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REVUE MENSUELLE

Contenant, avec un texte et des pièces inédites, intéressantes ou peu connues

LE CATALOGUE GÉNÉRAL DES MANUSCRITS

QUE RENFERMENT LES BIBLIOTHÈQUES PUBLIQUES DE PARIS ET DES DÉPARTEMENTS
TOUCHANT L'HISTOIRE DE L'ANCIENNE FRANCE

DE SES DIVERSES LOCALITÉS ET DES ILLUSTRATIONS HERALDIQUES

SOUS LA DIRECTION DE M. LOUIS PARIS
Ancien bibliothécaire de Reims, chevalier de la Légion d'honneur.

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HENRI MENU, libraire-éditeur, quai Malaquais, 7.

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contemporaines, nous l'avons trouvé dans une correspondance administrative jusqu'ici enfouie dans les cartons des archives. Ces documents, dont l'existence nous a été signalée par l'obligeance de M. Boutaric, avaient été brièvement analysés, il y a quelques années, dans une étude sur le vandalisme révolutionnaire (1). Mais nous avions dès lors formé le projet d'y revenir à loisir, et de les publier intégralement. Mais avant d'entreprendre ceite publication, une analyse succincte des négociations dont nous avons retrouvé la trace dans les documents officiels du temps nous paraît indispensable.

Nous commencerons donc par présenter un résumé rapide de l'affaire, dont nous produirons ensuite les pièces justificatives. Peut-être trouvera-t-on que nous avons poussé un peu loin le respect du document et que plus d'un de ceux-ci pouvait, sans inconvénient, être diminué ou même supprimé. Après quelque hésitation, nous avons pensé qu'on ne devait rien retrancher à des pièces historiques de cette importance, et que les longueurs ou les répétitions, en pareille circonstance, offraient moins d'inconvénients que les suppressions ou abréviations.

En 1781, l'abbaye de Saint-Denis était administrée par dom Malaret; ce religieux avait remplacé, en qualité de prieur, dom Boudier. Tandis que son prédécesseur paraît s'être exclusivement attaché à remplir exactement les devoirs de sa charge, à rétablir l'ordre et la discipline, à payer les dettes de la maison, à pourvoir aux réparations les plus urgentes et surtout à augmenter le nombre des religieux, dom Malaret apportait dans ses fonctions un esprit bien différent.

Préoccupé de se ménager en haut lieu des relations et des protecteurs, toujours à la recherche des occasions de plaire aux puissants du jour, doué d'un caractère souple et insinuant, dom Malaret devait être tenté de se signaler par quelque entreprise extraordinaire. Nous le voyons à différentes reprises, et dans diverses circonstances, intervenir dans des affaires qui ne le

(1) Revue critique du 10 octobre 1868 (3° année, 2o semestre), p. 228-240. Cet article a été tiré à part à cinquante exemplaires.

concernent en rien, donner des conseils au directeur des bâtiments, s'entremettre dans des négociations où son intervention ne s'explique que par le désir de plaire et d'être remarqué.

Au moment où dom Malaret arrivait à la dignité de prieur, l'abbaye se trouvait réduite à de dures extrémités. La multitude et la gravité de ses charges la plaçaient entre l'alternative de réduire le nombre des religieux ou celle de négliger l'entretien de ses fermes et de la basilique. Toutefois dom Boudier était parvenu à faire face aux besoins les plus urgents. Certains travaux indispensables avaient été exécutés dans les bâtiments de l'abbaye, et cependant le nombre des religieux, au lieu de décroître, avait été quelque peu augmenté. En effet, il avait fallu reprendre les voûtes de l'ancienne église en plusieurs endroits, et, bien qu'on se fût borné au strict nécessaire, bien qu'à la suite de ces travaux on se fut contenté, pour toute décoration, de blanchir entièrement l'église, l'abbaye s'était trouvée entraînée à une dépense de trente mille livres.

La correspondance de dom Boudier avec le directeur des Bâtiments royaux, dont nous avons retrouvé quelques fragments dans les archives de la Maison du Roi, entre dans le détail de plusieurs autres travaux exécutés sous sa direction; le prieur parle de la construction d'une porte, de l'établissement d'une cour d'entrée en avant des bâtiments de l'abbaye qui venaient d'être refaits sous le règne de Louis XV. Certain passage d'une lettre de dom Boudier mérite une attention particulière. Après avoir énuméré les ouvrages qui, dans un délai restreint, doivent être à la charge de sa maison, il ajoute :

