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charge à bout portant: il était quatre heures du soir, la poursuite dure jusqu'à six heures; aucun obstacle n'arrête la vigueur des troupes, animées par le désir de venger la blessure de leur brave général : deux cents cadavres restent dispersés de tous côtés, et l'emplacement des villages des Beni-Immel ne se reconnaît plus que par les dernières lueurs de l'incendie qui les consume. Cette vigoureuse affaire n'avait coûté que treize blessés à la colonne française mais il fallut la payer de la vie du jeune général dont la vigueur et l'intelligence promettaient à la France de longs et utiles services.

M. le colonel de Lourmel, du 51° de ligne, chargé du commandement après la mort du général de Barral, employa un mois entier à ouvrir une bonne route muletière entre Bougie et Sétif; les troupes, pénétrées de l'importance de ce travail, objet principal de la campagne, s'y appliquèrent avec une extrême ardeur. Tout fut terminé le 24 juin, et le colonel, pour accomplir la dernière partie de ses instructions, tomba, les 25, 26 et 27 juin, sur les Beni-Meraï, les Amoucha et les Kerratas. Plusieurs villages, véritables repaires de bandits, menaçaient sur le territoire de ces tribus la sécurité de la nouvelle route. Les Kabyles, renforcés par les contingents des tribus du Babor, furent poursuivis, la baïonnette aux reins, jusqu'au col de Tizi-bou-Zerzou, regardé jusque-là comme imprenable, et d'où la colonne dominait toute cette rude contrée. Les cultures et les habitations des Kerratas furent entièrement détruites; cette rigueur porta ses fruits dès le lendemain les Djermouna et les Amoucha, terrifiés par l'exemple, vinrent faire leur soumission. L'enlèvement du col de Tizi-bou-Zerzou porta un tel coup sur les imaginations que les Ouled-Hamza, éloignés de plus de quinze lieues et habitants des bords de la mer, vinrent demander l'aman. La journée du 27 fut employée à compléter le ravage du pays des BeniMéraï, de manière à laisser une trace durable qui frappât de terreur toute tribu tentée de rejeter notre domination. Jamais troupe française, jamais dominateur arabe n'avait pénétré dans les montagnes kabyles enlevées par la colonne de Sétif. M. le colonel de Lourmel rentra à Sétif le 1er juillet.

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Sur la frontière de Tunis, les fractions rebelles des Nemenchas as

saillirent, dans la nuit du 1er au 2 septembre, notre caïd El-Hasse- naouï, qui vit sa smala pillée, et eut son fils et son neveu tués à ses côtés. Depuis cette agression, le calme ne fut pas troublé. Dans la régence, l'accueil empressé fait à M. Berbrugger, voyageant avec une mission du Gouvernement, les égards dont il fut l'objet dans le Djérid, à Souf et sur toute la route jusqu'à Touggourt, furent une preuve du progrès que fait notre influence jusque dans ces contrées éloignées.

Dans la province d'Oran, la tranquillité était complète, malgré l'agitation de la frontière marocaine. La situation de l'empire était assez grave. Désolé par la sécheresse, le pays était menacé d'une disette effroyable. Des tribus rebelles parcouraient le territoire voisin de la frontière française, pillant et rançonnant les sujets de l'empereur. Ainsi, au mois de mars, un chef des BeniSnanen, El-Hadj-Menioun-Ould-Bechir, brùlait les maisons qui sont en dehors de l'enceinte d'Ouchda, et percevait un tribut sur les habitants, pendant que le lieutenant de l'empereur, trop faible pour résister, se tenait enfermé dans la citadelle.

Quelques tribus marocaines vinrent, comme à l'ordinaire, pendant l'été, s'établir en dedans de la frontière, sur les cours d'eau plus abondants chez nous que chez elles. Plusieurs d'entre elles (les Alibou-Hab et autres) avaient réclamé, avant de faire ce mouvement, l'autorisation du général commandant à Tlemcen; leur conduite ne donna lieu à aucune plainte, et M. le général de MacMahon ne fit aucune objection contre cette émigration momentanée qui a l'avantage de multiplier les relations entre les deux pays et d'apprivoiser pour ainsi dire des populations encore barbares et imbues de sauvages préjugés contre les chrétiens.

