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tion ou du concours de la partie privée ou civile1. » La jurisprudence a été fixée par cet arrêt. Et nous ajouterons que la question n'aurait pu même être sérieusement soulevée ultérieurement, puisque, d'une part, les art. 41 et 47 du décret du 5 février 1810 attribuent formellement au ministère public le droit de poursuite d'office, quand la contrefaçon résulte d'un ouvrage imprimé sans le consentement et au préjudice de l'auteur; et que, d'un autre côté, l'art. 425 du C. pén. déclare que toute contrefaçon est un délit, et que l'art. 427 prononce, 'outre la confiscation, une amende au profit de l'État. Dès lors, le doute qui planait sur le véritable caractère du fait étant levé, et nulle disposition n'ayant soumis à la condition d'une plainte la poursuite des faits de contrefaçon autres que celui prévu par le décret du 5 février 1810, il s'ensuit nécessairement que le droit du ministère public ne pouvait être contesté.

La poursuite de la contrefaçon relative aux inventions industrielles est soumise à une règle différente. Déjà l'art. 12 de la loi du 31 décembre 17907 janvier 1791 avait paru poser en principe l'initiative des parties lésées. Cet article portait : « Le propriétaire d'une patente jouira privativement de l'exercice et des fruits des découverte, invention ou perfection pour lesquelles ladite patente aura été obtenue; en conséquence, il pourra, en donnant bonne et suffisante caution, requérir la saisie des 4 Merlin, Quest. de droit, v' Contrefaçon, § 2.

objets contrefaits et traduire les contrefacteurs devant les tribunaux. »

La loi du 5 juillet 1844 a dissipé les doutes que ce texte un peu confus avait soulevés. L'art. 40 de cette loi déclare que toute atteinte portée aux droits du breveté, soit par la fabrication de produits, soit par l'emploi de moyens faisant l'objet de son brevet, constitue le délit de contrefaçon, et prononce contre ce délit une amende de 100 à 2,000 fr. L'art. 45 ajoute que l'action correctionnelle pour l'application des peines ci-dessus ne pourra être exercée par le ministère public que sur la plainte de la partie

lésée. »

Quel est le fondement de cette exception? On lit dans l'exposé des motifs de la loi : « En principe général, tout délit, dans notre droit, donne lieu à une action répressive qui peut être exercée d'office par le ministère public, de quelque manière qu'il ait acquis la connaissance du fait, et sans qu'il ait besoin d'être saisi par une plainte de la partie lésée. Mais, dans certains cas et par différentes considérations, il ne lui est permis d'agir que sur cette plainte, par exemple, en matière de chasse sur la propriété d'autrui. Le breveté pouvant avoir consenti aux faits qui paraissent constituer une infraction à ses droits exclusifs, il convenait d'établir ici une exception semblable, et de n'admettre la poursuite du ministère public que sur une plainte qui repousse la supposition favorable au libre exercice du commerce et de l'industrie. Tel est l'objet de

l'art. 45 1. » Ainsi, le délit n'existant que par le défaut de consentement du breveté à l'emploi des moyens qui font l'objet de son brevet, et son silence pouvant faire présumer ce consentement, on a conclu que l'action publique ne devait se mouvoir que sur sa plainte, attendu que cette plainte seule constatait qu'il y avait délit.

Ce motif suffit-il pour justifier cette exception? Cela peut paraître douteux. Il est certain que le ministère public, fût-il libre d'exercer une poursuite d'office, ne pourrait l'intenter sans avoir entre les mains les éléments du délit, et par conséquent il faut écarter la crainte des poursuites téméraires apportant d'inutiles entraves à l'industrie. Cela posé, pourquoi imposer aux parties lésées l'obligation d'intervenir? Ne suffit-il pas qu'el les mettent le ministère public à même de prouver le délit? S'il est vrai que la contrefaçon présente, dans un grand nombre de cas, les caractères de la spoliation la plus éhontée, n'y a-t-il pas un intérêt public, indépendant de l'intérêt lésé, à ce que cette fraude soit alors réprimée? Convient-il que l'action publique demeure oisive quand un vol est flagrant? Enfin la question est évidemment la même, soit que la contrefaçon s'applique à la propriété littéraire ou à la propriété industrielle : dans l'un et l'autre cas, la même difficulté peut arrêter la poursuite, puisque le consentement des auteurs a les mêmes effets. Si

1 Exposé du ministre du commerce, séance de la Chambre des députés du 17 avril 1843 (Moniteur du 22).

donc la poursuite peut avoir lieu d'office à l'égard de l'un de ces faits, pourquoi n'aurait-elle pas lieu à l'égard de l'autre? Pourquoi deux règles différentes quand il s'agit du même délit?

que

La question s'est élevée de savoir si, en cette matière spéciale, le désistement du plaignant met un terme à la poursuite. La Cour d'Angers a jugé, avant la promulgation de la loi du 5 juillet 1844, la contrefaçon d'une invention dont l'auteur s'est assuré la propriété et la jouissance temporaire en accomplissant les formalités prescrites par la loi, est un délit, puisqu'elle est punie de peines correctionnelles, et que l'art. 20 de la loi du 15 mai 1838 en attribue la connaissance aux tribunaux correctionnels; que la poursuite de tout délit appartient au ministère public, qui, sauf de rares exceptions, peut agir directement et d'office; que si l'on doit induire de l'art. 12 de la loi du 7 janvier 1791, qu'en matière de contrefaçon d'un ouvrage industriel, la poursuite du ministère public ne peut avoir lieu que sur la plainte de la partie lésée, cette exception au droit commun ne saurait être étendue au delà de ses termes; qu'il suffit donc qu'une plainte ait été portée, pour que le ministère public recouvre la plénitude de son pouvoir et qu'il devienne libre dans son action; que prétendre que la marche de cette action puisse être arrêtée par un changement de volonté de l'auteur de la plainte, ce serait la subordonner à une condition que la loi n'a la loi n'a pas imposée et méconnaître le principe que la renonciation

à l'action civile doit être sans influence sur l'exercice de l'action publique 1. » Cette doctrine a été contestée, depuis la loi du 5 juillet 1844, par M. Renouard, qui se fonde sur ce que l'art. 45 subordonne, non pas seulement la mise en mouvement, mais l'exercice de l'action, à la plainte de la partie lésée2. Il nous semble que cet article, en déclarant que l'action ne pourra être exercée par le ministère public que sur la plainte de la partie lésée, n'a entendu parler que de l'initiative de la poursuite : le ministère public ne peut agir que sur la plainte; mais, une fois qu'il est saisi de cette plainte, il peut exercer l'action. Tel est le vrai sens de ce texte. Soumettre l'action publique, non-seulement à la condition de la plainte, mais encore à la condition du concours de la partie au procès, ce serait ajouter une nouvelle exception à la première; or, cette exception ne pourrait résulter que d'une disposition explicite et précise. Ce n'est qu'en matière d'adultère que la loi, par un texte formel, a fait du concours du mari une condition de l'action. Or, les motifs de cette exception ne se reproduisent point ici. Le propriétaire de l'invention est maître de l'action, puisqu'il peut s'abstenir de porter plainte; mais, lorsqu'il a saisi la justice, il ne peut dépendre de sa volonté de la dessaisir, puisque la transaction même qu'il aurait consentie n'effacerait pas le délit.

Nous avons achevé de parcourir le cercle des excep

Arr. Angers 9 mai 1842 (Devill., 42, 2, 217).
Traité des brevets d'invention, no

223.

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