Que n'y auroit-il pas à faire pour la décoration de notre chœur, ainsi que pour rendre plus décente la sépulture de l'auguste maison de Bourbon qui occupe si dignement le trône. Vous avez vu vous-même, monsieur, combien les cendres des grands Roys qu'elle a donnez, toujours si dignes de notre respect, sont peu distinguées, au point que les étrangers qui abondent icy en sont étonnés. Saint Louis voulant honorer celles de ses prédécesseurs leur fit ériger des mausolez dans le goût du temps. Je regarderois comme digne de la piété de Louis seize d'en faire

autant pour ceux de son auguste famille. Vous en chargeant, monsieur, par une suite de la confiance dont il vous honore à si juste titre, la nation ainsi que l'étranger ne pourraient qu'admirer les monuments que vous feriez ériger à leur gloire... »

Cette lettre porte la date du 5 mai 1776. Ainsi, dès le commencement du règne de Louis XVI, le projet d'ériger à la race des Bourbons, dans la nécropole royale de Saint-Denis, un monument digne de l'illustration de la dynastie, avait été agité. Les circonstances n'avaient probablement pas permis de lui donner une suite immédiate.

Sur ces entrefaites, dom Malaret est nommé prieur; tout d'abord il s'occupe de la restauration du choeur. Par les pièces que nous possédons, nous savons qu'il avait commencé par les stalles des religieux. Dom Malaret assure, dans la première note présentée à M. d'Angiviller, que les anciennes stalles du chœur remontaient au temps de Saint Louis. J'ignore si cette assertion est exacte. Sur le plan des tombeaux du chœur, publié par dom Félibien dans l'histoire de l'abbaye de Saint-Denis, le dessin des stalles parait des plus vulgaires. Peut-être l'historien a-t-il été arrêté par la difficulté de figurer en plan des stalles gothiques, et s'est-il contenté de marquer leur emplacement par un tracé représentant la menuiserie du chœur telle qu'on l'eût fait de son temps. En tout cas, la substitution d'une boiserie du goût le plus moderne et le plus déplorable aux délicats feuillages de la plus belle époque gothique, ne pouvait choquer personne à la fin du XVIIIe siècle. On ne saurait faire un crime à dom Malaret de cette destruction.

Le pavé, qui datait, comme les stalles, du treizième siècle, était également condamné. Faute de mieux, le vulgaire carrelage blanc et noir, proposé par dom Malaret, aurait permis d'attendre une décoration plus digne de la vieille basilique. C'est alors que le prieur rencontra les tombes qui décoraient le chœur depuis le règne de Saint-Louis et de ses successeurs. Ces tombeaux auraient gêné la symétrie du beau pavé que dom Malaret rêvait pour son église, et, sous ce prétexte, il déclara à tous les tombeaux qui étaient placés dans le chœur une guerre acharnée.

Son projet n'allait à rien moins qu'à démolir tous les tombeaux du chœur, et à les reléguer dans quelque coin obscur, à les empiler dans une chapelle vacante. Tel fut le plan que le gardien naturel des tombes royales de Saint-Denis crut devoir soumettre au premier ministre, au comte de Maurepas, par l'intermédiaire du personnage qui avait alors une influence prépondérante sur l'administration des Beaux-Arts et des Bâtiments royaux. Le comte d'Angiviller, qui ne manquait cependant ni de tact, ni de goût, accueillit avec le plus grand empressement le projet qui lui était soumis, et en devint immédiatement le patron décidé. Tant était générale alors la réprobation qui pesait sur toutes les œuvres du Moyen Age, fussent - elles consacrées par les souvenirs les plus augustes, par les traditions les plus respectables!

Le motif principal, décisif, qu'on invoque pour demander le déplacement de ces monuments, c'est qu'ils détruisent la symétrie du nouveau pavé, c'est qu'ils gênent le développement des processions dans les cérémonies solennelles; en un mot, ils sont encombrants. On invoque ensuite, il est vrai, leur archaïsme, leur barbarie, et surtout leur état de vétusté et de dégradation; aux uns, il manque une main, aux autres, un morceau de vêtement, une partie de la tète. Le ministre chargé de la haute surveillance de l'abbaye, ne s'indigne pas, écoute tout cela d'une oreille favorable, et tout à l'heure semblera prendre plaisir à constater par lui-même que ses subordonnés n'ont rien avancé que de parfaitement exact. Il insite avec complaisance sur les mutilations qui ont fait de ces œuvres barbares, où nulle partie n'annonce la plus légère connaissance de l'art ni de ses premiers ⚫ éléments, les représentations les plus hideuses et les moins propres à inspirer la vénération. M. d'Angiviller n'est pas seul d'ailleurs à supporter la responsabilité d'un pareil arrêt. Il a pris soin de s'entourer d'artistes éminents. Il a réuni autour de lui les hommes les plus considérables des Académies de Peinture et d'Architecture. Il a appelé à cet examen Pierre, le premier peintre du Roi, Pajou, le sculpteur le plus distingué à ce moment, car Pigalle est mourant, et Houdon, n'a pas encore atteint

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