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la dignité du mariage. L'action en justice, quel que soit son résultat, est fatale pour l'union des époux. Aussi le législateur n'a fait céder la présomption de paternité du mari de la mère que dans les seuls cas où elle serait à son égard d'une injustice flagrante. Quelle que soit la nationalité des époux, ces raisons conservent la même force et comportent la même solution ».

Faut-il voir aussi une disposition d'ordre public international dans l'article 316 du Code civil français, qui limite à un ou à deux mois l'exercice de l'action en désaveu, et, passé ce délai, refuser le droit d'agir en France au mari russe ou allemand par exemple? On pourrait dire, dans le sens de l'affirmative, que, si le législateur français n'a pas permis de poursuivre le désaveu, après un ou deux mois écoulés, c'est qu'il a obéi à des vues morales, à la nécessité de restreindre dans une période très courte une situation périlleuse pour la paix des familles, au maintien de laquelle l'État est directement intéressé. Mais est-ce bien là le point de vue auquel se sont placés les rédacteurs du Code civil? L'article 346 s'explique, à notre avis, par un double motif, auquel l'ordre public international est entièrement étranger. On a observé, d'une part, qu'un ou deux mois, passés sans réclamation, sont de nature à faire présumer chez les intéressés la volonté de renoncer au désaveu, et de reconnaître la légitimité des enfants nés pendant le mariage, de l'autre que, plus on s'éloigne de la naissance, plus la preuve de la filiation de l'enfant devient incertaine et difficile à fournir. Mais la loi française ne se préoccupe, dans cet ordre d'idées, que de l'intérêt particulier de ses ressortissants, et il serait en vérité bien difficile de soutenir que la décence publique et l'intérêt général se trouveront plus gravement offensés en France, si le procès en désaveu est intenté un an après l'accouchement, par un étranger auquel sa loi personnelle donne encore le droit d'y re

1

Pillet, De l'ordre public en droit international privé, p. 48.

courir, que si ce même procès avait été jugé quelques mois plus tôt.

Vainement objecterait-on que la fixation du délai dans lequel une action doit être introduite est du domaine de la procédure, et doit par suite être appréciée d'après la loi du tribunal saisi, d'après la lex fori'. L'objection nous est connue et nous y avons déjà répondu. Le délai imparti par l'article 316 du Code civil n'est pas un simple délai de procédure; il limite et définit le droit du mari ou de ses héritiers; il fait corps avec lui. C'est donc la loi qui détermine la nature et l'étendue de ce droit, c'est-à-dire la loi personnelle des parties, qui seule est qualifiée pour le régir2.

Nous avons supposé jusqu'ici que l'enfant, dont la légitimité fait l'objet du débat, relève de la même loi personnelle que les époux au cours du mariage desquels il est né ou a été conçu : c'est l'hypothèse la plus ordinaire et la plus fréquente. Mais qu'arrivera-t-il, si les lois personnelles sont différentes, si l'enfant possède, en naissant, une nationalité autre que celle qui appartient à sa mère et au mari de sa mère?

Un enfant est né en France de la femme d'un étranger qui lui-même y est né. La loi du 26 juin 1889 lui attribue de plein droit et sans retour la qualité de Français (C. civ., art. 8, 3°). Le mari intente une action en désaveu. Est-ce d'après sa propre loi personnelle étrangère, ou d'après la loi française, loi personnelle de l'enfant, que devra être résolue la question de savoir si la présomption Pater

1 V. ci-dessus, p. 12.

2 Duguit, Conflits de législ., p. 93, et Journal du dr. int. pr., 1885, p. 372 et 373, Ch. Brocher, Cours de dr. int. pr., t. 1, p. 307; Rougelot de Lioncourt, op. cit., p. 231; Fiore, op. cit., 2e éd. (trad. Ch. Antoine), t. II, no 703, p. 235; Surville et Arthuys, op. cit., 3o éd., n. 308, p. 325; Albéric Rolin, t. II, p. 614, p. 138; Despagnet, op. cit., 3° éd., n. 271, p. 553; Keidel, dans le Journal du dr. int. pr., 1899, p. 244. — Douai, 23 novembre 1806 (Merlin, Répertoire, v° Legitimité, sect. IV, § 3, n. 3); Reichsgericht de Leipzig, 10 juin 1895 (Journal du dr. int. pr., 1897, p. 590).

is est est applicable à cet enfant, et si le désaveu est possible?

La plupart des auteurs enseignent que c'est la loi du mari qui doit être prise en considération; et ils se fondent sur ce que la filiation légitime est une dépendance du mariage, dont, comme nous l'avons vu, la loi du mari régit exclusivement les effets : « Le fait accidentel que la naissance s'est produite en un lieu donné ne peut pas, disent-ils, influer d'une manière décisive sur la loi qui gouverne le rapport juridique. En effet, comme il n'a aucune influence à l'égard du changement de la loi régulatrice des rapports de famille, il ne peut en avoir aucune à l'égard de la détermination de la loi qui régit la paternité et la filiation. Le rapport de filiation légitime dépend du fait que quelqu'un a été conçu ou tout au moins est né pendant le mariage. Or ce doit être la loi, sous l'empire de laquelle est placée la famille et qui doit déterminer et régler les liens juridiques existant entre les membres de celle-ci, qui doit servir à décider si un individu doit ou non ètre présumé né durant le mariage »1.

