Page images
PDF
EPUB

A L'HISTOIRE

PHILOSOPHIQUE

DE LA RÉVOLUTION

DE FRANCE.

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

Dispositions de l'Angleterre et de la France à l'époque du Traité définitif d'Amiens.

Le traité de Lunéville avait rétabli la paix

AN 10

entre la France et l'Autriche; celui d'Amiens 1802. entre l'Angleterre et la France, parut la consolider dans toute l'Europe et sur l'Océan, Cette paix fut proclamée dans Londres avec une pompe et une solemnité extraordinaire. Les annales du pays, dit un journal ministériel, le Times, n'offrent peut-être pas de jour

aussi heureux que celui du 29 mars, témoin 1802. de l'arrivée du traité définitif de paix. Cepen

dant, lorsque les deux chambres s'en firent présenter une copie, plusieurs membres témoignèrent leur mécontentement, et le cours des discussions fit présager que cette paix ne serait pas d'une longue durée. On se plaignit des ministres qui avaient, disait-on, abandonné le prince d'Orange. C'était une tache faite à l'honneur national; il fallait trouver un moyen prompt de l'effacer.

Le Portugal et l'Espagne donnèrent lieu à d'autres sujets de plaintes. Pour les fonder, on remontait jusqu'au traité de Badajoz, en 1801, entre ces deux puissances. On y trouvait déjà beaucoup de stipulations commerciales, très-préjudiciables au commerce de l'Angleterre. Mais par celui du 29 septembre, entre la France et le Portugal, cette dernière puissance cédait à la première une grande étendue de pays en Amérique. Par ce traité, les limites du territoire français, dans la Guyanne, furent posées au sud de la rivière d'Arawan. Ainsi cette navigation était à la France; et comme cette rivière n'est qu'à une petite distance de celle des Amazones, les commerçans, qui ne siégèrent jamais en plus grand nombre dans la chambre des communes, voyaient déjà tout le commerce sous la main des Français, et la perspective brillante de toutes les richesses

qu'offre l'Amérique méridionale. La France qui, dans le tems même des négociations, s'é- AN 10. tait emparée d'un des pays les plus fertiles de l'Italie, serait-elle assez modérée pour s'arrêter aux portes du Brésil, et l'entrée du Brésil n'était qu'un acheminement à l'invasion prochaine du Pérou.

On reprochait à l'Espagne une espèce de perfidie, dans la cession de la Louisiane. On calculait le peu de distance qui la rapprochait du Mexique. On tremblait déjà pour le Canada, et les Etats-Unis n'obtiendraient la navigation du Mississipi, qu'en se réunissant à la grande ligue contre le pavillon anglais.

Lord Grenville répandait ses alarmes dans la chambre des pairs. Il passait sur toutes les concessions qu'on avait faites. La faute la plus grave était de n'avoir pas rappelé le traité de 1787. Cette omission, cette faute des ministres, compromettait la puissance de l'Angleterre dans l'Inde. Les Français allaient s'y répandre, s'y multiplier, sans être assujettis aux tribunaux et à la police des Anglais. La permission seule, donnée aux Français, d'approvisionner de sel les provinces du Bengale, allait occasionner au commerce britannique une perte annuelle de cinq cent mille livres sterlings.

Ainsi, le parti qui avait déclaré la guerre, qui en avait desiré la continuation, faisait

1892.

chaque jour une longue énumération des pertes occasionnées par le traité définitif, et des calamités qui s'en suivraient. L'île d'Elbe seule pouvait valoir aux Français le royaume de Naples.

La création d'une république italienne était une atteinte funeste portée au systême politique de l'Europe. Comment la chambre des communes garderait-elle le silence sur un tel changement, survenu dans l'intervalle de la conclusion des deux traités? Quelle serait la barrière qui maintenant couvrirait l'Autriche, cette puissance déjà si convaincue de sa faiblesse, qu'à peine osait-elle songer aux dangers auxquels elle serait exposée ?

L'affaire de Malte était une atteinte au traité préliminaire. Il y avait été convenu que cette île serait rendue à l'ordre, et mise sous la protection d'une puissance neutre. Mais dans le traité définitif, par un tour de force incroyable, on a trouvé le moyen de nous faire sortir de Malte, pour y faire entrer les Français; car c'est une conséquence qui semble inévitable. En rendant cette île à l'ordre, il fallait examiner s'il avait des moyens de s'y soutenir, et la France a eu l'adresse de les lui enlever. L'ordre a perdu la presque-totalité de ses revenus; l'ordre lui-même a été comme jeté dans un nouveau moule. Un ordre noble par son essence se trouve changé en Tiers

Etat. Cet ordre nouveau, ce composé de noblesse et de démocratie, sera sous l'influence AN 10. immédiate de la France, et dans trois mois l'Angleterre sera forcée d'évacuer cette île. Voilà ce qu'il y a de plus clair d'ans l'article. Dans un autre, on lit: la neutralité de Malte est proclamée. Mais obligés d'admettre dans leurs ports tous les vaisseaux étrangers, les Maltais y verront à la fois les vaisseaux de la France et ceux de ses vassaux ; c'est-àdire que dans tous les tems la France pourra y compter trois fois plus de vaisseaux que l'Angleterre.

Les mêmes observations s'appliquaient au cap de Bonne-Espérance, où tous les vaisseaux devaient être également admis. Le traité définitif adjugeant aux Hollandais la souveraineté absolue du pays, ils pourront, s'ils le jugent convenable, y mettre garnison française; et quand, dans le traité définitif, on voyait ces mots pleine souveraineté, qui ne se trouvaient pas dans les préliminaires, pouvait-on ne pas se défendre de quelque inquiétude ?

A ces griefs contre la nation française, et contre les nouveaux ministres anglais, se joignaient la position dans laquelle on avait laissé le roi de Sardaigne, que l'on considérait comme une puissance enterrée, et l'armement qu'après la signature des préliminaires le gouvernement français avait envoyé aux Indes-Occidentales.

« PreviousContinue »