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HARVARD COLLEGE LIBRARY

F. C. LOWELL FUND

Aug. 14,1924

DE LA

SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE & HISTORIQUE DU LIMOUSIN

TOME LVI

UN TERRORISTE AU XVIIE SIÈCLE

L'intendant Etienne FOULLE

Les premiers intendants de la Généralité de Limoges n'ont pas laissé dans l'esprit de nos populations le souvenir d'une administration bienfaisante. La plupart sont représentés par les annalistes contemporains comme des oppresseurs devant lesquels ni les grands ni le peuple ne trouvaient grâce (1).

Qu'ils aient eu la main rude, il ne faut pas en être surpris. Chargés, à l'origine, de missions temporaires, ils étaient envoyés en Limousin pour surveiller la levée des emprunts royaux, étouffer les révoltes, réduire les places inféodées à la Ligue, redresser les abus et exécuter les arrêts du Parlement. En pareilles occurences la décision et l'énergie s'imposaient. Ils représentaient l'autorité souveraine devant laquelle aucune résistance n'était tolérable. Le cas échéant, ils n'hésitaient pas à faire appel à la force. Les actes de rigueur, même lorsqu'ils sont nécessaires, jettent une certaine défaveur sur ceux qui sont obligés d'y avoir recours. Il est juste de reconnaître que les intendants ont pâti, le plus souvent, de la nature des commissions qu'ils avaient à remplir.

(1) Quelques-uns échappèrent à la réprobation populaire. L'un d'eux, Nicolas de Corberon (1643-1647), se signala par sa modération; un marbre avec << armes et dictons » fut placé en son honneur devant le palais. Cf. La. Généralité de Limoges, esquisse historique, par MM. Alfred Leroux et Fray-Fournier, en tête de l'Inventaire sommaire des Archives départementales de la Haute-Vienne, série C, p. LXVII; Annales de Limoges, par les sieurs Goudin, publiées dans le Bulletin de la Société archéologique et historique du Limousin, t. XXXVIII, p. 182.

T. LVI

1

Il en est, cependant, qui se signalèrent par d'inexcusables méfaits tel Le Camus de Jambeville que d'Aubigné traite de << magistrat docte en jurisprudence moderne », parce qu'il excellait à accommoder la loi à sa façon; tel encore Fremin des Couronnes qui, d'après le chanoine Bandel, « fist des volleries, exactions, faussetés et autres meschancetés tant à Limoges, villes et plat pays où s'estendoit sa commission, si grandes que tous en souffroient (1) ».

Le pauvre pays de Limousin allait avoir encore plus à souffrir de l'administration d'un de leurs successeurs, l'intendant Etienne Foullé.

Celui-ci était d'une famille de robe (2) qui paraît originaire de la Bretagne. En 1576, un Jean Foullé, seigneur de Vaucelles (3), était président au parlement de cette province (4). Le grand-père d'Etienne, Léonard Foullé, seigneur de Prunevaux (5) en Nivernais, avait rempli les fonctions de greffier en chef des présentations au parlement de Paris (6). Son père, Jacques Foullé, était conseiller au même parlement et maître des requêtes. Il mourut en 1631.

De son mariage avec Marie Charon, Jacques avait eu sept enfants. Etienne, l'aîné, est qualifié de marquis de Prunevaux et de Martangis (7). A la mort de son grand-père, en 1624, Etienne prit la charge devenue vacante de greffier des présentations, et fut nommé conseiller au parlement de Paris, le 14 mai 1632, quelques mois après le décès de son père. Nous le trouvons bientôt premier président de la Cour des Aides de Guyenne et maître des requêtes (8). Sa carrière avait été rapide et brillante.

(1) M. Alfred LEROUX, La Généralité de Limoges, esquisse historique, pp. LXIV et LXVI. -- Cf. : Annales de Limoges, par les sieurs Goudin, Bull. Soc. archéol, du Limousin, t. XXXVIII, p. 178; et Annales manuscrites de Limoges dites Manuscrit de 1638, p. 409 et 410.

(2) Les armes des Foullé sont: d'argent à une fasce de gueules et trois pals d'azur brochant sur le tout, accompagnés de six mouchetures d'hermines de sable, quatre en chef et deux en pointe.

(3) Chef-lieu de commune du département du Calvados.

(4) Bibliothèque nationale, séries généalogiques, pièces originales, 1215.

(5) Commune de Nolay (Nièvre).

(6) Le prix de son office fut remboursé à son petit-fils, suivant arrêt du 3 avril 1635, moyennant 13,160 livres. (Arch. nationales, Xia 8652, fos 420-421).

(7) Commune de Nolay (Nièvre).

(8) Premier président à la cour des Aides, le 17 mai 1633; maître des requêtes le 1er août 1636. Il semble avoir cumulé ces deux fonctions.

Son premier mariage avec Marie Parfait et son convol avec Madeleine de L'Epinay l'avaient rapproché de la cour. Edme Parfait, un de ses plus proches alliés, était contrôleur général de la maison du roi; et le père de sa seconde femme, Pierre de L'Epinay, conseiller du roi, avait été trésorier des menus plaisirs et des affaires de la chambre. Il avait pour beaux-frères Michel de Chaumejan, maréchal de camp, et Jean Larcher, maître d'hôtel du roi. Anne Le Veneur, gouvernante de Mademoiselle, était sa cousine. On pourrait encore citer les Fiesque et les Pomponne de Bellièvre parmi ses parents ou ses alliés (1).

