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n'est soumise qu'à la seule volonté de la partie ellemême. Le droit de plainte, en effet, est libre de toute entrave et de toute condition. La personne qui se prétend lésée par un délit, peut exercer sa réclamation quand il lui plaît; elle est maîtresse de son initiative1.

Cette règle reçoit toutefois deux restrictions; l'action civile est suspendue dans deux cas qui correspondent aux deux dernières causes de suspension de l'action publique.

Elle est suspendue, lorsqu'elle a été portée devant la juridiction civile, jusqu'à ce que l'action publique, exercée contre la même personne et à raison du même fait, ait été définitivement jugée.

Elle est encore suspendue, soit qu'elle ait été portée devant la juridiction civile ou la juridiction criminelle, lorsqu'elle dérive d'un fait qui se rattache aux fonctions d'un agent du gouvernement, jusqu'à ce que l'autorisation de suivre contre cet agent ait été obtenue du conseil d'État.

Nous allons examiner, dans les deux paragraphes suivants, ces deux causes de suspension.

$ 169.

De la suspension de l'action civile devant les tribunaux civils, à raison de l'exercice de l'action publique.

L'art. 8 du Code du 3 brumaire an iv et l'art. 3 du C. d'instr. crim., conçus dans les mêmes termes, Voy. notre tome II, p. 453 et 471.

portent: L'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique. Elle peut aussi l'être séparément : dans ce cas l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique intentée avant ou pendant la poursuite de l'action ci- vile. >>

En thèse générale, le vœu de la loi est que l'action civile soit portée devant les juges criminels en même temps que l'action publique. L'intérêt de la partie plaignante et l'intérêt de la société réclament à la fois cette réunion. Les preuves de la lésion et les preuves du délit sont puisées dans les mêmes éléments: pourquoi édifier successivement deux procédures? Le concours de la partie civile apporte à l'action publique une impulsion nouvelle, une énergie plus grande : pourquoi la société serait-elle privée de cet utile auxiliaire? Et puis le délit et le dommage qu'il a causé, c'est le même fait sous deux faces distinctes, avec deux conséquences différentes : pourquoi affaiblir l'information en en séparant les bases? Pourquoi imposer au tribunal civil, qui n'a pas les mêmes moyens d'enquête, une tâche que le tribunal criminel peut accomplir avec plus de promptitude et de facilité? On peut donc dire que l'esprit du législateur est que les deux actions ne soient pas séparées et qu'elles soient simultanément intentées. Aussi l'art. 3 commence par poser en principe la poursuite de ces actions en même temps et devant les mémes juges, et ce n'est que par une sorte d'excep

tion qu'il ajoute que l'action civile peut aussi étre poursuivie séparément.

Néanmoins ce droit d'option existe 1, et la partie lésée peut librement l'exercer. Seulement, lorsqu'elle a porté sa demande devant les tribunaux civils, la procédure est suspendue, si l'action publique est exercée, soit avant, soit pendant l'instance, jusqu'à ce qu'elle ait été définitivement jugée. Ce sursis se formule dans cet adage: le criminel tient le civil en état. Le jugement criminel est un fait préjudiciel au jugement civil. La juridiction est acquise à la partie qui l'a choisie; mais elle doit attendre l'issue du procès criminel.

La suspension de l'action civile ne peut être prononcée que dans les cas où, 1° les deux actions sont relatives au même fait; 2° l'action publique est déjà engagée. Il faut examiner ces deux conditions.

Il est évident, en premier lieu, qu'il n'y a lieu de surseoir qu'autant que l'action publique est motivée par le même fait. La loi a prescrit cette mesure, en effet, pour éviter que la même affaire fùt simultanément jugée par deux juridictions différentes; elle a voulu que les lumières qui pourraient jaillir de l'instruction criminelle pussent éclairer l'instance, civile; elle a voulu surtout que les deux tribunaux, en jugeant à l'insu l'un de l'autre, ne fussent pas entraînés à des sentences contradictoires. La condition du sursis est donc l'identité du fait, puisque si les actions naissent de faits différents, les deux jugeVoy. notre tome II, p. 471.

ments ne pourront exercer l'un sur l'autre aucune influence. Cette condition a été plusieurs fois reconnue. Ainsi, dans une instance en divorce, l'un des époux réclamait l'application de l'art. 235 du C civ. qui, conformément au principe consacré par Part. 3 du C. d'instr. crim., dispose que: Si quelques-uns des faits allégués par l'époux demandeur donnent lieu à une poursuite criminelle de la part du ministère public, l'action en divorce restera suspendue jusqu'après l'arrêt de la Cour d'assises. » Mais, dans l'espèce, l'action criminelle avait pour objet, non pas les faits allégués, mais le témoignage de l'un des témoins produits; la Cour de cassation a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de surseoir, parce qu'il n'y avait pas identité de faits dans les deux actions 1. La même Cour a jugé, dans une autre espèce, que des adjudicataires, poursuivis par l'administration comme civilement responsables des malversations commises dans leur coupe, ne peuvent demander qu'il soit sursis au jugement de cette action, parce que les mêmes malversations donnent lieu à des poursuites criminelles contre les agents de l'administration : « attendu que les adjudicataires n'étaient point personnellement traduits en justice 2. » Cette décision n'est pas suffisamment motivée. Il aurait fallu établir que la responsabilité civile des adjudicataires est indépendante de la qualité des agents

* Arr. Cass. 22 nov. 1815 (J. du pal., t. XIII, p. 124). 2 Arr. Cass. 7 janv. 1813 (ibid., t. II, p. 12).

auteurs des malversations. Car, en général, il y a lieu de surseoir dès que le même fait est la base des deux actions, lors même qu'elles ne seraient pas dirigées contre la même personne. Ainsi, une instance est engagée devant le tribunal civil en restitution d'une somme payée en vertu d'un titre faux au porteur de ce titre, possesseur de bonne foi; pendant cette instance, l'action publique est dirigée contre un tiers, auteur présumé de la falsification. Il est évident qu'il y a lieu de surseoir, puisque les deux actions dépendent de l'appréciation du même fait, quoiqu'elles ne soient pas exercées contre la même personne 1. Mais il n'y aurait plus lieu à cette mesure si l'action criminelle, quoiqué intentée dans la même instance, ne s'appliquait pas au même incident de la procédure. Ainsi, lorsque celui qui s'est porté partie civile, dans une instruction criminelle, a formé, pour sûreté des dommages-intérêts qui pourront lui être alloués, une saisie-arrêt entre les mains des créanciers du prévenu, le tribunal civil, appelé à statuer sur la validité de cette saisie, ne doit pas surseoir jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'ac tion criminelle 2.

La deuxième condition de la suspension est que l'action publique soit réellement engagée. L'action publique est réputée engagée par le réquisitoire du ministère public à fin d'informer, lors même qu'aucun acte de poursuite n'est encore intervenu. La

* Arr. Paris, 2 juin 1834 (J. du pal., t. XXIII, p. 1647).
* Arr. Bordeaux, 23 août 1831 (J. du pal., t. XXIV, p. 169).

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