Une autre tribu marocaine, les Mezaouïr, s'était au contraire placée sur notre territoire, non-seulement sans autorisation, mais encore malgré l'ordre de repasser la frontière que le commandant supérieur de Lalla-Maghrnia, en raison de ses méfaits antérieurs, lui avait signifié à diverses reprises. L'intervention du caïd d'Ouchda avait été sans résultats, les vols et les attaques à main armée se multipliaient de jour en jour. Le 1er septembre, un négociant de Nemours, voyageant entre cette ville et LallaMaghrnia, n'avait dû son salut qu'à la vitesse de son cheval. Le

3 septembre, une caravane de trois cents chameaux, appartenant aux Knetza (tribu du Sahara marocain), revenait de Nemours, où elle avait été se charger de blé et d'épiceries, lorsqu'elle fut assaillie sur notre territoire, près de la Mouïla à Chebelhia, par des cavaliers mezaouïrs. L'arrivée de notre Caïd du Djebala, bien accompagné, préserva la caravane d'un pillage complet.

Sur le rapport de ces attentats, M. le général Pélissier, commandant la province d'Oran, donna l'ordre à M. le général de Mac-Mahon de raser la fraction coupable des Mezaouïr et de la rejeter de l'autre côté de la frontière. M. le général de Mac-Mahon exécuta ce coup de main avec trois escadrons du 2e de chasseurs d'Afrique, un du 2e de spahis et quelques goums. Le 6 septembre, à la pointe du jour, après une longue marche de nuit, les douars des Mezaouïr furent surpris et enlevés. Le succès fut complet.

Déjà, le 3 janvier, le mêmé général avait rasé les Abaïdia et fait, pendant le mois de juin, chez les Mzirda et autres tribus de l'ouest, une tournée pacifique qui eut une grande influence sur la tranquillité du pays kabyle de la subdivision de Tlemcen.

La province d'Alger était tout aussi tranquille, si on en excepte la vallée de l'Oued-Sahel, toujours agitée par les menées du chérif Moula-Brahim, et les brigandages qu'exerçaient chez nos tribus les dissidents réunis aux Beni-Melhkeuch. Quelques symptômes d'insoumission s'étaient également manifestés chez les Beni-Ouaguenoun. M. le général de Salles obtint, sans combat, de la tribu autrefois si turbulente des Flittas, le paiement intégral des impôts: il réussit également à rétablir la paix parmi les Kabyles soumis au commandement du bach-agha Bel Kassem; ses troupes d'observation travaillaient avec ardeur à l'ouverture de la route d'Alger à Dellis.

Nos chefs indigènes concouraient puissamment de leur côté à l'ordre et à la soumission générale du pays. Au mois de septembre, notre agha des Ouled-Naïl organisait à Biskara et à Boghar des goums pour donner la chasse aux El-Hadjedj, fraction insoumise des Larbaa, qui interceptaient depuis quelque temps les routes du Sahara à Constantine et à Alger. Si-Chérif-bel-Harch parvint à joindre, à la tête de ces goums, plusieurs douars de ces voleurs, à plus de six cents kilomètres de la côte, au delà de

l'Oued-Djeddi, non loin de Guerara, chez les Beni-Mzab. Une razzia vigoureuse fut le résultat de cette rencontre. Ainsi, un agha arabe, sur l'ordre du Gouvernement français, partait avec mille cinq cents hommes, poursuivait et atteignait dans le désert des fractions de tribus insoumises dont nous voulions punir les déprédations. Ce fait d'une expédition composée tout entière d'indigènes, et agissant cependant avec énergie sous l'impulsion de notre autorité, est un des faits les plus remarquables et peut-être les plus féconds pour l'avenir qui se soient encore produits en Afrique. A l'endroit où cessent nos postes, nous en sommes venus maintenant à organiser des postes arabes qui, sur les routes les plus lointaines, protégent les voyageurs.

