Page images
PDF
EPUB

la recherche de la paternité, et à réclamer au regard de cet étranger les droits d'un enfant naturel. Inversement un enfant de nationalité étrangère ne pourra, même à l'étranger, agir en recherche de maternité adultérine ou incestueuse contre une Française, ou en recherche de paternité contre un Français.

Lorsque les deux législations sont d'accord pour autoriser la preuve de la filiation naturelle de l'enfant, il faut encore déterminer à laquelle il revient d'indiquer les moyens par lesquels cette filiation pourra être établie; et, dans le conflit de la loi de l'enfant et de celle de l'auteur dont il se réclame, nous nous prononçons, comme nous l'avons fait à propos de la filiation légitime, pour la loi personnelle de l'enfant, dont l'état est seul directement en cause'.

Est-ce un Italien qui veut prouver sa filiation contre une femme française, il n'aura pas besoin de justifier d'un commencement de preuve par écrit, ainsi que l'exige l'article 344 du Code civil français, pour que la preuve testimoniale lui soit ouverte; il lui suffira d'invoquer des présomptions, conformément à l'art. 190 du Code civil italien.

Ainsi encore l'enfant espagnol ou portugais pourra avoir de plano recours au témoignage, dans l'instance en déclaration de maternité qu'il dirige contre une Française, non seulement en dehors de tout commencement de preuve par écrit, mais même en dehors de touté présomption qui viendrait à l'appui de sa demande.

En vain, prétendrait-on que, lorsque l'instance est intentée sur le territoire français, nos tribunaux ont le devoir d'appliquer à la lettre la disposition de l'article 341, C. civ., que cette disposition est d'ordre public

V. ci-dessus, p. 24 et s., et les auteurs cités, p. 26, note 1. Cf., C. de la Martinique, 18 mai 1878 (Journal du dr. int. pr., 1878, p. 507). En sens contraire, Gènes, 14 décembre 1891 (Journal du dr. int pr., 1894, p. 184); Trib. sup. fédéral du Brésil, 8 février 1896 (Ibid., 1896, p. 1080).

international. La réponse est aisée : «< L'exigence de cet article ne peut s'expliquer que par la défaveur que le Code Napoléon témoigne aux enfants naturels, et à la rigueur par l'intention de protéger la femme et sa famille. Si telles sont les raisons de l'article 341, il est évident qu'il ne concerne que les Français, car le Code civil n'a aucun intérêt à protéger la femme étrangère, ni à encourager la famille légitime étrangère. Il est encore évident qu'on ne peut pas parler ici du scandale résultant des débats, car le scandale est le même, qu'il y ait ou non commencement de preuve par écrit »1.

De même, l'enfant français ne pourra agir en recherche de maternité contre une femme italienne ou espagnole, fût-ce devant les juges nationaux de la défenderesse, que s'il est en règle avec la loi française; il ne pourra fonder sa demande sur la preuve testimoniale que si cette preuve se trouve corroborée par un commencement de preuve par écrit; il ne pourra même invoquer, comme preuve de sa filiation, l'acte de naissance dans lequel sa mère a été nommée, bien que la législation du pays où le procès est engagé permette d'y avoir égard2. .

Mais, tout au moins l'enfant naturel ne sera-t-il pas admis à se prévaloir, à l'appui de sa demande, de la possession d'état qui lui est acquise dans ce pays, dans le cas où la loi qui y est en vigueur, à la différence de celle à laquelle il ressortit lui-même, lui attribuerait quelque force probante? Cela dépend du degré de force probante que cette loi attache à la possession d'état. Admet-elle, en dehors de toute contestation, de toute instance judiciaire, la possession d'état, constante et ininterrompue, de l'enfant naturel, comme une preuve complète et se suffisant à elle-même de la filiation qu'il allègue, nul doute que cette possession d'état, qui équivaut en somme à une reconnais

[blocks in formation]

2 V. Trib. civ. Bordeaux, 26 février 1886 (Journal du dr. int. pr., p. 316).

1887,

sance tacite, faite à l'étranger, ne puisse être invoquée par l'enfant français, même en France. La règle Locus regit actum le veut ainsi1. Au contraire, la possession d'état ne constitue-t-elle, au regard de la loi étrangère, qu'une simple présomption, qu'un élément de preuve, pouvant servir à établir la filiation de l'enfant, en d'autres termes à faciliter son action en recherche de maternité, sans la dispenser de porter cette action devant les tribunaux, et sans dispenser ceux-ci de se livrer à un examen, à une appréciation des faits qui leur sont révélés, l'enfant naturel de nationalité française ne pourra y avoir recours. C'est en effet la loi de cet enfant qui, seule, a qualité, pour déterminer les modes de preuve que le juge, saisi d'une contestation relative à sa filiation, peut admettre2.

Que si l'enfant avait changé de patrie et par suite de loi personnelle, ou si cette loi elle-même avait subi une modification, dans l'intervalle qui s'est écoulé entre la naissance et le procès, c'est à la loi en vigueur à la première de ces deux époques qu'il faudra se référer pour savoir par quels modes la filiation sera prouvée. C'est en effet au jour de l'accouchement qu'est né le rapport juridique et que s'est fixé l'état dont la preuve est débattue; et un changement de nationalité ou de législation ne saurait exercer aucune influence sur un droit qui a été acquis à l'enfant à l'encontre de ses auteurs, à l'instant et par le fait de sa naissance".

