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devra commencer à courir que du jour où les branches seront assez avancées sur le fonds du voisin pour y causer du dommage; mais quel sera ce jour, et n'y at-il pas là un arbitraire manifeste?

Ajoutez, d'ailleurs, qu'en admettant que la prescription pût être alors invoquée, elle ne protégerait évidemment que les parties des branches qui avanceraient, depuis plus de trente ans, sur l'héritage du voisin; et comme l'accroissement de ces branches se fait d'année en année, ou plutôt même de mois en mois, de jour en jour, il faudrait compter autant de petites prescriptions particulières qu'il y aurait de degrés successifs dans la pousse et dans le développement des branches; de telle sorte que la prescription ne serait acquise que pour la partie des branches qui couvriraient le terrain depuis plus de trente ans, et que tout le reste devrait encore être coupé.

2° Sous un autre rapport, la prescription ne saurait être admise, parce que l'on est alors autorisé à dire que ce n'est que par simple tolérance que le voisin n'a pas demandé d'abord l'élagage des branches, qui s'avançaient sur son fonds; ces branches pouvaient ne lui causer aucun dommage; elles lui étaient même agréables peutêtre; peut-être aussi en recueillait-il les fruits; dans tous les cas, il a pu et dû croire que le maître des arbres les émonderait, suivant l'usage, à des époques périodiques en général très-rapprochées; or, toutes ces circonstances ne permettent pas de voir, dans le silence du voisin, un consentement définitif à ce que les branches demeurent à toujours dans l'état où sa tolérance les a laissées venir. Bien différent est le cas où un arbre est planté par un propriétaire à une distance prohibée; car alors le voisin est immédiatement mis en demeure de réclamer contre cette plantation, qui, dès ce jour même, constitue un attentat permanent et définitif contre son droit.

3o Enfin, on peut remarquer que la croissance naturelle des branches et leur avancement sur le fonds du

voisin, sont indépendants du fait même du propriétaire auquel les arbres appartiennent, et qu'ils ne supposent pas plus de sa part l'intention d'acquérir cette servitude sur le fonds du voisin, que de la part de ce voisin le consentement tacite de s'y soumettre (comp. Paris, 16 févr. 1824, Paris, Sirey, 1825, II, 25; Cass., 16 juillet 1835, Drouot, D., 1835, I, 395; Bourges, 4 juin 1845, N..., Dev..., 1845, II, 479; Limoges, 2 avril 1846, Fargeaud, Dev., 1846, II, 372; Bastia, 3 mars 1856, Novella, J. du P., t. II de 1856, p. 203; Douai, 3 juillet 1856, Braemt, J. du P., t. I de 1858, p. 84; Paris, 15 juin 1865, Creuse, Dev., 1865, II, 199; Pardessus, t. I, no196; Vazeille, des Prescript., t. I, no 119; Marcadé, sur l'article 672; Demante, t. II, no 527 bis, II; Ducaurroy, Bonnier et Roustaing, t. II, no 309; Sebire et Carteret, Encycl. du Droit, vo Arbres, no 13; Proudhon, des Droits d'usage, t. II, no 572, et du Dom. privé, t. II, no 582).

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510. Mais des motifs même qui précèdent, il résulte que notre solution serait différente, dans le cas où le maître des arbres aurait opposé une contradiction à l'exercice que le voisin aurait voulu faire du droit qui lui est accordé par l'art. 672, de demander l'élagage des branches qui s'avancent sur son fonds.

D'une part, en effet, le commencement de la prescription serait alors nettement déterminé; et d'autre part, la possession perdrait aussi, du même coup, son caractère de précarité et de simple tolérance (arg. de l'article 2238: comp. Demante, loc. supra cit.).

511.- Quant au droit pour le voisin de couper luimême les racines qui s'étendent sur son propre fonds, a fortiori, il est imprescriptible; car la possession, dans ce cas, n'est pas publique; et surtout c'est là un acte de pure faculté que le voisin est libre de faire ou de ne pas faire chez lui (art. 2232; Limoges, 2 avril 1846, Fargeaud, Dev., 1846, II, 372; Pardessus, t. I, n° 197; Troplong, des Prescript., t. I, no 355; Solon, n° 244).

512. Le voisin ayant le droit de demander l'élagage des branches avançantes sur son fonds, lorsqu'elles lui sont dommageables, la conséquence nous paraît en être, tant qu'il ne le demande point: ou que les branches ne lui causent point de dommage, ou qu'il consent à supporter le dommage qu'elles lui causeraient; il ne serait donc pas fondé à réclamer, à cet égard, d'indemnité pour le passé.

Nous croyons même que s'il adressait tout d'abord au maître des arbres une sommation ou une assignation afin d'obtenir de lui l'élagage, sans l'avoir préalablement averti à l'amiable, qu'il ne voulait plus les tolérer, les frais en devraient être à sa charge, dans le cas où le maître des arbres opérerait de suite cet élagage; mais si, au contraire, le maître des arbres, invité même seulement de vive voix par le voisin, en présence de témoins, à élaguer ses arbres, n'avait pas déféré à cet avertissement, il serait juste qu'il payât les frais que son refus ou son retard aurait ensuite rendu nécessaires (Perrin, Code de la contiguïté, no 796 et 818); mais comme le maître des arbrs pourrait soutenir qu'aucun avertissement verbal ne lui a été donné, nous croyons, qu'afin de prévenir toute difficulté à cet égard, le voisin ferait bien de lui donner cet avertissement par une lettre recommandée.

