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C'est donc à la loi personnelle qu'il appartient de les déterminer, et tout le monde, même parmi les défenseurs, anciens ou modernes, de la doctrine statutaire, est d'accord pour le reconnaître. Après d'Argentré1, Boullenois, Bouhier et Froland sont absolument formels en ce sens. « Je mets, disait Boullenois, au nombre des statuts personnels ceux qui décident de la naissance légitime ou illégitime des enfants ». Et Bouhier: « On ne disputera pas sans doute aux lois qui ont été faites pour régler la manière de prouver la filiation des enfants, et qui ne sont pas toujours uniformes, la qualité de personnelles. Il en faut donc conclure que l'enfant reconnu au lieu du domicile du père et de la mère pour être issu d'eux, et dans les formes prescrites en ce même domicile, doit sans difficulté être tenu pour tel dans tous les lieux où il pourra se transporter, qu'il soit légitime ou bâtard. C'est une règle inviolable en fait de questions d'état ». Telle est encore, à n'en pas douter, la règle qui doit être suivie en France sous l'empire du Code civil; plusieurs législations étrangères l'ont expressément consacrée

1 D'Argentré, op. cit., art. 218, glos. 6, nos 3, 4, 7.

2 Boullenois, Traité de la personnalité et de la réalité des loix, t. I, p. 51 et 62,

Bouhier, Observations sur la Cout. de Bourgogne, ch. XXIV, no 122. V. aussi Froland, op. cit., t. I, p. 82 et 87.

V. la loi fédérale suisse du 25 juin 1891, art. 8; C. civ. allemand, loi d'introduction, art. 18. Ce texte dispose que la filiation légitime de l'enfant est régie par la loi allemande, quand le mari de la mère était Allemand au moment de la naissance, et, dans le cas où le décès de ce mari se placerait à une date antérieure, quand il a possédé en dernier lieu la nationalité d'Empire. De l'enfant né d'une mère dont le mari est étranger, il n'est pas question, mais nous ne doutons pas que l'article 18 ne doive lui être appliqué par analogie. Sa filiation ressortira donc à la loi du pays dont relevait le mari de sa mère, à l'époque de l'accouchement, ou, si l'enfant est posthume, à celle du pays auquel il appartenait au moment de sa mort, V. en ce sens Keidel, dans le Journal du dr. int. pr., 1899, p. 243; Fuld, dans la Zeitschrift für intern. Privat und Strafrecht, 1898, p. 375. — M. Alexander, dans le Journal du dr. int. pr., 1881, p. 495, à propos d'une décision de la Cour d'appel d'Angleterre (affaire Goodman, 13 avril 1881), constate de même que la jurisprudence anglaise incline à admettre la personnalité du statut de la légitimité et à régir cette dernière par

et les auteurs, nous le répétons, sont unanimes à en recommander l'adoption'.

A la loi personnelle

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que cette loi personnelle est celle de l'enfant, s'il ne ressortit pas à la même législation que son prétendu père de dire si la présomption Pater is est quem nuptiæ demonstrant peut être invoquée pour établir la légitimité de l'enfant, et quelle est la valeur de cette présomption. A elle de dire si l'acte de naissance ou tout autre écrit 2, si le témoi

la loi du domicile. V. aussi eod loc., 1885, p. 102, un arrêt de la Haute cour, division de chancellerie du 23 juillet 1883. Cf. enfin le traité de droit civil sud américain de Montevideo de 1889, art. 16: « La loi qui régit la célébration du mariage détermine la filiation légitime et la filiation par mariage subséquent ». Art. 17: « Les questions relatives à la légitimité de l'enfant... sont régies par la loi du domicile conjugal au moment de la naissance de l'enfant >>.

