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l'accusé soulève l'exception; elle ne le peut pas d'office, s'il ne réclame pas 1. La raison de cette distinction est que, dans le premier cas, l'arrêt de renvoi n'ayant pas statué sur l'exception, les droits de l'accusé restent entiers, tandis que dans le second, dès qu'il renonce à s'en prévaloir, la Cour n'est saisie que du jugement. Cette raison semble bien fragile. Est-ce qu'il n'est pas de règle générale que l'exception d'incompétence peut être relevée en tout état de cause? M. Mangin reconnaît que « les juges saisis mal à propos de l'action criminelle ont le droit de la rejeter d'office, la loi leur refusant toute compétence pour la juger au moment où elle leur est soumise2. » Pourquoi ce droit des juges n'appartiendrait-il pas aux juges de la Cour d'assises? Est-ce parce qu'elle est saisie, comme le dit M. Mangin, du jugement? Mais nous avons vu que, si elle est saisie du procès pour le juger, elle n'a d'autre obligation que de statuer suivant les règles légales. Et d'ailleurs, si elle peut surseoir sur la réclamation des parties, pourquoi ne le pourrait-elle pas d'office, lorsqu'elle reconnaît son incompétence?

Il est un autre point, qui ne rentre pas directement dans la matière que nous traitons en ce moment, et qui a divisé les deux arrêts: la Cour d'assises, en déclarant son incompétence, peut-elle ordonner la mise en liberté de l'accusé? La Cour de cassation a jugé, dans la première espèce,

4 Act. publ., t. I, p 431. 2 Act. publ., t. I, p 429.

qu'en

déclarant qu'il n'y a lieu de poursuivre quant à présent, et en ordonnant que l'accusé serait mis en liberté, la Cour d'assises a fait une juste application de l'art. 327 »; elle a jugé dans la deuxième « qu'en maintenant l'effet de l'ordonnance de prise de corps, qui ne peut être anéantie que par une ordonnance d'acquittement ou un arrêt d'absolution, la Cour d'assises s'est conformée aux règles établies par Ja loi. Cette dernière décision est la stricte applica-. tion des règles de compétence. La Cour d'assises, des qu'elle ne purge pas l'accusation par le jugement, ne peut ordonner la mise en liberté sans annuler la procédure, et elle n'a pas le droit de prononcer cette annulation. Mais, si l'on applique cette solution, quelle sera l'issue d'une telle procédure? Les accusés devront-ils garder prison jusqu'après le jugement de la question d'état? Et s'il ne se trouve aucune partie qui ait intérêt à ce jugement, leur détention serat-elle sans terme? Ne pourrait-on pas dès lors admettre que si la Cour d'assises ne peut ordonner directement la mise en liberté, du moins sa déclaration qu'il n'y a lieu de poursuivre quant à présent, doit avoir pour conséquence cette mise en liberté? Dès que cette déclaration n'est pas un simple sursis, dès qu'elle est fondée sur l'incompétence actuelle de la juridiction criminelle, comment les actes de cette juridiction pourraient-ils conserver leur force? La mise en liberté n'est, dans ce cas, qu'un acte d'exécution de la déclaration d'incompétence.

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Des droits de l'action publique lorsque la question d'état n'est pas encore engagée.

Nous venons d'établir le principe qu'en matière de suppression d'état, la question d'état est préjudicielle à l'action publique, en ce sens que cette action ne peut ni s'exercer, ni même commencer, et que les tribunaux sont incompétents pour en connaître, tant que la question d'état n'a pas été définitivement jugée par les tribunaux civils.

Ce principe peut être appliqué dans deux hypothèses différentes :

Ou la question d'état est déjà pendante devant les tribunaux civils, au moment où les tribunaux criminels seraient saisis du crime de suppression d'état; Ou cette question n'est pas encore engagée, et nulle partie ne se présente pour la soulever.

Dans la première hypothèse, nulle difficulté n'est possible. Les tribunaux criminels ne peuvent qu'attendre, suivant les termes de l'art. 327 du C. civ., le jugement définitif de la question d'état.

Dans la seconde hypothèse, une distinction doit, d'abord, être posée : la poursuite criminelle peut être provoquée, soit par la plainte de la partie, soit d'office par le ministère public.

La plainte n'est pas recevable. En effet, il est clair que si le plaignant pouvait être admis à porter son action civile devant la juridiction criminelle, sous prétexte que la juridiction civile n'est pas sai

sie, la prohibition de la loi civile serait complétement. éludée, puisque cette partie aurait alors en réalité l'option entre les deux juridictions. Il n'y a donc point lieu de distinguer si la question d'état est engagée ou si elle ne l'est pas : dans l'un et l'autre cas, la voie criminelle est interdite au plaignant. Ce point aété jugé par plusieurs arrêts. La Cour de cassation a déclaré, dans une espèce, en prononçant l'annulation d'un arrêt de mise en accusation : « que, si le fait est qualifié crime par l'art. 345 du C. pén., et que conséquemment il en naisse une action criminelle pour l'application de la peine, elle ne peut, aux termes de l'art. 327 du C. civ., être poursuivie qu'après le jugement définitif à intervenir sur l'action civile en réclamation d'état; que, dans l'espèce, cette action n'a point été jugée, ni même intentée 1. Elle a cassé encore, dans une autre espèce, un arrêt de mise en accusation, par le motif: « que l'état vrai ou supposé de l'accusé présentait une question de filiation qui, d'après les principes résultant des art. 326 et 327 du C. civ., ne pouvait être jugée que par les tribunaux civils, seuls compétents pour en connaître, et que toute action criminelle, à raison de ce fait et de ceux qui s'y rattacheraient par la connexité, ne pouvait être intentée qu'après le jugement définitif de la question d'état par les tribunaux civils, question qui n'a été encore dans l'espèce ni jugée ni même soumise à ces tribunaux 2. »

1 Arr. Cass. 24 juillet 1823 (Bull., no 100). * Arr. Cass. 9 juin 1838 (Bull., no 165).

La même décision s'étend-elle à l'action publique? Le ministère public a-t-il la faculté de poursuivre d'office le crime de suppression d'état, lorsqu'il n'y a pas encore de contestation liée ou même apparente devant les tribunaux civils, sur l'état prétendu supprimé ou supposé?

M. Merlin a soutenu que l'action publique pouvait être exercée. Suivant ce magistrat, si cette action était paralysée, il en résulterait l'impunité de toute personne qui, voulant faire passer pour légitime un enfant adultérin, aurait commis un faux pour assurer son état. Or, une opinion qui conduit inévitablement à une pareille conséquence, ne peut être conforme au véritable esprit de l'art. 327. Cet esprit se révèle dans les discussions du conseil d'État. Il résulte de ces discussions, qui ont été précédemment rapportées, que le législateur n'a voulu que faire cesser l'usage frauduleux du droit de poursuivre le délit de suppression d'état par la voie de la plainte; qu'il n'a eu d'autre but que d'empêcher les parties de se procurer par cette voie une preuve purement testimoniale de l'état qu'elles réclament; qu'il ne s'est point occupé de l'accusation qui, dans le silence des parties, serait intentée directement par le ministère public. On lit encore dans le procès-verbal de la séance du 29 fructidor an x : « M. Jollivet trouve l'article incomplet. On en pourrait conclure que l'action de la justice est paralysée lorsqu'il y a eu exposition d'enfant, et que cependant il n'y a point de litige sur la question d'état. M. Treilhard

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