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que? Remontera-t-elle, avec la responsabilité, jusqu'au fonctionnaire duquel l'ordre émane, jusqu'au ministre responsable de tous les actes de ses subordonnés? Le projet de 1835 avait résolu cette question en reconnaissant au ministre le droit d'assumer sur lui-même la responsabilité de l'acte incriminé sa déclaration avait pour effet, ou de décharger l'agent inférieur et d'éteindre la poursuite, ou de transporter la procédure qui enveloppait alors le ministre et ses subordonnés, devant la Cour des pairs. Cette solution aplanissait-elle entièrement la difficulté ? Nous n'avons pas à examiner ce point, qui tient exclusivement à notre droit public. Il nous suffit de constater que si, dans cette hypothèse, l'action publique est suspendue, c'est qu'elle ne trouve plus vis-à-vis d'elle l'agent administratif qu'elle poursuivait, c'est qu'à la place de cet agent elle rencontre un fonctionnaire politique, c'est que ce fonctionnaire a droit, à raison de la nature de ses fonctions, à une protection extraordinaire. La garantie administrative disparait donc, pour faire place à la garantie politique, et si l'utilité de la première peut-être contestée, il n'en est pas ainsi de l'autre, qui est, comme nous l'avons vu, l'une des bases essentielles des pouvoirs de l'État.

Tels sont les termes où se résume aujourd'hui cette grave question. Encore imparfaitement étudiée, et tranchée par une discussion indécise et confuse, plutôt que complétement résolue, elle se représentera quelque jour. Quelle que soit l'opinion qui doive

prévaloir, il nous paraît que l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an VIII, s'il n'est pas abrogé, doit du moins être gravement modifié.

Nous avons vu que M. Vivien avait proposé: 1° de déférer l'information préliminaire aux cours royales; 2° d'imposer au Conseil d'État l'obligation de statuer dans le délai de deux mois ; 3° de soumettre l'ordonnance qui refuse l'autorisation de poursuivre au contre-seing du ministre sous les ordres duquel est placé l'agent inculpé.

Une amélioration plus utile encore serait de resserrer l'application du principe de l'autorisation aux cas où cette mesure est réellement nécessaire. Car sa nécessité, puisqu'il s'agit d'une exception exorbitante au droit commun, est le seul titre de son existence. Or, il suffit de jeter les yeux sur la législation qui a réglé cette application, pour apercevoir à quelle confusion elle est en proie, et quelle inutile extension a été donnée à ses dispositions.

N'est-il pas contradictoire, en effet, de soustraire à la garantie légale les préposés des contributions indirectes et des octrois, et d'y soumettre les préposés des douanes ou des postes ? N'est-il pas contradictoire de placer en dehors ou sous la protection de cette garantie les mêmes fonctionnaires, suivant qu'ils ont agi dans telle ou telle qualité, comme officiers de l'état civil ou comme maires, comme officiers de police judiciaire ou comme agents forestiers? N'est-il pas contradictoire enfin d'assujettir ou de dérober à cette mesure les mêmes

agents, suivant qu'ils ont commis tel ou tel délit dans l'exercice de leurs fonctions, par exemple, les préposés des douanes suivant qu'ils ont commis un délit de contrebande ou tout autre délit, les receveurs, suivant qu'ils ont commis un fait de concussion ou un fait de corruption? N'est-on pas fondé à penser que si l'administration des contributions indirectes fonctionne sans que l'action publique, qui s'exerce librement à l'égard de ses préposés, lui fasse éprouver aucune entrave, il en pourrait être de même à l'égard de l'administration des douanes? N'est-on pas fondé à penser encore que les agents, qui peuvent sans inconvénient être distraits de leurs fonctions pour répondre à telle ou telle espèce d'inculpation, pourraient également obéir à la justice, à raison de toute autre prévention? Que l'on maintienne la mesure de l'autorisation ou toute autre mesure équivalente à l'égard des fonctionnaires qui, tels que les préfets, les sous-préfets, les maires, les préposés en chef de chaque administration, sont les agents directs et immédiats du pouvoir exécutif, on peut le concevoir; mais est-il nécessaire de couvrir de la même protection tous les préposés inférieurs dont l'autorité circonscrite et les actes subalternes ne peuvent engager sérieusement l'administration supérieure? Ne suffirait-il pas que, dans chaque branche du service administratif et dans chaque département le préposé en chef eût la faculté d'assumer la responsabilité du fait incriminé et de dégager ainsi l'agent inférieur de la poursuite?

Il faut résumer maintenant toutes ces observations. Notre législation a établi une double garantie en faveur 1° des membres du pouvoir législatif; 2o des agents du pouvoir exécutif. Ces deux dispositions n'ont ni le même objet ni les mêmes effets. La première est une disposition politique, destinée à protéger l'exercice du droit dont la personne est dépositaire, et qui enveloppe en général tous les actes de cette personne pendant l'exercice de son mandat. L'autre est une disposition administrative, destinée à protéger contre tout empiètement, contre toule entrave, l'indépendance de l'action du pouvoir exécutif, et qui ne s'étend en conséquence qu'aux seuls actes de la fonction. Tels sont les deux principes qui divisent cette matière en deux parties distinctes. Dans l'une et l'autre, la garantie, n'ayant pas le même but et ne s'appuyant pas sur les mêmes motifs, n'est pas soumise aux mêmes règles et ne produit pas les mêmes résultats. Cette distinction fondamentale domine toutes les dispositions de cette matière et doit servir à en expliquer les difficultés.

Nous avons dû la développer avant d'arriver à l'examen particulier de ces dispositions. Nous allons poser maintenant les règles qui président à l'application de l'une et de l'autre garantie. Nous examinerons, dans la section suivante, l'application de la garantie politique, et dans la troisième, l'appli cation de la garantie administrative.

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§ 159. Application de la garantie aux ministres.

§ 160. Application aux membres de la Chambre des pairs.
§ 161. Application aux membres de la Chambre des députés.
§ 162. Application aux membres du conseil d'État.

$ 459.

Application de la garantie aux ministres.

Les ministres peuvent être inculpés de crimes ou délits commis, soit dans l'exercice de leurs fonctions et qui s'y rattachent, soit hors de l'exercice de leurs fonctions et qui y sont étrangers.

Dans l'une et l'autre hypothèse, ils ne peuvent être poursuivis sans une autorisation préalable: l'action publique est suspendue jusqu'à ce que cette autorisation soit survenue. Mais cette formalité n'est pas assujétie, dans les deux cas, aux mêmes conditions et n'émane pas du même pouvoir.

Lorsque le crime ou le délit est relatif aux fonctions, l'autorisation émane de la Chambre des députés. L'art. 47 de la Charte porte que : « la Chambre des députés a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la Chambre des pairs, qui seule a celui de les juger. » La Charte de 1814 avait limité ce droit d'accusation aux faits de trahison et de concussion; la Charte de 1830 a effacé cette res

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