titre. L'article veut qué, quand il n'en existe pas avant le mariage, il soit rédigé au moment de sa célébration.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE fait observer que ce n'est pas sous ce rapport qu'il attaque l'article; que jusqu'ici le mariage subséquent a emporté avec lui la légitimation; que cet effet du mariage est encore conservé par le projet dont il s'agit; qu'il est bien évident que cet effet suppose une reconnaissance des conjoints; que la seule question est de savoir si cette reconnaissance ne doit pas avoir la même force après la célébration qu'auparavant ou au moment même, et qu'on ne voit de raisons suffisantes pas pour lui refuser cet effet. M. TRONCHET dit que l'enfant ne doit pas obtenir la légitimation, si son état n'a été fixé avant le mariage; autrement, on faciliterait l'introduction des enfans étrangers, ou du moins d'un seul des époux, qui, par des menaces, pourrait obtenir l'aveu de l'autre. La fausse pudeur qui empêcherait de reconnaître ses enfans naturels au moment où l'on en épouse la mère ne doit être d'aucune considération pour le législateur.

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