En ce qui nous concerne, nous préférons nous en tenir à la loi personnelle de l'enfant. Toutes les fois qu'un conflit de droit s'élève entre deux lois personnelles il faut faire prévaloir celle de la partie dont l'intérêt est le plus directement en cause. Or, dans notre hypothèse, il n'est pas contestable que c'est l'état de l'enfant, et non pas celui du mari de sa mère, que le désaveu intéresse au plus haut

1 Fiore, op. cit., 2o édit., t. II (trad. Ch. Antoine), no 705, p. 238; Ch. Brocher, Cours de dr. int. pr., t. I, p. 316; Asser et Rivier, op. cit., p. 124; Duguit, Conflits de législ., p. 93, et Journal du dr. int. pr., 1885, p. 359 et B.; de Bar, op. cit., 2o éd., t. I, no 192, p. 534; Surville et Arthuys, op. cit., 3 éd., no 305, p. 323; Albéric Rolin, op. cit., t. II, no 613, p. 137; Loi fédérale suisse du 25 juin 1891, art. 8; C. civ. allemand, Loi d'introd., art. 18; Cass. Florence, 1er décembre 1884 (Sir. 1885. 4. 13); Gênes, 14 décembre 1891 (Journal du dr. int. pr., 1894, p. 184). Reichsgericht de Leipzig, 10 juin 1895 (ibid., 1897, p. 590).

2 V. ci-dessus, tome troisième, p. 320.

degré. N'y aurait-il pas d'ailleurs quelque défaut de logique à faire dépendre l'état de l'enfant de la loi d'un homme, auquel le succès de l'action en désaveu aura précisément pour effet de démontrer qu'il ne doit pas la vie, qu'il lui est et qu'il lui a toujours été complètement étranger1? Et la solution à laquelle nous croyons devoir nous rallier, présente en outre ce grand avantage qu'elle nous dispense d'entrer dans l'examen des questions très délicates auxquelles peut donner lieu le changement survenu dans la nationalité ou dans le domicile du mari, dans l'intervalle qui sépare la conception et la naissance de l'enfant. De même nous n'avons pas à nous occuper de l'influence que pourrait exercer sur la condition de l'enfant posthume la modification subie par la nationalité de sa mère, après le décès du mari, mais antérieurement à la naissance de cet enfant3. Peu importe, dans notre système, la nationalité de la mère et de son mari; peu importent les lois personnelles, auxquelles ils ont été soumis l'un et l'autre ? Une seule chose est à considérer la loi personnelle de l'enfant; et sa détermination sera presque toujours aisée.

Il est cependant possible qu'un conflit s'élève, non plus entre la loi personnelle du mari et celle de l'enfant, mais entre deux législations dont ce dernier a successivement relevé lui-même. L'enfant a changé de patrie dans l'intervalle de sa naissance et du jour où sa légitimité vient à être contestée ou réclamée. Est-ce la loi de sa nouvelle patrie, ou celle de sa patrie d'origine, qui devra être appliquée à la solution du litige? Nous nous prononçons sans hésiter pour cette dernière. C'est au moment de la naissance de l'enfant que sa filiation se forme; c'est donc la loi qui a présidé à cette naissance, qui est le mieux à même d'en

1 Laurent, op. cit., t. V, p. 515; Durand, Essai de droit int. pr., p. 340; Despagnet, op. cit., 3° édit.. no 270, p. 552; Audinet, op. cit., no 571, p. 423. 2 V. sur ces difficultés, Fiore, op. cit., 2° édit., t. II (trad. Ch. Antoine), no 707, p. 240; Surville et Arthuys, op. cit., 3o éd., no 305, p.323. Cf. Fiore, op. et loc. cit., no 708, p. 242.

diriger la preuve. Les changements que sa nationalité a pu recevoir par la suite doivent demeurer sans influence sur un fait qui les a précédés. Et, si cette décision s'impose, c'est surtout lorsqu'on se place au point de vue des législations, encore si nombreuses, qui associent l'enfant mineur à tout changement de nationalité accepté ou subi par le chef de la famille. Il serait dangereux de laisser à ce dernier la faculté de compromettre l'état de l'enfant, en se ménageant, par une naturalisation opportune, un moyen de désaveu ou un délai, que lui eût refusés sa loi d'origine'.

En résumé:

1° Lorsqu'un conflit s'élève, quant au moyen de prouver la filiation légitime, entre la lex fori et la loi personnelle des parties, cette dernière l'emporte en principe.

2° Il faut donner la préférence à la loi personnelle de l'enfant sur celle de ses parents.

3° Lorsque l'enfant a changé de patrie, c'est la loi dont il a relevé au jour de sa naissance qui doit être appliquée à la contestation dont sa filiation est l'objet.

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Parmi les enfants nés hors mariage, on peut distinguer les enfants naturels proprement dits, et ceux qui, issus d'un commerce irrégulier, ont obtenu, par un fait postérieur à leur naissance, le bienfait de la légitimation. La condition juridique des uns et des autres donne lieu à de sérieuses difficultés, au point de vue du droit international privé.

1 Durand, op. cit., p. 341; Duguit, dans le Journal du dr. int. pr., 1885, p. 360; Despagnet, op. cit., 3e édit., no 270, p. 551; Asser et Rivier, op. cit., p. 124; Ch. Brocher, op. cit., t. I, p. 315; de Bar, op. cit., 2o éd., t. I, no 192, p. 534; Pillet, dans le Journal du dr. int. pr., 1895, p. 511.

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