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formée, soit par la famille de la fille enlevée, soit par la famille du ravisseur : les uns et les autres ont le même intérêt. La plainte n'appartient qu'aux parents de la jeune fille; car il n'y a que l'intérêt de celle-ci qui soit assez puissant et assez grave pour enchaîner l'action publique; il n'y a qu'elle aussi qui, lorsque le mariage est brisé, puisse avoir besoin d'une réparation publique. Les deux actions peuvent donc être exercées par des personnes diverses. Il suffit que l'annulation ait précédé la plainte; il importe peu qu'elle ait été poursuivie par des parties autres que les plaignants.

Si la nullité avait été demandée par le ministère public lui-même, dans les cas où il a qualité pour le faire, pourrait-il, après l'annulation prononcée, agir d'office contre le ravisseur? Il ne le pourrait pas. est évident, en effet, qu'il n'est pas au nombre des personnes qui, aux termes de l'art. 357, peuvent porter plainte; ce droit ne peut appartenir qu'à la famille offensée, aux parents de la victime; ceux-là seuls sont dépositaires du double intérêt qui peut interdire ou solliciter la poursuite; ceux-là seuls sont en position d'en mesurer les périls ou les avantages et de consulter l'utilité réelle de la mineure. La loi, en déposant l'action entre les mains des familles, a voulu qu'elles pussent éviter un éclat qui pourrait leur nuire; or, le ministère public, dépositaire des intérêts généraux de la société, n'est point chargé de veiller aux intérêts privés des familles 4.

1 Legraverend, t. I, p. 48.

Il résulte de tout ce qui précède que, tant que la plainte n'a pas été portée par l'une des personnes compétentes pour la former, aucune poursuite ne peut être dirigée contre le ravisseur. Mais cette exception est-elle personnelle à celui-ci? doit-elle être étendue à ses complices? Cette question s'est élevée devant la Cour d'assises de la Seine qui a jugé : « que l'exception introduite en faveur du ravisseur ne peut s'étendre jusqu'au complice1. » Il nous semble que cette décision a méconnu le véritable caractère de la fin de non-recevoir. Il ne s'agit point ici d'un privilége personnel, qui couvre l'auteur principal d'un crime, pendant que ses complices sont livrés à la justice. C'est le crime lui-même que la loi a prétendu voiler à la justice, car ce qu'elle a voulu protéger c'est le mariage qui a suivi le rapt; or, comment concilier la paix et la stabilité de cette union avec une poursuite qui révèlerait le scandale de sa formation et flétrirait les époux? Le mariage, dès qu'il n'est pas attaqué, dès qu'il est consacré par l'approbation des familles, ne doit être environné que de respect; comment donc permettre une action qui n'aurait d'autre but que de démontrer qu'il a pris sa source dans un crime? Les complices, par une exception formelle à l'une des règles de la complicité, doivent donc ici suivre le sort de l'auteur principal; c'est l'intérêt de la famille, supérieur à l'intérêt même de la répression, qui commande cette exception.

1 Arr. 26 mars 1834 (Dev., 34, 2, 276).

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Application aux délits d'offense, de diffamation et d'injure de la règle qui subordonne l'action publique à la plainte.

L'action publique, en matière de délits commis par voie de publication, est soumise à la condition de la provocation des parties offensées, dans plusieurs cas qui sont formellement spécifiés par la loi.

Aux termes de l'art. 4 de la loi du 8 octobre 1830, la poursuite de tous les délits commis, soit par la voie de la presse, soit par tous autres moyens de publication, a lieu d'office et à la requête du ministère public, en se conformant aux dispositions de la loi du 26 mai 1819.

Or, la loi du 26 mai 1819 énumère cinq catégo ries de délits qui ne peuvent être poursuivis qu'à la requête et sur la provocation des parties; ces délits sont 1° les offenses envers les Chambres; 2° les offenses envers la personne des souverains ou des chefs des gouvernements étrangers; 3° les diffamations ou injures contre les cours et tribunaux ou autres corps constitués; 4° les diffamations ou injures contre tout dépositaire ou agent de l'autorité publique, contre tout agent diplomatique étranger accrédité près du roi, et contre les particuliers. Nous allons examiner les effets de cette exception dans ces différentes hypothèses.

L'art. 2 de la loi du 26 mai 1819 porte: « Dans le cas d'offense envers les Chambres ou l'une d'elles,

par voie de publication, la poursuite n'aura lieu qu'autant que la Chambre qui se croira offensée l'aura autorisée. » L'art. 15 de la loi du 25 mars 1822, qui attribue à la Chambre offensée le droit de traduire le prévenu à sa barre, ajoute également : si mieux elle n'aime autoriser les poursuites par la voie ordinaire. » Le but de cette disposition a été suivant les expressions de M. de Serre, « de prévenir l'ascendant qu'une majorité devenue constante exercerait sur le gouvernement et par-là sur l'action du ministère public. » Il serait possible, en effet, ainsi que le faisait observer un député dans la discussion de la loi, qu'une majorité, s'irritant contre la liberté de la presse qui dévoilerait ses excès ou ses entreprises, conçut la pensée de l'oppression par des poursuites judiciaires. La nécessité de l'autorisation est destinée à prévenir ce péril. Lorsqu'une délibération solennelle doit précéder la poursuite, il est difficile que cette poursuite soit exercée sans des motifs graves ou qu'il y en ait au moins un abus fréquent.

Doit-on considérer comme une offense envers les Chambres le fait d'exciter le mépris ou la haine des citoyens contre leurs membres? La Cour de Poitiers avait jugé que ce fait rentrait dans les termes de l'art. 10 de la loi du 25 mars 1822 qui punit l'excitation au mépris ou à la haine des citoyens contre une classe de personnes, et elle en avait conclu qu'il pouvait être poursuivi sans autorisation. La Cour de cassation a annulé cette décision: « attendu que

les membres de la Chambre des pairs et ceux de la Chambre des députés, pris collectivement, ne peuvent pas être rangés parmi ces classes de personnes qui occupent dans la société une position commune, qui s'assimilent, soit par leurs intérêts, soit par leurs fonctions ou leur profession; que ces Chambres sont des pouvoirs de l'État; que chacune d'elles constitue un corps politique, et que les lois ont déterminé les formes particulières qui doivent être observées dans la poursuite des délits qui peuvent se commettre envers elles ; que le délit d'excitation publique au mépris ou à la haine des citoyens contre les membres de la Chambre des pairs et ceux de la Chambre des députés renferme nécessairement une offense envers les Chambres; que, dans ce cas, et aux termes de l'art. 2 de la loi du 26 mai 1819, la poursuite ne peut avoir lieu qu'autant que fa Chambre qui se croirait offensée l'aurait autorisée 1. » Cette interprétation parait conforme à l'esprit de la loi, car on ne peut méconnaitre entre les deux hypothèses la plus parfaite analogie.

Mais l'autorisation est-elle nécessaire encore lorsque la Chambre des députés contre laquelle l'offense était dirigée est dissoute au moment de la perpétration du délit? Cette question est née à l'occasion d'une brochure publiée en 1827 sur les obsèques de M. Manuel, député. Le ministère public crut apercevoir dans cet écrit une offense envers la Chambre des députés de 1823 et poursuivit son auteur. Mais

1 Arr. Cass., 13 janv. 1838 (Devil., 1838, 1, 929).

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