Page images
PDF
EPUB

Ibrahim-Pacha, le glorieux fils de Mehemet-Ali, ne put, à cause de la position toute spéciale faite à son père, vis-à-vis de la Porte, prétendre à une réception semblable. Mais les sympathies de la France ne lui manquèrent pas, et le vainqueur de Nezib put se convaincre en traversant la France que toute gloire y est comprise, toute grandeur honorée.

Le représentant de l'empire du Maroc avait ouvert cette liste des puissances africaines qui semblaient, cette année, s'ètre donné rendez-vous à Paris, comme pour convaincre les plus incrédules des hautes destinées qui attendent, dans la Méditerranée, les vainqueurs de l'Algérie.

La mission de Ben-Achaache peut être considérée comme un des événements les plus importants pour l'avenir de l'influence française en Afrique. Il y avait là, en effet, un acte de déférence de l'empereur du Maroc envers le roi des Français, et une manifestation tout à fait étrangère aux habitudes de l'empire. On en jugera par la lettre suivante adressée par Abd-er-Rhaman au roi Louis-Philippe, par l'intermédiaire de son ambassadeur :

[ocr errors]

LETTRE DU SULTAN DU MAROC AU ROI.

Au nom de Dieu clément et miséricordieux, et pas de puissance et pas de force, si ce n'est en Dieu!

Le serviteur de Dieu, celui qui craint Dieu, qui met sa confiance en Dieu, qui combat dans la voie de Dieu, l'émir des croyants dans la partie occidentale de l'Afrique, le chérif descendant d'Ali et de Hacan, lui,

Abd
Ur-Rahman

Ben Hicham

ami de DIEU (1).

Que Dieu donne toute force à ses commandements, et qu'il accorde la victoire à ses armées, de quelque côté qu'elles se dirigent.

«A l'ami qui est sincère, affectionné et fidèle, le sultan Louis-Philippe, roi de l'empire français, et dont la puissance s'étend sur tous les pays, que Dieu l'assiste et le dirige.

Nous avons impérieusement ordonné à deux de nos serviteurs, hommes incorruptibles, le cheikh Bouziah Ben-el-Chavi-el-Geronni et le taleb Hamida

(1) Traduction de l'empreinte du cachet de l'empereur.

Ben-Ali-Ah-Chedji-i, de marcher d'un pas déterminé pour débarrasser ces contrées de l'affaire d'Abd-el-Kader, et nous avons à cet effet désigné un corps de nos armées victorieuses par le secours de Dieu; leur chef est le fils de notre onc'e, homme sage et habile, Molaï-Ibrahim-Ben-Abd-el-Maliq. Il se portera avec son corps d'armée dans la partie de l'est pour renforcer le bras des deux intendants de province, les serviteurs susdits. L'armée partira de Fez dans les premiers jours du mois de Dil-Hidgé (1) le mois qui vient après celui-ci.

FIN.

« Ce 20 du saint mois de Dil-Haadé (2), en 1261.»

Un événement qui n'avait rien de politique fut le mariage de M. le duc de Bordeaux avec l'archiduchesse Marie-ThérèseBeatrice de Modène, sœur aînée du duc de Modène régnant. Si on vit se réveiller, à cette occasion, les illusions d'un parti qui place ailleurs que dans la royauté de Juillet son amour et ses espérances, le peu d'importance d'une union du prétendant avec la sœur du seul prince européen qui ait refusé de reconnaître Louis-Philippe enleva à ce fait la signification qu'il aurait pu prendre d'une alliance plus élevée. On voulut reconnaître l'influence mal intentionnée de l'Autriche dans ce mariage; cependant M. de Metternich crut devoir se plaindre hautement de n'avoir appris ce projet que trop tard.

L'évasion d'un autre prétendant, le prince Louis Napoléon (3), enfermé au fort de Ham depuis sa dernière tentative, ne pouvait pas avoir plus d'influence sur la vie politique de la France. La fuite du prince (25 mai) ne serait pas plus un danger pour la France, que son emprisonnement n'avait été une garantie.

(1) Dil-Hidgé a commencé cette année le 30 novembre.

(2) Le 19 novembre 1845.

(3) Fils cadet du prince Louis Bonaparte, comte de Saint-Leu, ex-roi de Hollande, mort cette année à Livourne, le 25 juillet.

CHAPITRE VIII.

COLONIES. ALGÉRIE. Situation générale.- Troisième incursion d'Abdel-Kader. — Désastre d'une colonne française dans la province de Con

[ocr errors]

Mobilisation de la milice d'Alger. —

· Affaire du général Gentil contre Ben- Rencontre du maréchal Bugeaud avec

Cam

stantine. Marche de l'émir. Abd-el-Kader chez les Flittas. Salem. Défaite des Kabyles. les Kabyles. Fuite de l'émir. — Situation morale de la colonie. pement de la deïra sur les frontières du Maroc. - Menées de Bou-Hamedi. Expédition du général Cavaignac contre la deira. Neutralité des Marocains. Massacre des prisonniers français. Rachat de dix prisonniers. Tranquillité générale. - Progrès de la colonisation. — Population, travaux. - Ordonnance relative à la propriété.

