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Si la disposition de la loi française, qui prohibe la recherche de la paternité, est liée à l'ordre public internatio

pour des raisons d'ordre public, écrit notre savant collègue de Naples, ne peut pas par lui-même être un motif suffisant pour refuser à l'étranger, citoyen d'un pays dont la loi autorise la preuve de la paternité, de faire utilement cette preuve, à supposer qu'il veuille établir sa filiation à l'encontre d'un citoyen du même pays étranger... Les raisons en faveur de cette opinion sont les suivantes : De ce que la recherche de la paternité est interdite par l'article 340 du Code civil français, on peut conclure qu'aucune personne soumise à l'autorité de ce Code ne peut valablement faire la preuve de la paternité. Mais on ne saurait soutenir que cette disposition doive être appliquée même aux étrangers, pour leur refuser de demander aux tribunaux français d'accueillir cette preuve d'après leur loi personnelle. On ne saurait admettre en principe que la souveraineté française puisse avoir quelque intérêt à appliquer aux étrangers des lois faites pour les citoyens français, et à leur refuser le droit de faire en France la preuve de la filiation paternelle d'après leur loi personnelle. On ne peut pas admettre, en principe, que la souveraineté française ait quelque intérêt à agir ainsi, pour assurer le respect de l'ordre public. En effet, la recherche de la paternité était admise dans l'ancien droit français, ainsi que durant la législation intermédiaire, et depuis la promulgation du Code civil elle peut encore avoir lieu dans les circonstances exceptionnelles prévues par l'art. 340. Même en admettant que le législateur français, pour protéger l'institution de la famille française, ait cru nécessaire d'interdire cette recherche entre Français, et que dès lors on doive la considérer comme contraire à l'ordre public, faudrait-il également l'envisager de cette façon à l'égard d'un étranger, dont la loi personnelle l'admet? Ne serait-ce pas implicitement soutenir qu'il est contraire à l'ordre public que les rapports personnels entre étrangers soient régis par la loi étrangère? La fixation de l'état personnel d'après la loi à laquelle la personne est soumise ne peut porter atteinte à l'ordre public territorial ». L'argumentation de M. Fiore ne nous paraît nullement concluante; elle revient en définitive à placer toujours, dans tous les cas, l'état et la capacité des étrangers au-dessus des prescriptions de la loi territoriale. La loi personnelle, qui régit cet état et cette capacité, ne trouverait jamais de limite dans l'intérêt de la société locale, dans l'ordre public international. Mais alors pourquoi M. Fiore n'autorise-t-il pas l'enfant adultérin, lui aussi, à prouver sa filiation dans un pays où une semblable preuve est interdite, lorsque la loi à laquelle il ressortit la déclare possible (eod. loc., no 734, p. 274)? La logique de l'éminent professeur n'est-elle pas en défaut, et n'est-on pas en droit de lui reprocher de s'être contredit lui-même ? D'autre part, il ne suffit pas, pour contester au texte qui prohibe la recherche de la paternité le caractère de disposition d'ordre public international, de signaler les étapes successives et diverses par lesquelles la législation a passé sur ce point. Que la recherche de la paternité ait été admise autrefois en France, c'est possible; elle le sera peut-être un jour encore;

nal et s'impose à ce titre aux plaideurs étrangers, il est clair que le tempérament unique que cette prohibition rencontre dans l'article 340 du Code civil n'est pas non plus susceptible d'extension, au gré de la loi personnelle des parties. Le fils italien ne saurait invoquer en France contre un autre Italien, dont il se prétend issu, l'article 189 du Code italien, qui autorise la recherche de la paternité, non seulement en cas d'enlèvement, mais même en cas de viol. Les raisons morales qui ont amené le législateur français à restreindre le plus possible les exceptions au principe par lui posé conservent toute leur force, quand il s'agit d'étrangers; ici encore l'ordre public international est en jeu1.

