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textes qui s'y rapportent semblent se contredire les uns les autres 1. On a cherché à les concilier en distinguant si l'accusation était fondée sur une calomnie évidente, si evidens eorum calumnia judicanti appareat 2, ou si la douleur avait pu égarer l'accusateur 3. Quoi qu'il en soit, cette excuse ne s'étendait pas au père 4.

Après les soixante jours écoulés, les citoyens, autres que le mari et le père, pouvaient porter à leur tour l'accusation ex jure extranei. La loi avait craint, comme l'a remarqué Montesquieu, que le procès ne fût étouffé par la famille, elle avait appelé tous les membres de la cité à poursuivre un crime qui lui semblait blesser la cité entière. Toutefois deux nouvelles exceptions au droit commun existaient ici encore. Le mari, d'abord, pouvait encore, même après le délai de deux mois, se porter accusateur; il n'agissait plus, à la vérité, ex jure mariti, mais seulement ex jure extranei 5; mais, en cette nouvelle qualité, il pouvait être subrogé à l'accusateur

1 Scævola, 1. 14, § 3, Dig., Ad leg. Jul. de adulteriis: Jure mariti qui accusant, calumniæ periculum non evitant. L. 6 C., eod. tit. : Qui (maritus) confidit accusationi, calumniæ notam timere non debet. L. 37, § 1, Dig., De minoribus: Jure mariti sine calumniâ vir accusare mulierem adulterii potest, elc.

2 L. 2C., De his qui accusare non possunt.

3 Cujas, De præscr., cap. 13, et in 1. 37 Dig., De minoribus; Glos. in l. 14 Dig., Ad leg. Jul. de ad.

L. 30 Dig., eod. tit.: Pater sine periculo calumniæ non potest

agere.

1. 6 Cod., eod. tit. Et cùm præterierint dies isti utiles, maritus quoque jure extranei agere potest.

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étranger, si celui-ci n'avait pas encore engagé l'accusation 1; il pouvait même être admis à l'intenter de nouveau après que l'absolution de sa femme avait été prononcée sur l'accusation d'un étranger 2. La deuxième exception avait pour objet de restreindre en cette matière les catégories de personnes aptes à poursuivre l'accusation. La loi Julia de adulteriis, en posant le principe de l'accusation publique, avait exclu: 1° les mineurs de vingt-cinq ans, à moins qu'ils ne procédassent ex jure mariti3; 2o les femmes, même dans leur propre cause 4. Une constitution de Constantin, resserrant de plus en plus ces limites, voulut renfermer le droit d'accuser dans la famille même : les étrangers furent écartés, extraneos procul arceri ab hac accusatione censemus; l'action ne fut permise qu'aux plus proches parents, proximis necessariisque personis, hoc est, patrueli, consobrino et consanguineo maximè fratri, parce que ceuxlà seuls sont poussés par le sentiment d'une juste

1 L. 4, § 2, Dig., eod. tit. Si antè extraneus instituerit accusationem, an superveniente marito permittatur accusatio, quæritur? Et magis arbitror hoc quoque casu maritum audiendum, si non negligentià præventus est.

2 L. 4, § 2, Dig., eod. tit. Et si accusatione institutâ absoluta sit mulier extraneo accusante, tamen marito debet permitti restaurare accusationem, si idoneas causas allegare possit, quibus impeditus non instituit accusationem.

3 L. 15, § 6, Dig., eod. tit. : Lex Julia de adulteriis specialiter quosdam adulterii accusare prohibet: ut minorem xxv annis.

4 L. 1 Cod., eod. tit.: Publico judicio non habere mulieres adulterii accusationem, quamvis de matrimonio suo violato, queri velint, lex Julia declarat.

douleur, quos verus dolor ad accusationem impellit 1. Justinien, en plaçant cette constitution dans son Code, a modifié, pour la restreindre encore, la catégorie des parents qui ont le droit d'accusation; il ne désigne que le père et l'oncle : proximis necessariisque personis, hoc est patri, necnon patruo et avunculo 2.

