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Les articles 326 et 327 du Code civil français attribuent juridiction aux tribunaux civils, à l'effet de connaître des actions en réclamation d'état, et suspendent toute action au criminel pour suppression d'état, jusqu'à ce que ces tribunaux se soient définitivement prononcés sur la difficulté. Les contestations relatives à l'état d'un étranger, soulevées en France, ne sauraient échapper à cette règle de compétence, quoi que décide à cet égard la législation personnelle dont il relève. Et inversement un Français ne pourrait se voir objecter les dispositions de la loi française, en un pays où il est permis de porter en premier lieu les questions d'état devant les juges de répression. Pour lui, comme pour l'étranger en France, c'est la lex fori qui fixe la compétence des tribunaux auxquels le litige sera régulièrement déféré; l'ordre public international le veut ainsi1.

De même il va sans dire que la lex fori a scule qualité pour déterminer les règles ordinatoires de procédure, auxquelles sera soumise l'action en réclamation ou en contestation de légitimité. Ces règles, aussi bien que celles qui gouvernent l'ordre des juridictions et la compétence judiciaire, font partie du droit public de l'État qui les a instituées; il n'appartient pas à un plaideur étranger d'en récuser l'application".

Ce ne sont pas d'ailleurs les seuls cas dans lesquels la loi territoriale fera échec à la loi personnelle des plaideurs, en matière de filiation légitime. L'article 322 du Code civil français, suivi en cela par le Code civil italien (art. 173), met audessus et à l'abri de toute contestation la légitimité de l'enfant, lorsqu'elle se fonde sur un acte de naissance joint à une possession d'état conforme. Cette disposition se limite-t-elle aux seuls nationaux, ou bien l'enfant étranger, né d'une famille étrangère, dont la filiation vient à être attaquée

Surville et Arthuys, op. cit., 3e éd., n° 308, p. 324; Despagnet, op. cit., 3e éd., no 271, p. 553.

2 V. ci-dessous, tome cinquième, et notre Traité élém. de dr. int. pr., 2e éd., p. 803 et s. Cf. Keidel, dans le Journal du dr. int. pr., 1899, p. 245.

sur notre territoire, pourra-t-il, nonobstant l'appui que cette contestation trouve dans sa loi personnelle, exciper contre elle de la conformité de son acte de naissance et de sa possession d'état, en France, en un mot se prévaloir de la loi territoriale française? Nous serions fort enclin à l'admettre. Lorsque le Code civil attache une force probante absolue et irrefragable à la possession d'état, qui se joint à l'acte de naissance, pour en confirmer les indications, il ne regarde pas uniquement à l'intérêt de l'enfant dont la légitimité est débattue, ni même à l'intérêt de sa famille. C'est l'intérêt général qu'il a voulu sauvegarder, l'intérêt des tiers qui ont pu et dû compter sur la qualité d'enfant légitime de cet enfant, affirmée non seulement par un acte public, mais encore par un ensemble des faits répétés et constants, qui le corroborent. La bonne foi publique serait en danger d'être surprise, s'il était possible de combattre et de détruire par d'autres moyens une preuve aussi énergique, aussi concluante et aussi directe. La loi ne le permet pas, lorsqu'il s'agit d'un Français; pourquoi la règle serait-elle différente, en présence d'un enfant étranger? L'intérêt social n'est-il pas également lié à son observation dans un cas et dans l'autre? n'a-t-il pas également besoin d'être protégé ?1. Au contraire, les dispositions de la loi française, qui déclarent imprescriptibles les actions en réclamation d'état (C. civ., art. 328), celles qui défendent de transiger ou de compromettre sur les questions d'état (C. proc. civ., art. 1004), sont, croyons-nous, étrangères à l'ordre public international et ne sauraient dès lors prévaloir contre les règles différentes qui ont pu trouver place dans la loi personnelle des parties. Lorsque notre législation a mis l'état des personnes à l'abri de la prescription et au-dessus des conventions privées, c'est l'état des Français, et non l'état de ceux qui ne reconnaissent pas son autorité, qu'il a en

1 Fiore, op. et loc. cit., p. 250. V. cependant, Duguit, Journal du dr. 1885, p. 364. Ch. Schuster, De la paternité et de la filiation en droit international privé (Thèse de Paris), 1899, p. 145.

int. pr.,

tendu défendre; c'est pour les Français seuls, et dans leur intérêt exclusif, qu'il a dérogé au droit commun. L'intérêt français n'exige nullement que la paix des familles puisse être indéfiniment troublée par des revendications étrangères. Moins les procès seront nombreux, plus cet intérêt sera satisfait; il n'y a donc aucune raison pour refuser effet à la loi des parties, lorsque, par la prescription ou par la transaction qu'elle autorise, elle empêche une contestation relative à leur état de se produire1

L'enfant qui réclame la qualité d'enfant légitime a, en premier lieu, à prouver le mariage au moins putatif contracté par sa mère; et ce mariage sera valablement établi par tous les modes de preuve que reconnaît la loi qui présidé aux formes de sa célébration; ici encore nous retrouvons l'application de la règle Locus regit actum. Cette preuve une fois faite, il devra justifier de plus que sa mère est accouchée pendant le mariage, ou après sa dissolution, pourvu que l'époque légale de la conception se place au cours du mariage. Enfin il devra également justifier de son identité avec l'enfant né de cet accouchement. Dans ces conditions, l'enfant pourra se dire légitime, si la loi à laquelle il ressortit, ainsi que sa famille, attribue au mari, comme le fait la loi française, la paternité de l'enfant né ou conçu pendant le mariage et si sa conception ou sa naissance correspond au délai que cette loi assigne à la gestation. Mais la présomption Pater is est n'est pas invincible; elle peut être erronée, et il appartient au mari auquel on l'oppose de la faire tomber au moyen d'une action en désaveu.