Au surplus, il n'est pas nécessaire, pour que la loi étrangère se heurte sur notre territoire à l'obstacle infranchissable que lui oppose l'ordre public international, que cette loi permette à l'enfant qui a fait en justice la preuve de sa filiation paternelle de réclamer, au regard de son père, tous les droits que le Code civil fait découler de la paternité volontairement reconnue, qu'elle crée entre lui et son

mais à l'heure actuelle elle ne l'est pas; et, si elle est interdite, c'est sous l'influence de considérations que l'on peut blâmer, mais dont il n'est pas permis de méconnaître la portée morale et le caractère absolu. Ce qui est d'ordre public international aujourd'hui peut très bien ne pas l'avoir été toujours dans le passé. Nous l'avons dit ailleurs : l'ordre public international est chose essentiellement mouvante; ses exigences se modifient avec l'état des mœurs et les transformations sociales; elles peuvent devenir plus ou moins rigoureuses (V. ci-dessus, tome troisième, p. 95); et ce qui s'est passé dans notre pays à propos du divorce nous fournit un exemple éclatant de cette évolution.

De même, M. Keidel (Journal du dr. int. pr., 1899, p. 247), conclut du principe posé dans l'article 21 de la loi d'introduction du nouveau Code civil allemand, suivant lequel le devoir d'assistance dont le père naturel étranger est tenu vis-à-vis de son enfant a toujours pour limite, quelle que soit la nationalité de ce dernier, le taux fixé par la loi allemande, que la femme étrangère, lorsqu'elle agit en Allemagne contre le père de son enfant, pourra se voir opposer l'exception plurium concumbentium, prévue par l'article 1717 du Code civil, et d'une manière générale qu'il est loisible au défendeur de recourir à tous les moyens de preuve de nature à ébranler la présomption de paternité admise par la loi étrangère.

père de véritables rapports de famille. Ce que la loi française redoute, ce que l'ordre public international défend, c'est la recherche de la paternité, ce sont les investigations incertaines et scandaleuses auxquelles l'enfant pourrait se livrer. Or ces investigations ne seront pas moins dangereuses, le scandale ne sera pas moins grand, si le but poursuivi par le demandeur, conformément à la loi qui le régit, par exemple à la loi allemande, est uniquement d'obtenir de son père prétendu des secours alimentaires, de se faire aider par lui, pendant la période de l'enfauce. Une telle demande, bien qu'elle ne doive pas avoir pour effet de faire entrer l'enfant dans la parenté de son auteur, bien qu'elle soit exclusivement pécuniaire, n'en constitue pas moins une recherche de la paternité; elle tombe sous le coup de l'article 340 du Code civil.

Il est vrai que notre solution se heurte à la jurisprudence, de plus en plus accréditée en France, suivant laquelle la fille-mère est en droit de réclamer une indemnité à son séducteur, dans le cas où ce dernier aurait eu recours à des manoeuvres frauduleuses pour amener son déshonneur. Si les tribunaux français ne voient pas de raison pour repousser, comme contraires à la morale et à l'ordre public, l'action de la mère naturelle et la démonstration qu'elle implique, pourquoi n'accueilleraient-ils pas de même l'action alimentaire, intentée dans les circonstances analogues, par un étranger contre un autre étranger? L'objection est sérieuse; néanmoins elle ne nous arrêtera pas. Le système suivi depuis quelques années par nos tribunaux est des plus arbitraires ; il est en opposition manifeste avec la règle écrite dans l'article 340 du Code civil; il autorise en fait, pour des raisons dont nous n'avons pas à apprécier la valeur législative, la recherche de la paternité que ce texte prohibe; il fait le plus étrange abus de l'article 1382, qui oblige d'une manière générale celui par la faute duquel un préjudice a été causé à une autre personne à le réparer. N'est-il pas d'évidence en effet que la

réparation d'un préjudice ne peut être demandée en justice qu'autant que la preuve de ce préjudice et de la faute qui l'a engendré est légalement possible? Or la preuve de la paternité naturelle ne l'est pas.

La jurisprudence que l'on nous oppose procède donc, suivant nous, d'un point de départ inexact; il n'est pas permis d'en tirer argument contre notre thèse. Tant que la recherche de la paternité n'aura pas pénétré dans nos lois, tant que l'article 340 du Code civil restera debout, toute action tendant, même indirectement, à faire la preuve de cette paternité, fût-ce au profit d'un étranger et contre un étranger, doit être impitoyablement écartée par les juges français. L'action de la mère naturelle et celle de l'enfant lui-même ne pourraient triompher qu'autant qu'elles auraient pour base l'engagement formel que le père aurait pris de subvenir aux besoins de cet enfant en pareil cas, en effet, on n'est plus en présence d'une recherche de paternité, ouverte et déguisée mais d'une simple obligation contractuelle, volontairement souscrite, dont l'exécution est poursuivie3.