Il résulte de tous ces textes que l'adultère, bien qu'il constituât dans le droit romain un crime public poursuivi par la voie des jugements publics, admettait une dérogation aux règles communes relativement à l'exercice de l'accusation : cette accusation appartenait principalement au mari et au père de la femme adultère; car ne n'était qu'après que ceux-ci avaient été mis en demeure d'exercer leur droit, et en quelque sorte sur leur refus, que d'autres personnes pouvaient prendre l'accusation, et ces

4 L. 2 Cod. Theod., eod. tit. : Quamvis adulterii crimen inter publica referatur, quorum delatio in commune omnibus sine aliquâ legis interpretatione conceditur, tamen ne volentibus temerè liceat fœdare connubia, proximis necessariisque personis solummodò placet deferri copiam accusandi: hoc est patrueli, consobrino, et consanguineo maximè fratri, quos verus dolor ad accusationem impellit. Sed et his personis legem imponimus, ut crimen abolitione compescant. In primis maritum genialis tori vindicem esse oportet: cui quidem ex suspicione etiam ream conjugem facere, nec infra certa tempora inscriptionis vinculo contineri, veteres retrò principes adnuerunt. Extraneos autem procul arceri ab hâc accusatione censemus...

2 L. 30 Cod., eod. tit. Quelques interprètes, en conférant les deux textes du Code théodosien et du Code de Justinien, ont proposé plusieurs leçons pour concilier la double désignation des personnes qui y sont dénommées. Voy. Wachter, Abhandlungen aus dem Strafechte, p. 119; Matthæus, Ad tit. de adult., no 11.

personnes, dont le cercle tendit sans cesse à se restreindre, consistèrent bientôt dans les plus proches parents et même dans les oncles seulement. C'était donc encore ici une action publique subordonnée à la plain te des parties intéressées.

Ce sont là les seuls exemples que nous ayons trouvés dans la législation romaine de l'application de cette règle exceptionnelle.

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Application dans notre ancien droit de la règle qui suspend l'action publique jusqu'à la plainte des parties lésées.

Nous avons vu précédemment que, jusqu'au x siècle, l'accusation des parties lésées était, sauf quelques rares poursuites d'office, la seule base de toutes les procédures criminelles 1. La règle exceptionnelle dont nous recherchons les traces formait donc alors la règle générale: toutes les infractions ne pouvaient être poursuivies que par les parties intéressées elles-mêmes; il n'y avait done lieu de faire aucune distinction entre les délits.

Cette distinction ne devint nécessaire que lorsque l'action publique commença de sortir des mains des parties lésées, et qu'à la suite de la double institution de la procédure inquisitoriale et de la partie publique,

4 Voy. notre tome Ier, p. 217 et 218, et notre tome II, p. 53 et €1. Et conf. Wachter, Neues Archiv. des crim. R., XII, p. 351; Henke, Grundriss einer Geschite des Deutschen peinlichen Rechts, I, p. 69; Mittermaier, Strafverfahren, I, p. 10.

elle fut exercée, d'une part par les juges, et d'une autre par les procureurs du roi et des seigneurs 1. La poursuite d'office, venant alors à se saisir successivement de chacun des crimes qui jetaient le trouble dans l'État, dut rencontrer dans la poursuite de quelques-uns une certaine résistance qui provenait, soit de leur nature intrinsèque, soit de leurs rapports avec la vie des familles, soit de la difficulté des preuves.

Mais cette résistance ne se manifesta que très tard et seulement dans quelques cas très restreints. En effet, la poursuite d'office, d'abord très circonscrite, n'atteignit jamais dans notre ancien droit que les crimes graves. Cette poursuite avait conservé le caactère d'une procédure extraordinaire; elle ne s'exerçait que lorsqu'un grave intérêt social était compromis. Tous les crimes légers étaient abandonnés à la discrétion des parties lésées; il semblait que la poursuite de ces parties, qui avait continué de tenir une grande place dans la procédure, fût toujours la règle ordinaire, la base commune d'une instruction criminelle. L'ordonnance d'août 1670, qui avait étendu les pouvoirs du ministère public et restreint les droits des parties, contenait cette disposition: Enjoignons à nos procureurs et à ceux des seigneurs de poursuivre incessamment ceux qui seront prévenus de crimes capitaux, ou auxquels il écherra peine afflictive, nonobstant toutes transanctions et cessions de droits faites par les parties, et à l'égard de tous les

1 Voy. notre tome Ier, p. 518, et notre tome II, p. 61,

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