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peine qui ait ce danger. On objecte encore que le délit étant anéanti ne peut donner lieu à aucune action. La loi a pu effacer le caractère criminel du fait; elle n'a pu anéantir le fait lui-même. Or, c'est le fait, indépendamment de sa criminalité, qui est la base de l'action. En général, on doit le dire, les amnisties réservent les droits des tiers; mais quelques-unes ne contiennent pas cette réserve ou même ont formellement méconnu ces droits. Nous n'hésitons pas à dire qu'une telle disposition, qui violerait un principe supérieur à la loi elle-même, constituerait un excès de pouvoir.

L'action civile ne serait point encore éteinte par l'épuisement de la pénalité, en supposant même, ce que nous avons contesté1, que la condamnation du prévenu à la peine la plus forte pût éteindre l'action publique à raison des délits non jugés. En effet, la réparation du dommage est tout-à-fait indépendante de l'application des peines.

Mais l'action civile, d'une autre part, peut être éteinte par des causes qui n'ont qu'une influence secondaire et exceptionnelle sur l'action publique : ces causes sont la renonciation de la partie lésée à son action, la transaction sur ses droits, le désistement qu'elle donne de sa plainte. Nous avons précédemment exposé les règles qui s'appliquent à cette matière 2.

Deux causes d'extinction seulement sont donc à la fois communes à l'action civile et à l'action publique la chose jugée et la prescription.

Voy. suprà, p. 756.

2 Voy. notre tome II, p. 452 et suiv.

Nous allons les examiner l'une et l'autre dans

leurs rapports avec l'action civile.

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Des effets de la chose jugée au criminel, sur l'action civile.

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Lorsque la personne qui se prétend lésée par un délit s'est constituée partie civile dans la poursuite à laquelle ce délit a donné lieu, il est évident que le jugement de la juridiction répressive, rendu contradictoirement avec elle, produit à son egard l'exception de la chose jugée. La Cour de cassation a dû juger, conformément à cette règle, que celui qui s'est porté partie civile dans une poursuite en escroquerie, ne peut, après l'acquittement du prévenu, reporter så demande devant le tribunal civil: « Attendu qué cette partie était non recevable à propo-, ser par la voie civile les mêmes moyens de dol, de fraude et de surprise qu'elle avait fait juger par la voie criminelle 2.

Mais lorsque la personne lésée par un délit ne s'est pas constituée partie civile, lorsqu'elle n'a pas figuré dans le procès criminel, quel doit être l'effet du jugement intervenu dans ce procés sur l'exercice de son action? La règle posée par M, Merlin que le criminel emporte le civil est-elle fondée et doit-elle s'appliquer d'une manière absolue? La chose jugée au criminel lie-t-elle les tribunaux civils? Cette ques

Toullier, t. X, no 243; Merlin, Rép., vo Chose jugée, § 15; Mangin, no 421.

2 Arr. Cass. 1er brum, an xut (Dall., Rép., t. VIIf, p. 454).

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tion, l'une des plus graves de la procédure criminelle, a donné lieu à de longs débats 1.

Pour jeter quelque clarté dans une discussion dont les éléments sont très nombreux et très confus, nous exposerons, en premier lieu, le système que la jurisprudence a consacré et les applications principales qui en ont été faites. Nous examinerons ensuite les principes sur lesquels il s'appuie.

La jurisprudence a admis, comme une règle générale, que la chose jugée au criminel a autorité sur le civil, lors même que la partie lésée ne s'est pas portée partie civile au procès criminel 2. Cette règle est fondée 1 sur ce que, d'après l'art. 3 du Code d'instr. crim., l'action publique est évidemment préjudicielle à l'action civile, et que, dès lors, le jugement qui intervient sur l'une, même en l'absence de la partie privée, ne peut pas ne point avoir l'autorité de la chose jugée sur l'autre »; 2° sur ce que le ministère public', étant le mandataire de la société, agissant au nom de tous les citoyens, les représente tous, et par conséquent représente la partie lésée elle-même; d'où l'on conclut que le jugement eriminel qui constate ou dénie le fait dommageable a force de chose jugée, en ce qui concerne cette déclaration, à l'égard de la partie lésée4; 3o enfin sur plu

Voy. Toullier, t. X, p. 245; Merlin, Rép., ve Non bis in idem, no 15; Mangin, no 423 et suiv.; Carnot, Instr. crim., sur l'art. 451 ; Bourguignon, Jurispr. des Cod. crim., sur l'art. 360; Leseyllier, no 2184.