N'exagérons pas cependant la rigueur de notre doctrine. De ce qu'un tribunal français ne pourrait admettre un étranger à poursuivre chez nous la constatation de sa filiation paternelle, il ne s'ensuit nullement que cette constatation, valablement faite à sa requête contre un autre étranger, dans un pays où elle est licite, doive être tenue en France pour non avenue. Ce que la loi française a voulu prévenir, ce qu'elle réprouve, c'est non pas l'aveu forcé ou la reconnaissance judiciaire d'une paternité, qu'une reconnaissance spontanée pourrait établir, mais un procès scandaleux, mais des investigations qui seraient un péril et une offense pour la morale publique. Et, du moment que

1 Cf. Despagnet, op. cit., 3o éd., no 274, p. 556.

V. en ce sens : Despagnet, op. et loc. cit. — Caen, 5 juillet 1875 (Sir. 1875. 2.331).

ce procès, que ces recherches ont eu lieu loin de nos frontières, l'ordre public international est à l'abri de toute atteinte, et nos tribunaux ne le blesseront en rien, s'ils font produire tous ses effets à la sentence de la justice étrangère. La plupart des auteurs sont en ce sens1, et la jurisprudence elle-même incline à permettre à l'étranger d'invoquer en France la déclaration de paternité naturelle obtenue par lui hors de notre territoire.

Une exception devrait cependant être apportée à cette règle pour le jugement étranger qui constaterait une filiation adultérine ou incestueuse. Le Code civil en effet, et abstraction faite du scandale de la preuve, défend le simple aveu, d'une telle filiation, comme contraire à l'ordre public international3.

Et, de toute façon, la déclaration de paternité prononcée à l'étranger contre un Français ne pourrait être mise à exé

1 Laurent, op. cit., t. V, p. 547; Asser et Rivier, op. cit., p. 127; Pillet, De l'ordre public en droit international privé, p. 47; Despagnet, op. cit., 3o éd., no 274, p. 557; Albéric Rolin, op. cit., t. II, no 618, p. 145; de Vareilles-Sommières, op. cit., t. II, no 884, p. 131; Bartin, dans le Journal du dr. int. pr., 1897, p. 723; Fedozzi, ibid., 1897, p. 449.

2 Paris, 24 décembre 1866 (Bull. C. Paris, 1er janv. 1867); Pau, 17 janvier 1872 (Sir. 1872. 2. 233); Trib. civ. Seine, 26 novembre 1896 (Journal du dr. int. pr., 1897, p. 137). V. cep. Paris, 8 février et 22 avril 1864 (Bull. C. Paris, 1864, p. 601); Neuchâtel, 26 mars 1881 (Journal du dr. int. pr., 1887, p. 115). - Des motifs donnés au texte, il résulte que nous ne pouvons approuver l'arrêt du tribunal régional supérieur de Cologne, en date du 10 février 1890 (Journal du dr. int. pr., 1894, p. 154), suivant lequel la prohibition édictée par l'article 340, C. civ., ne s'oppose pas à ce qu'un juge appartenant à un pays où elle est en vigueur mette à exécution la commission rogatoire qu'il reçoit d'un tribunal non lié par cette prohibition, et procède en conséquence à une enquête destinée à établir une paternité naturelle; en pareil cas, c'est sur le territoire régi par le Code civil que se produirait le scandale qu'il a voulu prévenir; c'en est assez pour que la commission rogatoire étrangère n'y obtienne aucun effet.

3 Audinet, op. cit., no 575, p. 426; Despagnet, op. cit., 3o édit., no 274, p. 557. V. cependant Pillet, op. et loc. cit.; Albéric Rolin, op. cit., t. II, no 618, p. 146; de Vareilles-Sommières, op. cit., t. II, no 845, p. 131; Juvara, op. cit., p. 82; Daireaux, dans le Journ. du dr. int. pr., 1886, P. 297.

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