Quant aux racines souterraines, le droit qui appartient au voisin de les couper lui-même chez lui, ne nous paraîtrait pas faire obstacle à ce qu'il demandât des dommages-intérêts, même pour le passé, au maître de l'arbre, si elles lui avaient causé quelque préjudice, comme, par exemple, si elles avaient occasionné quelque dégradation aux fondations de son bâtiment, à un canal, etc.; car il a pu, dans ce cas, ignorer ce préjudice, et on ne saurait dès lors lui objecter qu'il a consenti à le supporter (art. 1382; comp. Duranton, t. V, n° 394; Pardessus, t. 1, n 196, 197).

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513. Les fruits pendants aux branches qui s'avancent sur le fonds du voisin, appartiennent évidemment au propriétaire de l'arbre (comp. art. 520, 546, 547).

Il est vrai que dans divers pays, autrefois, on les attribuait, en tout ou en partie, et le plus ordinairement pour moitié, au voisin, comme une indemnité du tort que l'ombrage pouvait luí causer (Coquille, quest. 274; Bannelier sur Davot, t. II, p. 185).

Mais ces usages sont aujourd'hui abrogés par l'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII. Les deux voisins, sans doute, peuvent faire, à cet égard, entre eux, tel arrangement qu'ils jugent convenable; et on devra même présumer facilement que le maître de l'arbre, qui laisse le voisin recueillir les fruits pendants aux branches qui se prolongent sur son fonds, consent à les lui abandonner; mais cette tolérance, qui le rendrait non recevable à réclamer les fruits ainsi cueillis, ne saurait former pour l'avenir, au profit du voisin, un titre définitif et permanent.

Et alors, vient la question de savoir si le maître de l'arbre pourrait réclamer un passage sur le fonds du voisin, pour aller ramasser les fruits qui y seraient tombés ou pour récolter ceux qui ne pourraient être cueillis que sur ce fonds (voy. supra le texte nouveau de la loi du 26 août 1881, pour les fruits tombés naturellement des branches, le seul cas que ce texte ait prévu).

Nous croyons qu'il convient d'examiner cette question dans deux hypothèses: 1° dans celle où le voisin aurait perdu le droit de faire couper les branches qui s'avancent sur son fonds (supra, no 508, 509); 2° dans celle où il aurait toujours ce droit, sans pourtant l'avoir encore exercé.

1o Dans le premier cas, il semble bien que le droit d'aller, dans le fonds du voisin, faire la récolte de fruits pendants aux branches qui s'y avancent, soit une consé. quence du droit qui est acquis au propriétaire de l'arbre de laisser les branches elles-mêmes s'y avancer (arg. de l'article 696). C'est ainsi que, chez les Romains, où le

voisin ne pouvait pas demander l'élagage des branches au delà de la hauteur de quinze pieds au-dessus de son sol (supra, no 504), le maître de l'arbre pouvait, au moyen de l'interdit de glande legenda, réclamer, dans les trois jours, les fruits qui étaient tombés sur le fonds du voisin; et rien même n'autorise à dire, comme on le fait généralement, que l'action en revendication fût limitée, comme l'interdit, à ce court délai (comp. ff. tit. de glande legenda; et L. 9, § 1, ad exhibendum).

2o Dans le second cas, c'est-à-dire lorsque le voisin a toujours le droit de forcer le propriétaire de l'arbre à couper les branches avançantes, la question est plus délicate; et elle a beaucoup, en effet, divisé les jurisconsul

tes:

Plusieurs considèrent que le maître de l'arbre peut réclamer le passage sur le fonds du voisin, et y placer même des échelles pour y faire à la main la cueillette de ses fruits; que c'est là une servitude légale fondée sur les lois du bon voisinage, sous l'obligation, bien entendu, d'une indemnité, s'il en résulte quelque dommage pour le voisin (comp. Merlin, Rép., vo Arbre, § 8; Toullier, t. II, no 517; Proudhon, du Dom. privé, t. II, no 585; Pardessus, t. I, no 196; Sebire et Carteret, Encycl. du Droit, v° Arbre, no 17).

Delvincourt à distingué si le fonds du voisin est clos ou s'il ne l'est pas, pour accorder, dans ce dernier cas, au maître de l'arbre, un droit d'accès qu'il lui refuse, au contraire, dans le premier cas (t. I, p. 162, note 8).

Enfin, il est une opinion qui enseigne que le maître de l'arbre n'a, dans aucun cas, le droit de demander l'entrée du fonds du voisin. Il est vrai que les usages de plusieurs pays, à l'exemple du droit romain, lui accordaient autrefois trois jours pour aller ramasser et cueillir ses fruits; mais la loi du 30 ventôse an xii n'a pas moins abrogé ces usages-là que ceux d'après lesquels les fruits étaient, au contraire, attribués au voisin sur le fonds du

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