1 Aubry et Rau, 5e éd., t. I, § 31, p. 135; Laurent, Droit civil international, t. V, p. 511 et s.; Duguit, Des conflits de lois relatifs à la forme des actes, p. 93, et Journal du dr. int. pr., 1885, p. 358; Asser et Rivier, op. cit., p. 124 et 125, note 1; de Bar, Theorie und Praxis des intern. Privatrechts, 2o éd., t. I, p. 534; Ch. Brocher, Cours de droit int. privé, t. I, p. 307; P. Fiore, Le droit international privé, 2o édit. (trad. Ch. Antoine), t. II, no 702, p. 234; Audinet, Principes élémentaires de dr. int. pr., n° 571, p. 423; Surville et Arthuys, Cours élém. de dr. int. pr., 3o éd., no 304, p. 321 et s.; Albéric Rolin, Principes de dr. int. pr., t. II, nos 612 et s., p. 136; Despagnet, Précis de dr. int. pr., 3e éd., nos 270 et s., p. 551 et s. V. également Journal du dr. int. pr., 1880, p. 467 et s., Questions et solutions pratiqueɛ.

2 Le tribunal de la Seine a appliqué cette règle dans son jugement du 14 mars 1879. La légitimité d'une femme de nationalité russe était contestée, et les demandeurs alléguaient contre cette femme les listes de recensement de l'Empire qui, aux termes de l'art. 123 du Svod (édition de 1842), peuvent servir de preuve dans les procès relatifs à la légitimité d'un sujet russe. Mais la nouvelle édition des lois civiles de 1857 (art. 123 et 124) laisse aux juges la faculté d'admettre ou de rejeter les listes de recensement comme mode de preuve en cette matière, dans tous les cas de les contrôler par des déclarations de témoins. Partant de ces textes, le tribunal reconnaît que c'est à la législation russe qu'il revient de déterminer la nature des preuves recevables, mais, ne jugeant pas suffisantes les indications fournies par les listes de recensement, il ordonne, conformément à cette législation, un supplément d'enquête. Gazette des trib. des 23, 24 et 25 février, 3, 4 et 15 mars 1879; Journal du dr. int. pr., 1879, p. 544.

gnage, si la possession d'état ', constituent des modes de preuve admissibles, et sous quelles conditions, et dans quelle mesure.

Gardons-nous toutefois d'exagérer la portée de cette règle. Elle veut être combinée avec les principes généraux que nous avons posés pour la solution du conflit des lois; elle a pour limites les exigences de l'ordre public international; elle trouve, d'autre part, dans l'adage Locus regit actum une atténuation importante.

Ce qui est de la compétence de la loi personnelle, c'est la détermination du système de preuves auquel les parties sont en droit de recourir. Un étranger ne pourra prouver en France sa qualité d'enfant légitime par l'acte de naissance dont il est porteur, si la loi à laquelle il ressortit n'accorde pas crédit à un tel acte; il ne pourra pas non plus appuyer sa prétention sur la preuve testimoniale ou sur la possession d'état, si cette même loi récuse l'autorité de semblables moyens de preuve en matière de filiation.

Mais une fois qu'il est établi que l'étranger puise dans sa loi personnelle la faculté de justifier de sa légitimité, soit par un acte, soit par témoins, soit par la possession d'état, il n'en résulte nullement que tout ce qui concerne l'administration matérielle de ces preuves, que notamment la forme des actes produits, ou celle de l'enquête, soit soumise aux prescriptions de cette loi.

L'acte de naissance représenté sera régulier et fera foi de ses énonciations, pourvu qu'il soit conforme aux lois du pays où il a été dressé, par application de la règle Locus regit actum2.

1 Paris, 20 janvier 1873 (Sir. 1873. 2. 177, D. P. 1873. 2. 59); Trib. cons. du Caire, 2 mai 1884; Aix, 6 mai 1885, et Cass., 8 juillet 1886, (Journal du dr. int. pr., 1886, p. 585).

2 Paris, 20 janvier 1873, précité; Trib. civ. Bordeaux, 18 mai 1876, et Bordeaux, 27 août 1877 (Sir. 1879. 1. 105); Trib. civ. Bordeaux, 28 décembre 1885, et Bordeaux, 21 décembre 1886 (Journal du dr. int. pr., 1887, p. 600). C'est ainsi que le tribunal de la Seine a jugé, le 3 août 1894.

