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a pu être nécessaire à une époque primitive et qu'il est difficile de déterminer exactement (1), mais les jurisconsultes classiques le répudient; pour eux, la prise de possession consiste seulement dans la faculté physique d'user et de disposer de la chose dès que l'on voudra. Il n'y aurait du reste rien d'extraordinaire à trouver la tradition entourée de formalités qui devaient disparaître, toutes les institutions romaines furent, à leur origine, soumises à des règles strictes.

Dans certains cas, la prise de possession est réalisée par un contact réel de la chose; dans d'autres, cette prise de possession est dispensée de ce contact. Certains auteurs ont prétendu que la prise de possession avait alors lieu par acte symbolique; à côté de la tradition réelle, ils ont vu une tradition feinte. L'école des auteurs, qui soutient cette distinction entre les deux espèces de tradition, est de beaucoup la plus considérable, mais il s'en est formé une autre, d'après laquelle, le droit romain aurait connu la règle que la possession pouvait s'acquérir par un simple acte de volonté, théorie, croyonsnous insoutenable en présence des textes et surtout de la loi 20, C. de pactis.

Cette opinion écartée, doit-on distinguer entre ces deux espèces de traditions? L'une d'elle exista-t-elle avant l'autre ?

Les différents auteurs qui ont traité la question s'accordent sur un point: que la tradition soit réelle ou feinte, il y a acquisition de possession. Tout revient à sa

2. L. 1. § 21, De acq. vel amit. poss. L. 41, t. II.

voir, si la règle est que l'appréhension doit être réelle et l'exception qu'elle peut être feinte, ou s'il n'y a dans toutes les hypothèses que différentes applications d'un seul principe que l'on peut formuler de la manière suivante: « Pour qu'il y ait prise de possession, il suffit que le nouveau possesseur ait la possibilité physique d'agir immédiatement sur la chose et d'en écarter toute action étrangère» (1).

Nous pouvons remarquer d'abord, que les cas où le premier système veut voir des exceptions sont beaucoup plus nombreux que ceux où il trouve une application de la règle. Le contact matériel de la personne et de la chose est souvent impossible à réaliser et les textes nous montrent qu'alors même que cette impossibilité matérielle n'existait pas, il n'était pas accompli. Cela arrivait, notamment, dans la tradition d'un objet faite par la remise des clefs de l'immeuble où cet objet se trouvait enfermé.

De plus, si on regarde la tradition feinte comme une innovation, comme un adoucissement aux anciennes règles supposées de la tradition réelle, il faut, pour prouver cette innovation, dire vers quelle époque elle s'est produite. Or, rien, dans les textes, ne fait allusion à cette modification et cependant les jurisconsultes ont noté avec soin toutes les modifications qui ont été apportées à la théorie de la possession. Citons un exemple remarquable en matière de possession immobilière. On sait,que la conservation de la possession exigea longtemps le corpus

1. Savigny, Traité de la Possession, trad. Faivre d'Audelange, p.

et l'animus; mais quand la règle inverse prévalut, avec quelle attention, avec quel soin les jurisconsultes l'imposent et la développent (1).

Les textes nous parlent indistinctement, dans l'acquisition de possession, de cas où il y a contact matériel de la personne avec la chose et de cas où ce contact n'existe pas. La possession est en général acquise de la manière que l'on donne pour symbolique. Nous n'irons pas cependant jusqu'à dire, avec M. de Savigny (2), que « pour les fonds de terre, l'acquisition symbolique devait avoir lieu généralement. » Le savant jurisconsulte nous donne pour le prouver des raisons peu plausibles. « La partie qui n'a pas été foulée aux pieds n'est pas censée être naturellement appréhendée. » Cet argument tendrait à restreindre trop le nombre des cas où il peut y avoir appréhension réelle, puisque cette appréhension n'existerait,que si toutes les parties de l'immeuble ou du meuble subissaient le contact de celui qui prend possession.

«La

Il est du reste remarquable que les passages où les jurisconsultes romains parlent de l'acquisition de possession sans contact matériel et immédiat de la personne et de l'objet, ne se rapportent pas à des hypothèses spéciales, mais qu'ils établissent au contraire une règle générale : «Non est enim corpore et actu apprehendere possessionem, sed etiam oculis et affectu, » nous dit Paul au Digeste (3). On peut donc affirmer que les Romains n'ont pas

1. Cons. L. 6, § 1. D. L.41, t.2.-L. 3, § 13. D.41,t.2. L. 46, eod. tit. L. 1, § 25. D. 43, 16.

2. Savigny, loc. cit., p. 213. 3. L. 1, § 21, D. L. 41, t. 2.

connu, primitivement, une tradition réelle qui ait été modifiée plus tard et remplacée par un tradition feinte. La tradition a été introduite en droit romain comme mode d'acquisition du droit des gens. La mancipation, la cessio in jure, actes propres au droit romain, revêtaient des formes positives et strictes que le droit civil put conserver avec un soin religieux. Au contraire, les actes qui étaient en usage chez les autres peuples, la vente, le louage, etc., n'étaient pas soumis à des formes positives et nous ne voyons aucune raison pour que ces formes fussent exigées pour la tradition quand elle fut introduite.

Disons donc avec M. Savigny que ce n'est pas le contact matériel qui constitue le corpus, élément physique de la possession; c'est la faculté de disposer de la chose (1). Cela est si vrai que l'on peut parfaitement supposer le contact matériel sans la faculté de disposer, et alors il n'y a pas acquisition de possession.

La tradition qui transferait la propriété comprenait : 1° la faculté de disposer de la chose; 2° la volonté d'aliéner chez l'une des parties, chez l'autre celle d'acquérir, c'est la justa causa traditionis.

Il ne faut pas confondre la justa causa avec le motif qui peut amener la remise de la chose, ce motif peut être une vente, un legs per damnationem, etc. La justa causa n'est pas un acte juridique, c'est, si nous pouvons nous exprimer ainsi, une intention des parties. Si quelqu'un fait tradition, croyant y ètre obligé par une vente, un legs, l'accipiens ne devient pas moins propriétaire ; la

1. V. Savigny, op. cit., § 14.

tradition a son second élément, l'intention de rendre propriétaire, elle transfert la propriété, le tradens n'a plus l'action en revendication, mais il peut agir contre l'accipiens par une action personnelle, la condictio indebiti.

Du reste, ce second élément de la tradition, l'animus, n'a que peu d'importance pour notre sujet, nous n'insisterons pas.

SECTION II.

Applications de la tradition.

Pour que l'acquéreur devienne propriétaire de l'immeuble, il suffit que le tradens autorise l'accipiens à disposer de l'immeuble (1). Ce tradens peut, du reste, manifester sa volonté à distance par messager (2). Il n'est pas nécessaire, pour la perfection de la tradition que les parties se transportent près du fonds à transférer. Il y a tradition, nous dit un texte, si le vendeur montre à l'acheteur l'immeuble qui se trouve à une faible distance (3). D'après les glossateurs, ce n'est pas le contact corporel, mais la perception par les sens, qu'il faut considérer comme le fait nécessaire dans la tradition. Il y aura traditio longa manu quand l'appréhension se fera à distance (4). Ces divers modes d'acquisition, sans contact matériel et surtout la traditio longa manu, étaient sans doute les plus usités et formaient la règle pratique.

1. V. Savigny, Traité de la possession, p. 217.

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