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pas opéré la ruine de ceux qui s'y défendaient inutilement ! La révolution a arrêté le cours de ces spoliations. Mais les propriétaires actuels et futurs seront encore plus confians quand ils liront dans le Code de nos lois civiles cette disposition rassurante, qui veut que la propriété d'un bien susceptible de propriété privée puisse être prescrite contre la nation, comme elle peut l'être contre les particuliers.

Enfin le projet de loi, dans ses deux derniers articles, 542-543 marque le caractère distinctif auquel on reconnaîtra quels biens sont communaux ; et en déclarant qu'on peut avoir sur les biens, ou un droit de propriété, ou un simple droit de jouissance, ou des services fonciers à prétendre, il trace à chacun les bornes dans lesquelles il doit se renfermer dans les stipulations qui concernent ses biens.

Tribuns, j'ai été dispensé de faire des efforts pour vous convaincre que le projet de loi sur la Distinction des biens contient toutes les dispositions utiles, qu'elles sont placées dans l'ordre qui leur convient, et que la rédaction en est aussi claire que précise. Le résultat de vos méditations a devancé la proposition que je vous fais, au nom de votre section de législation, d'émettre votre vœu pour son adoption.

L'assemblée générale des tribuns vota l'adoption du projet dans sa séance du 2 pluviose an XII (23 janvier 1804), et MM. Goupil-Préfeln et Savoie Rollin furent chargés d'apporter son vœu au Corps législatif le 4 pluviose.

DISCUSSION DEVANT LE CORPS LÉGISLATIF.

DISCOURS PRONONCÉ PAR LE TRIBUN SAVOIE ROLLIN.

Législateurs, le Tribunat m'envoie discuter devant vous le premier titre du second livre du Code civil, de la Distinction des biens.

RAPPORT FAIT PAR LE TRIBUN GOUPIL-PRÉFELN.

Tribuns, le gouvernement a proposé successivement au Corps législatif, pendant sa session de l'an XI, les projets de tous les titres qui composent le premier livre du Code civil; vous les avez discutés, et le Corps législatif les a décrétés.

Ainsi les dispositions relatives aux personnes sont maintenant uniformes dans toute l'étendue de la République; et, dans cette partie de nos lois civiles, la multitude des coutumes, souvent opposées les unes aux autres, la variété de doctrine et de jurisprudence, les contradictions des auteurs entre eux, n'obscurcissent plus la science de la législation, qui trace à chacun, avec autant de clarté que de précision, le cercle de ses obligations, l'étendue et les limites de ses droits et de ses devoirs.

Ce bienfait serait incomplet si la même uniformité n'existait pas dans les règles qui doivent constituer la base primordiale de l'ordre social, la propriété, et garantir la jouissance dans leur plénitude des droits qui en résultent.

Les lois des anciens peuples, les maximes qu'elles ont consacrées et qui nous ont été transmises avec leur pureté primitive, la législation et la jurisprudence moderne, tout a été mis à contribution pour en extraire ce qui pouvait être le mieux assorti à nos habitudes et à nos mœurs.

Le peuple romain, ce premier législateur de l'antiquité, avait établi trois divisions principales de ses lois civiles, les personnes, les choses et les actions.

Notre Code civil ne traitera point de la troisième division, qui formera un Code spécial, le Code judiciaire. Après avoir réglé ce qui est relatif aux PERSONNES, il contiendra les dispositions relatives aux BIENS.

Dans une société organisée, le mot BIENS serait vide de sens s'il pouvait être séparé de l'idée de propriété; car les

biens seraient précairement dans la possession du plus fort ou du plus entreprenant qui en dépouillerait à discrétion celui qui serait ou plus faible ou plus timide.

Les BIENS doivent être considérés sous deux rapports principaux, ou sous celui des modifications dont la propriété est susceptible, ou relativement aux différentes manières de l'acquérir et de la transmettre.

La distinction des biens est la première modification de la propriété ; et c'est du projet de loi par lequel le gouvernement propose de déterminer les règles de cette distinction que votre section de législation m'a chargé de vous instruire: il formera le titre Ier du livre II du Code.

La distinction des biens en meubles et en immeubles a été 5.6 adoptée dans toutes les législations. Il n'existe aucun bien qui ne soit susceptible de cette distinction. Le premier cha-pitre du projet de loi traite des immeubles; le second des meubles; dans le troisième les biens sont considérés dans leurs rapports avec ceux qui les possèdent,

Les fonds de terre, les bâtimens, les moulins à vent et à 518 à 521 eau fixés sur piliers et faisant partie de bâtiment, les récoltes pendantes par les racines et les fruits des arbres non encore recueillis, les coupes des taillis et des futaies, mais non abattues, sont immeubles. Tous ces objets, tant qu'ils ne sont pas séparés du sol, ne forment qu'un tout avec le fonds auquel ils sont inhérens.