Le résultat de cet acte de vigueur ne fut pas seulement une juste punition des insoumis. Les Hadjedj et les Harazlia, depuis si longtemps la terreur du Sahara, rallièrent le reste de la tribu; leurs chefs vinrent à Médéah recevoir les conditions de l'aman. Un officier français se transporta à Laghouat pour régler les différends existant entre ces tribus et les Ouled-Naïl. Ainsi, la sécurité était rétablie, et les relations avec les oasis du sud et le pays des Beni-Mzab allaient reprendre plus fréquentes que jamais.

D'un autre côté, à deux reprises différentes, au printemps et à l'automne, deux goums partis de Tiaret, et renforcés par des fantassins du Djebel-Amour, allaient prêter appui à notre kalifa d'Ouargla, Ben-Babia, et fonder à cent vingt lieues de la mer l'autorité de la France.

Ces admirables résultats étaient dus à l'énergique et intelligente administration des bureaux arabes. Une phrase du Message résuma avec autant de justesse que de clarté la situation de l'Afrique; la voici « Partout, grâce à l'intelligence des officiers de nos bu>> reaux arabes, les indigènes apprécient chaque jour davantage la » justice de notre administration. » C'est qu'en effet cette admirable institution a été, est encore pour longtemps le véritable levier de la conquête : son bras s'étend partout, et elle tend à se développer encore par une force que chaque jour elle fait agir avec plus de sûreté et organise avec plus de régularité, par le commandement indigène. Toutes les tribus qui reconnaissent notre autorité sont gouvernées, en notre nom, par des aghas, des

bach-agas, des caïds choisis avec soin et surveillés avec vigilance. Ces chefs, dont la puissance était d'abord une sorte de concession faite à la nation conquise par la politique et la clémence de la nation conquérante, ont pris maintenant un rang important parmi les agents les plus utiles, et souvent les plus dévoués de notre domination.

Résumons la situation politique et militaire de l'Algérie à la fin de Pannée. La soumission était complète, universelle. L'accession du kalifa Si-Hamza-Ouled-Sidi-Chigr, les progrès du kalifa Ben-Babia, autour d'Ouargla, l'attitude nouvelle des Ouled-Naïl, l'occupation de Bouçada avaient établi, sur des bases plus solides, notre domination dans le Sahara.

Dans la Kabylie de la province de Constantine restait autour de Djidjelli un noyau de plus en plus rétréci par l'action de BouAckas et de Ben-Azzedin, de tribus insoumises qui, divisées de temps immémorial et constamment en guerre entre elles, manquent d'un pouvoir assez fort pour faire cesser ce déplorable état de choses. Ces tribus ne bloquaient plus la place de Djidjelli; elles avaient avec les habitants des rapports commerciaux ; les communications deviendraient libres, et la paix régnerait dans ce pays comme partout, dès que nos colonnes auraient imposé à tous les petits chefs en lutte, la loi commune de la France. La confédération des Zouaoua, en majorité, continuait de se tenir sur les sommets du Jurjura, en dehors de toute relation politique avec l'autorité française. Des bandes armées s'en détachaient encore de temps en temps, pour commettre des vols et des brigandages chez les tribus soumises de l'Oued-Sahel et même sur les communications de Sétif à Aumale; c'est ainsi que le chef du bureau arabe de Bordj-bou-Areridj, en tournée dans les Bibans, avait dû repousser une périlleuse attaque tentée contre la smala où il recevait l'hospitalité. Cependant ces méfaits, presque toujours vigoureusement réprimés, devenaient de plus en plus rares; les relations commerciales se multipliaient, la soumission des Beni-Boudrar (fraction des Zouaoua), celle des Beni-Ourglis, la bonne attitude des Flissas resserraient de plus en plus les tribus hostiles. Le prétendu chérif Moula-Brahim faisait chez elles peu de prosélytes, et semblait réduit aux prédications. Dans cette partie de la

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