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fréquemment et qui apporteraient une grave atteinte au droit de propriété.

Or les textes de la loi sont-ils infidèles à cet esprit de la discussion qui les a préparés? Lorsque l'article 67 déclare que les poursuites et actions seront exercées au nom et à la diligence des parties intéressées, il établit le droit de ces parties, il n'exclut pas celui du ministère public, il attribue à l'action privée les mêmes effets qu'à l'action publique, il n'écarte nullement celle-ci. Or, il faudrait une disposition formelle pour suspendre une action qui domine toutes les matières pénales; cette suspension serait une exception, et toute exception doit nécessairement être formulée. Mais, non-seulement la loi ne suspend pas dans ce cas l'action publique, elle en suppose l'exercice l'art. 36 veut que les agents de l'administration qui constatent des délits de pêche dans les eaux des particuliers, transmettent leurs procès-verbaux, non point aux parties intéressées, mais au procureur du roi. Pourquoi cette transmission, si le procureur du roi n'avait pas qualité pour exercer la poursuite? Ce texte suppose donc la compétence de ce magistrat et par conséquent l'exercice facultatif de l'action publique.

Au surplus, cette interprétation a été consacrée dans les termes les plus formels par la Cour de cassation. Les motifs énoncés par cette Cour sont: que les art. 1 et 4 du C. d'instr. crim. investissent le ministère public du droit absolu de poursuivre d'office la répression de tous les délits ; que la loi du

15 avril 1829, loin de déroger à ce principe général, l'a formellement sanctionné en ce qui concerne la pêche fluviale, puisqu'après avoir prononcé la peine des faits qu'elle défend même sur les ruisseaux ou cours d'eau quelconques quand ils n'ont pas été permis par celui à qui le droit de pêche appartient, elle déclare que le gouvernement exerce la surveillance et la police de la pêche dans l'intérêt général, et que les officiers de la vindicte publique exercent, conjointement avec les agents spéciaux par lui institués à cet effet, toutes les poursuites et actions en réparation de ces délits, en quelques lieux qu'ils soient commis; que l'art. 67 de la même loi ne modifie nullement ces règles, puisqu'il ne fait qu'accorder en cette matière, aux parties intéressées, l'action civile qui, dans les délits de droit commun, leur est ouverte par les art. 1 et 3 du C. d'instr. crim.; d'où il suit que le ministère public a la faculté de poursuivre directement aussi bien la répression des délits de pêche qui leur sont signalés, au préjudice des particuliers, que ceux qui sont commis au détriment de l'État 1. » Cet arrêt complète notre démonstration. Il faut donc conclure que la règle exceptionnelle, qui subordonne la poursuite à la plainte des parties lésées, ne s'applique pas aux délits de pêche comme aux délits de chasse, lors même que ces délits ne lèsent qu'un intérêt privé.

1 Arr. Cass. 17 octobre 1838 (Bull., no 334).

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Application aux délits de contrefaçon de la règle qui fait de la plainte une condition de la poursuite.

La poursuite du délit de contrefaçon est soumise à des règles différentes, suivant que la contrefaçon a pour objet la propriété littéraire et artistique, ou la propriété des inventions industrielles.

Le délit de contrefaçon, lorsqu'il s'applique aux œuvres littéraires ou artistiques, peut être poursuivi d'office par le ministère public et sans qu'une plainte préalable de la partie lésée soit nécessaire pour mettre l'action publique en mouvement.

En effet, aux termes des art. 1 et 4 du C. d'instr. crim., cette action, indépendante des intérêts privés, peut saisir tous les faits qualifiés délits par la loi, à moins qu'une disposition exceptionnelle ne vienne l'arrêter ou la suspendre. Or, la législation ne présente qu'une seule disposition qui ait pu soulever quelque doute à cet égard: c'est l'art. 3 de la loi du 19 juillet 1793, portant: « Les officiers de paix seront tenus de faire confisquer, à la réquisition et au profit des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs et autres, leurs héritiers et cessionnaires, tous les exemplaires des éditions imprimées ou gravées sans la permission formelle et par écrit des auteurs. » Mais que résulte-t-il de ce texte? « Sans doute il en résulte, a dit M. Merlin, que le ministère public ne

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peut poursuivre un délit de contrefaçon que lorsqu'il a la preuve que la contrefaçon existe réellement, c'est-à-dire, lorsqu'il a la preuve qu'une édition a été imprimée sans la permission formelle et par écrit du propriétaire, et conséquemment lorsqu'il est averti par le propriétaire lui-même qu'il n'a pas donné cette permission, ou, en d'autres termes, lorsqu'il est requis par le propriétaire de poursuivre les contrefacteurs. Mais, une fois l'avertissement donné au ministère public, une fois le ministère public nanti de la preuve qu'un ouvrage a été imprimé sans la permission du propriétaire, une fois le ministère public assuré par là de l'existence du délit de contrefaçon, dès ce moment l'action du ministère public lui appartient essentiellement 1.,

On peut objecter néanmoins que la loi du 19 jullet 1793 adjuge au propriétaire lésé par la contrefaçon le bénéfice de la confiscation des exemplaires contrefaits, d'où cette conséquence que la poursuite du ministère public doit concourir avec celle du propriétaire. M. Merlin répond encore : « Cette loi fait, comme toutes les lois répressives, dériver deux effets différents du délit qu'elle a en vue : elle en fait sortir une peine, c'est la confiscation dont elle s'occupe dans l'art. 3; elle en fait aussi résulter des dommages-intérêts, et les détermine par l'art. 4... Et il n'importe que le bénéfice de la peine à laquelle aboutit l'action publique soit abandonné par la loi au propriétaire de l'ouvrage contrefait. Conclure de 1 Questions de droit, v Contrefaçon, § 2.

là que l'exercice de l'action publique est subordonné à la volonté du propriétaire, c'est confondre le bénéfice de la peine avec la peine elle-même. La peine une fois prononcée, si elle consiste dans une amende ou dans une confiscation, rien n'empêche que la loi n'en cède le produit à un particulier en récompense du soin qu'il a pris, soit de signaler les coupables au ministère public, soit de les faire arrêter. »

La Cour de cassation a formellement consacré cette interprétation, dans l'espèce même où ces conclusions furent prises, en déclarant « que la poursuite des délits appartient essentiellement et exclusivement au ministère public; que, dans l'espèce, s'agissant d'une plainte en contrefaçon, c'est-à-dire, d'un délit, le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel de la Seine était partie essentielle par la nature du fait, soit pour la poursuite, soit pour la réquisition des peines prononcées par la loi du 19 juillet 1793; qu'en admettant, ainsi qu'on l'a prétendu, que, la nation étant seule intéressée1, la poursuite devait être exercée en son nom par l'agent du trésor public ou par tout autre agent du gouvernement, cette circonstance, en la supposant vraie, n'était pas un motif pour paralyser et éteindre même l'action publique, qui, pour être mise en mouvement, en matière de délit, n'a pas besoin de l'interven

Il s'agissait, dans l'espèce, de la contrefaçon du Dictionnaire de l'Académie francaise, dont une édition seulement avait été cédée par l'État à l'une des parties.

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