Page images
PDF
EPUB

(arrêté du 28 pluviose an x1), de l'administration des monnaies (arrêté du 10 thermidor an x1), de l'administration des poudres et salpêtres (décret du 28 février 1806). La même attribution appartenait à l'administration des contributions indirectes et des octrois avant que les lois des 8 décembre 1814 et 28 avril 1816 n'eussent autorisé la poursuite des préposés de cette administration dans les formes communes à tous les citoyens. Les préfets sont également autorisés, après avoir pris l'avis des souspréfets, à traduire devant les tribunaux, sans recourir à la décision du conseil d'État, les percepteurs des contributions pour faits relatifs à leurs fonctions (arrêté du 10 floréal an x).

Mais cette délégation, qui n'a eu d'autre objet que de dégager le conseil d'État d'affaires assez nombreuses qui le surchargeraient inutilement, n'est que partielle : les administrations ont le pouvoir d'autoriser la mise en jugement de leurs préposés, elles n'ont pas le pouvoir d'arrêter les poursuites; elles ont attribution pour rendre à la justice son cours ordinaire, elle n'en ont pas pour le suspendre. Toutes les fois qu'elles estiment qu'il n'y a pas lieu d'autoriser la mise en jugement, elles le déclarent dans une délibération soumise à l'approbation du ministre compétent, et l'affaire est immédiatement portée devant le conseil d'État. Dans le même cas, à l'égard des percepteurs, le préfet prend un arrêté qui est soumis à la même révision. Ainsi, le conseil d'État est demeuré seul et exclusivement compétent pour

arrêter les poursuites, pour suspendre l'action publique. Cette attribution est restée entre ses mains; elle n'a été déléguée à aucune des autorités qui viennent d'être énumérées.

Telles sont les dispositions de la législation sur cette matière. Nous allons maintenant procéder à leur examen.

$158.

Du principe de la législation sur la mise en jugement des fonctionnaires publics.

Avant de suivre dans leur application les dispositions qui viennent d'être rapportées, il nous semble utile d'interroger le principe dont elles émanent et de constater l'esprit général qui les a dictées. Il s'agit de fixer les limites d'une exception aux droits de l'action publique; il importe de préciser les motifs et le but de cette exception.

Il résulte des textes qui viennent de passer sous nos yeux, que les personnes qui ne peuvent être mises en jugement suivant les formes ordinaires, se divisent en deux catégories : les unes, soit qu'une autorisation préalable les protége, soit qu'elles soient déférées à une juridiction extraordinaire, jouissent de cette garantie légale à raison de toutes les poursuites qui peuvent être dirigées contre elles sans qu'il y ait lieu de distinguer si les crimes ou délits qui motivent ces poursuites ont été commis dans l'exercice ou hors l'exercice de leurs fonctions. Les autres, qui ne sont jamais distraites de la juri

diction commune et dont la mise en jugement est seulement subordonnée à une autorisation, ne sont investies de cette exception qu'à raison des faits qui se rattachent à leurs fonctions ou qui sont commis dans leur exercice.

Ces deux espèces de garantie constituent deux institutions distinctes. Émanées de deux sources différentes, elles n'ont pas les mêmes effets, elles ne sont pas soumises aux mêmes règles.

La première est essentiellement politique, car d'une part elle ne s'applique qu'à des personnes politiques, et d'une autre part elle n'a pour but que la protection du pouvoir politique. Les personnes auxquelles elle s'applique sont les ministres, les membres de la Chambre des pairs et de la Chambre des députés, c'est-à-dire, les seules personnes qui, dans notre constitution, sont investies d'un caractère et exercent le pouvoir politique. Cette disposition, à la vérité, a été étendue aux membres du conseil d'État; mais il ne faut pas perdre de vue que cette extension n'a d'autre appui qu'un texte, peut-être aujourd'hui contestable, de la constitution du 22 frimaire an VIII, et que cette constitution avait placé ce conseil parmi les corps organiques de l'État et lui avait conféré des attributions politiques. Elle n'a, d'un autre côté, d'autre but que la protection du pouvoir politique. En effet, sa mission est de maintenir libre de toute atteinte ce pouvoir dans les mains qui en sont dépositaires. C'est pour assurer son indépendance, qu'elle assure l'indépendance des personnes

qui l'exercent. Elle les place à l'abri des attaques, presque toujours passionnées, souvent injustes, que les partis peuvent susciter sous le voile même de la justice. Elle constitue une sorte de bouclier où viennent expirer les traits envenimés et les imputations calomnieuses.

De ce que cette garantie est politique on a été conduit à la déclarer personnelle, c'est-à-dire à l'étendre à tous les actes de la personne, soit que ces actes appartiennent à sa vie publique ou à sa vie privée. En effet, en matière politique, il est difficile de séparer, comme en matière administrative, la fonction et l'agent qui la remplit. L'homme politique n'est pas, comme le préposé d'une administration publique, l'instrument momentané d'un pouvoir qui subsiste en dehors de lui-même; il puise son pouvoir dans le mandat qui lui a été personnellement donné, il exerce un droit qui lui appartient en vertu d'une délégation directe. De là la nécessité, pour protéger la fonction, d'étendre la garantie à tous les actes de la personne, puisque les poursuites dirigées contre la personne, quelle qu'en fût la cause, auraient pour résultat de troubler ou de suspendre l'exercice même de la fonction.

Cette garantie, bien qu'elle soit personnelle, ne doit point néanmoins être considérée comme un privilége. Elle est établie, non en faveur de la personne, mais en faveur de la fonction. Elle a pour but, non d'accorder une prérogative au rang ou à la position sociale, mais d'accorder une pro

tection au droit politique. Elle doit également avoir pour effet, non de soustraire un coupable à l'action de la justice, mais de favoriser l'accomplissement des devoirs en assurant l'indépendance des hommes, et de maintenir la liberté du pouvoir politique en le plaçant, non point au-dessus du pouvoir judiciaire, mais en dehors de son influence.

Posée dans ces termes, cette exception s'explique et se justifie. Il est nécessaire, en effet, que les pouvoirs de l'État soient libres dans leur action; il est nécessaire que l'ordre politique soit indépendant de l'ordre judiciaire. Or, cette indépendance existerait-elle si les réquisitions d'un procureur du roi, si la plainte d'un simple citoyen suffisaient pour traîner un député, un pair, un ministre dans l'arène judiciaire, pour faire peser sur eux une accusation criminelle? Doit-il dépendre d'un magistrat, d'un tribunal même, de les frapper sur leur siége, de suspendre une fonction politique? Il ne s'agit point de méconnaître les droits de la justice, il ne s'agit point d'étouffer une accusation; car le pouvoir serait insensé s'il cherchait la force ailleurs que dans la justice; il s'agit seulement d'apprécier si cette accusation est fondée, il s'agit d'écarter les imputations téméraires, de préserver l'homme politique des calomnies qui s'attachent trop souvent à ses actes. Il n'est à l'abri des poursuites qu'à la condition d'être à l'abri des reproches.

Mais si nous trouvons dans ces motifs la raison d'une garantie spéciale, nous y trouvons à la fois la

« PreviousContinue »