Tandis que la loi de chacune des parties entre lesquelles

1 V. ci-dessus, p. 53.

Cf. Bordeaux, 14 mars 1849 (D. P. 1851. 2. 13); Paris, 2 août 1866. (Sir. 1866. 2. 342; D. P. 1867. 2. 41); Aix, 27 mars 1890 (Journal du dr. int. pr., 1891, F. 210); et Bartin, dans le même Journal, 1897, p. 723. Despagnet, op. cit., 3o éd., no 274, p. 557; Paris, 2 août 1866

3

(Sir. 1866. 2. 342; D. P. 1867. 2. 41); et Cass. 25 mai 1868 (Sır. 1868. 1. 365); Trib. civ. Seine, 26 juillet 1894 (Journal du dr. int. pr., 1894, p. 1007). Cf. Cass. Rome, 23 mars 1887 (aff. Lambertini) (Ibid., 1887, p. 671); Cass. Turin, 7 juillet 1887 (Ibid., 1888, p. 426). V. ci-dessus, p. 26.

l'instance est engagée doit être prise en considération pour décider si la recherche de la filiation naturelle est possible, c'est donc à la loi personnelle de l'enfant, à celle sous l'empire de laquelle l'enfant était placé au moment où il est venu au monde, qu'il appartient d'indiquer les moyens de preuve sur lesquels cette recherche pourra ou devra s'appuyer.

Ce n'est pas à dire toutefois que la loi territoriale, que la loi du tribunal saisi de la demande de l'enfant n'ait jamais à intervenir dans le débat.

Nous avons déjà vu, à propos de la filiation légitime, que tout ce qui concerne l'administration matérielle des preuves reconnues admissibles, les formes de l'enquête par exemple, est du ressort nécessaire de la lex fori1. Mais cette lex fori trouve encore dans l'ordre public international bien d'autres applications en notre matière.

Encore que l'enfant appartienne, ainsi que les auteurs auxquels il prétend se rattacher, à un pays où la recherche de la filiation adultérine ou incestueuse est autorisée, il n'est pas douteux qu'une semblable recherche, qui blesse au plus haut point la conscience publique, ne serait pas admise à se produire en France, où l'article 342 du Code civil la prohibe2.

Nous en dirons autant de la recherche de la paternité simple. A supposer que l'enfant puise dans sa loi personnelle, qui est en même temps celle du père dont il se réclame, la faculté d'intenter contre ce dernier une action en recherche de paternité, nous tenons pour certain qu'il ne serait pas recevable à agir à cet effet sur le territoire d'un État où la recherche de la paternité est interdite, comme en France. L'article 340 du Code civil français, aussi bien que l'article 342 auquel nous venons de faire

1 V. ci-dessus, p. 16.

2 V. les auteurs cités ci-dessus, p. 48, note 3; Adde Fiore, op. cit., 2e éd. (trad. Ch. Antoine), t. II, no 734, in fine, p. 274.

allusion, est une disposition d'ordre public international: cela ressort des motifs mêmes qui l'ont inspiré. Le législateur a reculé devant les difficultés et le scandale d'une preuve toujours incertaine, devant les spéculations immorales dont elle n'eût pas manqué d'être l'occasion ou le prétexte'. Or ces difficultés, ce scandale, ces spéculations ne sont pas moins à redouter, dans l'instance en déclaration de paternité, introduite en France par un étranger, que dans celle dont un Français aurait pris l'initiative; l'intérêt général repousse l'une comme l'autre, et l'article 340 s'applique aux étrangers aussi bien qu'aux nationaux sur le sol français. La jurisprudence française et la doctrine de nos auteurs paraissent bien fixées en ce sens : « L'article 340, dit la Cour de cassation, qui prohibe la recherche de la paternité, tient essentiellement à l'ordre public; instruit par l'expérience du passé, le législateur moderne a dû sacrifier le désir d'atteindre le père coupable, au besoin social d'écarter des procès scandaleux qui seraient un danger pour la morale et une incessante menace à la sécurité des familles 2 ».

2

Lahary, Rapport au Tribunat (Locré, t. III, p. 115); Bigot-Préameneu, Exposé des motifs (Ibid., t. III, p. 94); Duvergier, Discours (Ibid., t. III, p. 136).

* Cass., 25 mai 1868 (aff. Civry) (Sir. 1868. 1. 365); V. dans le même sens: Bertauld, op. cit., t. I, no 27; Phillimore, Private international law, p. 386; Durand, op. cit., p. 345; Albéric Rolin, op. cit., t. II, no 618, p. 145; Surville et Arthuys, op. cit., 3o éd., n. 310, p. 327; de Vareilles-Sommières, op. cit., t. II, no 844, p. 131; Despagnet, op. cit., 3o éd., no 274,p. 555; Bartin, Etudes de droit international privé, p. 207. - Paris, 2 août 1866 (Sir. 1866. 2. 342, D. P. 67. 2. 41); Trib. civ. Marseille, 26 janvier 1889 (Journal du dr. int. pr., 1889, p. 876); Aix, 27 mars 1890 (Ibid., 1891, p. 210); Trib. civ. Seine, 26 novembre 1896 (Ibid., 1897, p. 137); Trib. civ. Tunis, 27 décembre 1897 (Ibid., 1898, p. 358); Trib. civ. Seine, 13 janvier 1898 (Ibid., 1898, p. 550); Paris, 16 mars 1899 (Ibid., 1899, p. 801); Cass. Naples, 5 juin 1876 (Ann. della Giurispr. ital., 1876. 2. 576); Milan, 11 juin 1877 et Cass. Turin, 29 octobre 1878 (Monit. des trib., 1879, p.302). L'opinion contraire a cependant été défendue par plusieurs auteurs. V. Laurent, op. cit., t. V, p. 541 et s.; Ch. Brocher, op. cit., t. I, p. 329 et s.; Fiore, op. cit., 2e éd. (trad. Ch. Antoine), no 733, p. 273. « Le fait que la recherche de la paternité est défendue dans un pays donné

« PreviousContinue »