Dans le monde des courtisans, Etienne Foullé était bien entouré et faisait lui-même bonne figure. Il était jeune (2) et avait une jolie fortune (3). Le milieu familial dans lequel il s'était élevé paraissait propice à la formation d'un caractère doux et pondéré. Ses fonctions le mettaient en contact avec des magistrats; magistrat luimême, il devait être naturellement enclin à la modération, ennemi de la rudesse et de la violence. Il n'avait rencontré dans sa vie aucun de ces obstacles qui irritent les esprits ambitieux; on peut dire que la faveur n'avait cessé de lui sourire.

Lorsqu'il fut envoyé à Limoges, en 1649, on commençait à oublier les « mauvais et voleurs d'intendants (4) ». Nicolas de Corberon et Jacques de Chaulnes, ses deux prédécesseurs, auraient été des «gens de bien » (5). La charge d'intendant de justice, police et finances du Limousin venait d'être supprimée par un édit du 13 juillet 1648, et le roi avait fait remise au peuple des tailles et taillons restés dus sur les années passées (6). Les habitants croyaient en avoir fini pour toujours avec les oppresseurs. C'est dans ces cir

(1) Bibl. nat. Cabinet d'Hozier, 147.

(2) Il n'est mort qu'en 1673.

(3) Par une déclaration du 13 juillet 1648, le roi avait supprimé plusieurs charges d'intendant, n'en conservant que six. Mais à la date du 18 juin de l'année suivante, le besoin d'argent le décida à créer deux charges nouvelles d'intendant. Etienne Foullé fut investi de l'une d'elles à la condition de payer au trésorier général de l'extraordinaire des guerres une somme de 240,000 livres. (Arch. nat. O1 9, fo 331).

On trouvera encore des renseignements sur la fortune de Foullé dans l'analyse de son contrat de mariage avec Madeleine de L'Epinay. (Bibl. nat. Cabinet d'Hozier, 147).

(4) Dernière Chronique de Pierre Robert, dans Chartes, Chroniques et Mémoriaux, publiés par M. Alfred Leroux, p. 301.

(5) Ibid.

(6) Délibérations du Bureau des Finances de Limoges, extraits publiés par M. P. Granet dans les Archives historiques du Limousin, t. IV, p. 83.

constances que se répandit à Limoges la nouvelle de la prochaine venue d'Etienne Foullé.

Un sentiment de surprise et d'inquiétude dût tout d'abord l'accueillir. Mais on savait que, depuis la déclaration royale du 13 juillet, des abus avaient été commis par les collecteurs et les receveurs des tailles (1), et le peuple pouvait croire que le nouveau commissaire avait pour mission exclusive de leur demander des comptes. On ne tarda pas, au surplus, à connaitre les raisons qui avaient déterminé son envoi en Limousin.

Le roi, qui avait réuni une importante armée dans les Flandres, ne pouvant la faire vivre pendant la saison d'hiver sur des territoires depuis trop longtemps ravagés par la guerre, en logea une partie dans les villes du centre. La Généralité de Limoges reçut vingt-deux compagnies d'infanterie et vingt-huit de cavalerie. C'était une lourde charge pour la province qui devait pourvoir à leur entretien jusqu'à concurrence de 138.500 livres. Les impositions extraordinaires auxquelles il avait fallu recourir ne rentraient pas. Invité à contraindre les retardataires, le Bureau des Finances de Limoges prenait les mesures habituelles, faisait dresser des procès-verbaux, mais hésitait à employer les moyens de rigueur. Les troupes, mal payées, commettaient des déprédations; leur discipline se relâchait. La population souffrait autant que l'armée de cet état de chose (2).

Pour y porter remède, le gouvernement eut l'idée de revenir à la vieille institution des missi dominici, à ces représentants de l'autorité souveraine qui faisaient leurs chevauchées » à travers les provinces, investis de pouvoirs absolus, réprimant les abus, ramenant le bon ordre et assurant la rentrée des deniers royaux. Ces fonctions temporaires avaient été confiées aux maîtres des requêtes avant la création des intendants (3). Maintenant que les intendants sédentaires étaient supprimés dans un certain nombre de provinces, c'est encore aux maîtres des requêtes que l'on allait faire appel.

Le Tellier, secrétaire d'Etat, qui avait le Limousin dans son

P. 83.

(1) Archives historiques du Limousin, t. IV, (2) Délibérations du Bureau des Finances. Arch. hist. du Limousin, t. IV, pp. 89 et ss.

(3) Depuis l'institution des intendants, quelques maitres des requêtes avaient été envoyés exceptionnellement dans les provinces, en qualité de commissaires extraordinaires. (Voir Les Chevauchées d'un maître des requêtes en Provence. Notes complémentaires, par M. de Boislisle, dans la Revue des Sociétés savantes, 7o série, t. III, 1881, p. 173.)

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