2 Tous les auteurs ci-dessus cités, à l'exception de M. Toullier.

3 Arr. Cass. 17 mars 1813, rapp. par Merlin, loc. cit.

4 Merlin, Quest. de droit, yo Faux, & 6; Mangin, no 416.

sieurs textes, les art. 359 et 463 du C. d'instr. crim., les art. 198 et 252 du C. civ., qui supposent ou semblent établir quelques effets sur le civil de la chose jugée au criminel. Cette influence toutefois est formellement limitée aux points qui ont été explicitement décidés par le jugement. Ainsi, lorsque les termes de ce jugement ne sont pas précis, lorsque les faits qui doivent servir de fondement à l'action civile n'y sont pas expressément appréciés, le juge civil est compétent pour reprendre cette appréciation et libre d'assigner à ces faits le caractère qu'il croit fondé, il suffit que son jugement puisse se concilier avec le jugement de la juridiction criminelle et qu'il ne contredise pas les points qu'elle a jugés 4.

C'est d'après cette doctrine, qui résume toute la jurisprudence, que l'autorité de chacun des actes de la juridiction criminelle sur l'exercice ultérieur de l'action civile a été successivement appréciée. Ces actes sont: 1° les ordonnances de la chambre du conseil et les arrêts des chambres d'accusation portant qu'il n'y a lieu à suivre; 2o les arrêts portant acquittement ou absolution; 3° les arrêts et jugements de condamnation.

1° Les ordonnances et les arrêts de non lieu. En principe général, ces ordonnances et ces arrêts n'exercent aucune influence sur la poursuite de l'action civile devant les tribunaux civils: les droits des parties lésées demeurent entiers. En effet, si ces décisions se bornent à déclarer qu'il n'y a lieu à suivre, faute de charges suffisantes, cetté déclaration 1 Mangin, no 417,

n'établit pas que le fait n'existe pas, elle établit seulement qu'il ne paraît pas réunir les caractères d'un crime ou d'un délit; il n'en résulte donc aucun obstacle à la poursuite du quasi-délit résultant du même fait. Si ces décisions déclarent soit que le fait n'existe pas, soit que le prévenu ne l'a pas commis, cette déclaration ne peut encore influer sur le sort de l'action civile, car elle n'est point définitive, puisqu'elle tomberait devant des charges nouvelles 2. Enfin, si ces décisions admettent soit que le délit est éteint par la prescription, soit que le fait dénoncé n'a point les caractères d'un délit, cette solution ne peut arrêter l'action civile, puisque, d'une part, il n'en résulte pas que le fait n'existe pas, et que, d'un autre côté, ce fait, s'il ne constitue pas un délit, peut constituer un fait dommageable.3.

2° Les arrêts d'acquittement ou d'absolution. Les déclarations du jury, portant que l'accusé n'est pas coupable, n'enchaînent point l'action civile. « En effet, dit M. Merlin, déclarer que l'accusé n'est pas coupable, ce n'est pas nécessairement décider ou que le fait n'existe pas, ou que l'accusé n'en est pas l'auteur; c'est seulement décider que l'accusé n'est pas, relativement à ce fait, convaincu de torts suffisants pour attirer à lui la peine dont l'application est le but de l'action du ministère public; et cette

Arr. Cass. 24 nov. 1824 (Dev., 25, 1, 174); 20 avril 1837 (Dev., 37, 1, 590); Mangin, no 438.

2 Arr. Cass. 12 août 1834 (Dev., 35, 1, 202). .

Merlin, Quest. de droit, vo Réparations civiles, § 3; Mangin, n° 363 et suiv.

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