-

COLONIES TRANSATLANTIQUES. — Conséquences de la loi du 18 juillet 1815 sur le régime des colonies. Ordonnances supplémentaires. Ordon

nance qui libère les noirs du domaine. Effet de ces mesures. Adresse du conseil colonial de la Martinique. — Adresse du conseil colonial de la Guadeloupe. Ordonnance qui modifie le régime des douanes à Bourbon,

-

[blocks in formation]

Sans cesser d'être grave, la situation de l'Algérie, au commencement de l'année, avait cessé d'être inquiétante. Aussitôt après les désastres de Sidi-Brahim et d'Aïn-Temouchen (voyez le précédent Annuaire), des renforts considérables avaient été expédiés de France avec une remarquable célérité. Sur tous les points, on s'était trouvé en mesure de faire face à une insurrection générale.

Mais le principal fauteur de cette insurrection, Abd-el-Kader, après avoir deux fois déjà pénétré dans l'intérieur du pays cultivé, venait de sortir une troisième fois du désert, et menaçait la province de Titteri, qui confine à celle d'Alger. Le désastre récent d'une colonne partie de Constantine et décimée par le froid dans les neiges des monts Bou-Taleb n'avait pas été sans in

fluence sur cette nouvelle entreprise. L'émir pouvait croire que, par suite de ce fatal événement, Medeah se trouverait dégarni. En effet, le lieutenant général Bedeau, commandant de la province de Constantine, pouvait se voir forcé de retourner dans sa province avec la colonne de Sétif, qui prêtait son concours au maréchal gouverneur; il était sans doute devenu nécessaire de remplir le vide formé de ce côté par la mise hors de combat d'une colonne qui avait perdu 1200 fusils, et qui comptait plus de la moitié de ses hommes dans les hôpitaux.

Le premier acte d'Abd-el-Kader, dans sa nouvelle incursion, fut de ruiner les Rhaman, tribu soumise de la lisière du désert, qui joignait habituellement son goum à nos expéditions dans le sud. L'intention de l'émir était de menacer le centre de nos possessions, de pénétrer en arrière de Milianah ou de Medeah jusque dans la province d'Alger, et d'y exécuter une invasion soudaine et rapide, non pas sans doute dans l'espoir de s'y maintenir, mais en vue de frapper un coup qui ébranlerait la sureté de notre domination et ranimerait pour longtemps encore les espérances des Arabes.

Mais Abd-el-Kader se vit bientôt arrêté dans sa marche vers l'est. Le maréchal Bugeaud, parti, le 3 février, de Boghar, se dirigeait sur le Hodna, sous le méridien de Dellys et de Hamza, pays occupé par la puissante tribu des Ouled-Naïls, chez lesquels l'émir avait trouvé un refuge. D'un autre côté, les généraux Bedeau et d'Arbouville se tenaient chacun avec leur colonne respective sur les limites du petit désert, pour couvrir au besoin les passages de l'intérieur. Ces diverses opérations avaient leur théâtre à cinquante ou soixante lieues d'Alger, et cependant le maréchal-gouverneur avait cru devoir, avant de partir, ordonner la mobilisation d'une partie de la milice d'Alger, pour former une réserve destinée à protéger la Mitidja en cas d'événement extraordinaire.

Pendant ce temps, le lieutenant général de Lamoricière pacifiait et organisait les tribus au sud-ouest de Mascara. Sur un autre point, un autre agitateur presque aussi célèbre que l'émir,

le chérif Bou-Maza, s'étant avancé jusqu'à Tadjena pour paralyser l'effet de nos succès, était enveloppé et rudement chassé par le lieutenant-colonel de Canrobert.

Tout à coup Abd-el-Kader renonça à son plan d'invasion de l'est dans la direction du cercle de Sétif. Arrivé près de Bouçaadah, ville de l'agalik des Quled-Naïls, et craignant de rencontrer une vive résistance de la part des tribus du khalifat Şi-Mokrani, allié de la France, il remonta rapidement par le nord-ouest; puis, tournant le Djebel-Dira, il traversa la plaine d'Hamza et prit position sur le versant occidental du Jurjura, chez les Flittas, tribus kabyles du cercle de Dellys, à trente lieues seulement d'Alger. De là il menaçait de franchir l'Isser et d'exécuter une subite incursion dans la Mitidja par le Krachena et le BeniMoussa. Son khalifat Ben-Salem l'avait précédé sur l'Isser avec des contingents assez nombreux de Kabyles du Jurjura.

Mais le général Gentil, établi sur l'Oued-Corso, n'eut pas plutôt appris le marche en avant du lieutenant d'Abd-el-Kader qu'il le surprit le 7 février dans son camp, lui tua beaucoup de monde, et prit position à Djar-Djouhala, sur la rive gauche de l'isser. Abd el-Kader lui-même assistait à ce combat. Le 16, le général opéra sa jonction avec la colonne du maréchal-gouverneur et occupa le col des Beni-Aïcha.

Le 17, M. le maréchal Bugeaud envahit les montagnes des Flittas insoumis. Ceux-ci vinrent, le 19, à sa rencontre, au nombre de 4,000 environ, sur les crêtes des montagnes qui dominaient la gauche du camp. Le maréchal hésitait à les attaquer, préférant se rapprocher par la vallée de Boghni des sources de l'Oued-Kseub, où Abd-el-Kader était campé depuis plusieurs jours, lorsque tout à coup il découvrit, à la lunette, la cavalerie de l'émir et son bagage filant par un sentier difficile sur une crète qui touchait à la région des neiges. Après avoir soulevé contre nous les Kabyles et avoir promis à ceux-ci de se mettre à leur tète pour nous combattre, Abd-el-Kader les abandonnait et profitait de l'insurrection qu'il avait excitée pour couvrir sa retraite. En ce moment, il descendait le revers sud

« PreviousContinue »