Ils présentent à l'esprit le caractère d'immeubles sans qu'il soit besoin de rechercher les motifs qui leur attribuent cette qualité; elle résulte de leur nature.

Il y aurait de graves inconvéniens à ne pas donner le ca- 521 ractère d'immeubles à quelques objets mobiliers par leur nature que le propriétaire a placés sur son domaine pour son service et son exploitation, et qui ne peuvent en être retirés ou enlevés sans rendre impossible l'exploitation de ce domaine, ou sans le détériorer essentiellement.

Tels sont les animaux attachés à la culture, les ustensiles

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Un Code civil est la collection de tous les droits privés qui appartiennent aux hommes pris dans l'état de société : ces droits ont pour but de leur assurer la liberté civile. Il faut donc qu'un Code civil renferme le système raisonné de tous ces droits; et comme ils sont nécessairement liés entre eux puisqu'ils concourent au même but, il faut que le système démontre cette liaison. L'homme, en entrant dans la société, apporte deux propriétés naturelles, la vie et la liberté; à ces deux propriétés sont attachés tous ses besoins comme être physique, et tous ses besoins comme être intelligent; ils sont les fondemens de ses droits et de ses devoirs : jouir de ses facultés, voilà ses droits; ne pas nuire à l'exercice des facultés de son semblable, voilà ses devoirs : ainsi un Code civil embrasse ces deux objets corrélatifs, l'un qui établit les droits du citoyen, l'autre qui l'empêche de porter atteinte aux droits d'autrui; d'où il dérive que le libre usage de ses droits ne lui est garanti que sous la condition qu'il respectera ceux de ses semblables : de cette limite, imposée à sa liberté naturelle, découlent ses obligations; les obligations naissent à côté des droits; il est évident que le droit exclusif qu'un individu a sur une chose ne peut subsister qu'autant que tout autre individu a contracté l'obligation de ne pas s'en emparer. La liberté civile consiste donc dans cet ordre invariable par lequel, les droits et les obligations qui lient réciproquement les hommes entre eux ne sont jamais troublés ni violés.

Maintenant de quelle nature sont ces droits et ces obligations, et sur quelle matière s'exercent-ils?

Les hommes réunis en société ont des rapports mutuels par les services qu'ils se rendent ou par ceux qu'ils se doivent; les premiers sont volontaires, les seconds sont fixés par la loi ; ceux-là font naître des droits et des obligations qui varient selon la condition des personnes, et ne changent qu'avec la condition elle-même; ainsi l'on est père, époux, fils de famille, tuteur ou pupille; on a la capacité d'acquérir,

de posséder, de contracter, ou l'on n'a pas cette capacité : le Code civil règle tous ces objets, qui tiennent à l'état des per

sonnes.

Les homines n'ont pas seulement des rapports entre eux, ils en ont encore avec les choses; les choses ou les biens composent les diverses espèces de propriété; ces espèces sont sujettes à différentes modifications; le Code civil les caractérise.

Des rapports des hommes entre eux et avec les choses, et des choses aux hommes, dérivent toutes les actions humaines, et par conséquent toutes les conventions au moyen desquelles on acquiert, on possède, on transmet les choses ou les biens.

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Telle est la classification adoptée par le Code dont on vous soumet successivement les parties : elle se rapproche, en la rectifiant, de celle que le droit romain avait consacrée ; elle est plus complète que celle des Institutes, plus méthodique que celle des Pandectes, et plus régulière qu'aucune des deux; elle doit cet avantage à l'idée heureuse qu'a conçue le gouvernement de diviser la législation en autant de Codes. particuliers qu'elle a de parties différentes, sans cesser néanmoins de les assujétir à un plan général de réforme. Ces Codes, ainsi distincts, ne mêleront rien d'hétérogène à leurs matières; ils ne traiteront que des objets qui leur sont propres; ils marcheront sans détour à leur but, et prendront, à mesure de leur confection, la place qui leur est assignée dans le système complet de nos lois.

Déjà le premier livre du Code civil ayant pour objet les personnes a reçu votre sanction; déjà l'approbation universelle des Français a justifié la vôtre, et le seul prélude d'une législation uniforme a fait entrevoir à tous les esprits les biens immenses qui suivront son accomplissement.

Le projet de loi offert à votre délibération forme le titre Ier du livre II du Code civil; il traite de la distinction des biens, et de leurs rapports avec ceux qui les possèdent.

Il réduit la distinction des biens à celle de biens meubles 516

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