Laissant de côté les autres hypothèses qui peuvent donner

1 Duguit, Journal du dr. int. pr., 1885, p. 367.

2 V. ci-dessus, tome troisième, p. 96 et s. Cf. Cass., 13 janvier 1857 (Sir. 1857. 1. 81, D. P. 1857. 1. 106); Paris, 20 janvier 1873, précité; Trib. civ. Bordeaux, 28 décembre 1885, et Bordeaux, 21 décembre 1886, précités; Alger, 28 juin 1887 (Journal du dr. int. pr., 1889, p. 616; D. P. 1889. 2. 78).

lieu à une action en réclamation ou en contestation de légitimité, contentons-nous de résoudre quelques-unes des difficultés internationales qui naissent du désaveu de paternité.

Lorsque l'enfant et le mari de sa mère sont tous deux Français, il est certain, par application du principe général qui a été posé tout à l'heure, que c'est la loi française, loi commune des parties qui, même à l'étranger, formulera les causes et les griefs qui peuvent servir de base à une instance en désaveu1; elle désignera les personnes ayant qualité pour l'introduire ou pour y défendre; elle limitera le temps dans lequel son ouverture sera renfermée; et cette loi ne cédera que devant l'ordre public international, au lieu où elle viendra à être invoquée2.

De même le mari étranger se prévaudra valablement en France, à l'encontre d'un enfant, étranger comme lui et de même nationalité, des dispositions par lesquelles sa loi personnelle a réglementé l'action en désaveu, toujours à la condition que cette loi étrangère ne porte aucune atteinte à l'ordre public international français3.

L'impuissance naturelle, alléguée comme cause de désaveu par un étranger, ne saurait, selon nous, être admise par nos tribunaux, quelles que soient à cet égard les dispositions de la loi étrangère; car, si l'article 313 du Code civil a cru devoir l'écarter, c'est à raison des investigations scandaleuses, non seulement incertaines dans

1

1 Cf. Cour just. civ. Genève, 16 décembre 1893 (Journal du dr. int. pr., 1895, p. 671).

Laurent, op. cit., t. V, p. 513; Duguit, Conflits de législ., p. 93; Rougelot de Lioncourt, Du conflit des lois personnelles françaises et étrangères, p. 230; Cass., 25 mai 1868 (Sir. 1868.1. 365; J. Pal., 1868, p. 939); C. just. civ. Genève, 26 novembre 1892 (Journal du dr. int. pr., 1893, p. 242).

3 L'art. 318 du Code civil, aux termes duquel l'action en désaveu doit être intentée contre un tuteur ad hoc nommé à l'enfant mineur, ne s'applique pas à l'étranger, en l'absence d'une disposition analogue dans sa loi personnelle, Duguit, Journal du dr. int. pr., 1885, p. 374. Cf. Trib. civ. Seine, 23 mai 1883 (La Loi du 20 juin 1883).

leurs résultats, mais toujours dangereuses pour la morale, que sa preuve eût rendues nécessaires; et ce scandale, que le législateur français a le devoir de prévenir et a voulu prévenir, ne sera en rien diminué par la nationalité étrangère de ceux par qui ou à propos de qui il aura été provoqué1.

Allons plus loin. Le soin même avec lequel le Code civil a précisé et limité les causes de désaveu démontre à quel point l'ordre public est intéressé à ce qu'il n'en soit pas fait abus. Nous sommes donc certain de demeurer dans son esprit, en disant que, de même qu'un étranger ne serait pas admis à invoquer, à la barre d'un tribunal français, une cause de divorce, inconnue de la loi française, de même aussi les seules causes de désaveu qu'il pourra mettre en avant sur notre territoire, sont celles que cette loi a prévues, pourvu, bien entendu, qu'elles soient également autorisées par la loi personnelle. « Toute cause de désaveu en effet est menaçante pour l'ordre public, car elle met en jeu l'honneur de la femme et

1 Laurent, op. cit., t. V, p. 513; Surville et Arthuys, op. cit., 3e éd., no 308, p. 326; Albéric Rolin, op. cit., t. II, p. 138; Despagnet, op. cit., 3o éd., no 271, p. 553. V. cependant Duguit, Journ. du dr. int. pr., 1885, p. 371; Fiore, op. cit., 2o éd. (trad. Ch. Antoine), t. II, no 714, p. 248 : « Il ne nous semble pas, dit ce dernier auteur, que l'ordre public serait troublé, si on admettait la preuve de l'impuissance aux termes de la loi étrangère. Il s'agirait, en effet, des rapports d'une famille étrangère. Or, on ne saurait se dispenser de reconnaître en principe que le législateur étranger devant seul être réputé compétent pour fixer l'état des personnes qui composent la famille, la question de l'admissibilité de la preuve de l'impuissance doit être résolue d'après cette loi. On ne peut du reste pas objecter qu'il puisse en résulter une atteinte à l'ordre public (du moins en France ou en Italie). Il suffit en effet de considérer que la preuve de l'impuissance peut être administrée en Italie d'après la loi italienne, dans certains cas (tels que celui de l'art. 107 C. civ., qui permet la preuve de l'impuissance manifeste et perpétuelle pour arriver à l'annulation du mariage), et qu'en France même elle ne peut pas être absolument exclue dans le cas où on veut obtenir l'annulation du mariage en raison de l'impuissance qui, d'après les auteurs, peut être considérée comme une cause d'erreur sur les qualités de la personne ».

2 V. ci-dessus tome troisième, p. 602.

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