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De même, la preuve testimoniale, reconnue admissible par la loi personnelle, soit de plano, soit sur le fondement d'un commencement de preuve par écrit, sera fournie dans les formes requises par la lex fori, par la loi du tribunal devant lequel comparaîtront les témoins'. Quelques auteurs vont plus loin encore. Suivant eux, les éléments de la possession d'état elle-même peuvent et doivent être appréciés, non d'après la loi personnelle qui permet de l'invoquer, mais d'après la loi du pays où la question de légitimité sè pose, alors du moins que les faits dont la possession d'état suppose la réunion ont eu ce pays pour théâtre et pour témoin. Tel est le sentiment de M. Fiore « La disposition de l'article 320 du Code civil français et des autres Codes qui la reproduisent nous paraît, dit-il, inspirée par l'idée de protéger la conscience publique, la bonne foi et le droit social, en attribuant au fait juridique apparent la valeur qui est reconnue au droit substantiel et réel. Le législateur a eu raison de considérer que, lorsque deux personnes unies comme mari et femme ont toujours traité un individu comme leur enfant et l'ont présenté publiquement comme tel, lorsque cet individu a porté constamment le nom de la personne connue comme son père, et que ce dernier a, en cette qualité, pourvu à son éducation, l'a sans cesse reconnu dans la société comme son enfant, ces circonstances prises dans leur ensemble doivent être réputées, par elles-mêmes, comme la preuve la plus certaine de la filiation. Aussi la conscience publique serait offensée si, étant donné ces circonstancs, elle ne pouvait pas être fixée d'une manière certaine sur la légitimité de l'enfant ». Et notre savant collègue conclut

(Journal du dr. int. pr., 1894, p. 374), qu'un acte de notoriété dressé aux États-Unis est suffisant, à défaut d'acte de l'état civil, pour prouver la légitimité d'un enfant né de parents français dans l'état de New-York, conformément à la législation de cet état. V. ci-dessus, tome troisième, p. 458 et s.

1 V. ci-dessous, tome cinquième.

2 Fiore, op. cit., 2o édit. (trad. Ch. Antoine), t. II, no 718, p. 252.

de là que c'est à la loi territoriale qu'il appartient de préciser les caractères que devra présenter la possession d'état pour établir la légitimité de l'enfant.

Cette argumentation est loin d'être décisive à nos yeux. Il nous semble que M. Fiore tombe dans une contradiction véritable, lorsqu'il attribue à la lex fori le soin de déterminer les éléments de la possession d'état, tout en laissant à la loi personnelle de l'étranger celui de statuer sur son admissibilité. Si la conscience publique doit être lésée par l'application exclusive de cette dernière au choix des éléments dont se compose la possession d'état, ne le serat-elle pas bien plus encore par le refus absolu de toute valeur à ce mode de preuve, dans le cas où, à la différence de la loi personnelle, la loi territoriale ne répugne pas à son admission? Est-il possible de dire que la manière de comprendre la possession d'état est imposée par l'ordre public international, alors que le recours même à la possession d'état ne l'est pas? M. Fiore confond ici le fond et la forme. C'est une question de fond que celle de savoir en quoi consiste la possession d'état, et cette question ne peut être résolue que par la loi qui gouverne le rapport de filiation lui-même, par la loi personnelle. Quant à la démonstration des faits plus ou moins nombreux, plus ou moins divers, qui sont constitutifs de la possession d'état, elle se fera conformément à la loi du lieu où ils se sont passés; ainsi reconnue admissible, cette loi seule a qualité pour en régler la preuve; il y a là une pure question de forme1.

Mais, d'autre part, la loi territoriale recevra application, toutes les fois que l'ordre public international sera en jeu dans le débat.

Ainsi il est bien clair que la compétence des tribunaux appelés à statuer sur la légitimité dépendra de cette loi d'une manière exclusive; toutes les questions de compélence judiciaire sont en effet du ressort de la lex fori2.

Cf. Boullenois, op. cit., t. I, p. 62.

V. ci-dessous, tome cinquième.

W. — IV.

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