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No. III.

Lettre du Général Yorck au Maréchal Duc de Tarente.

Monseigneur,

Tauroggen, le 30 Décembre 1812.

Après des marches très-pénibles, il ne m'a pas été possible de les continuer sans être entamé sur mes flancs et sur mes derrieres. C'est ce qui a retardé la jonction avec V. Ex. et, devant opter entre l'alternative de perdre la plus grande partie de mes troupes, et tout le matériel qui seul assurait ma subsistance, ou de sauver le tout, j'ai cru de mon devoir de faire une convention par laquelle le rassemblement des troupes prussiennes doit avoir lieu dans une partie de la Prusse orientale, qui se trouve par la retraite de l'armée française au pouvoir de l'armée russe.

Les troupes prussiennes formeront un corps neutre, et ne se permettront pas des hostilités envers aucune partie. Les événements à venir, suite des négociations qui doivent avoir lieu entre les puissances belligérantes, décideront sur leur sort futur.

Je m'empresse d'informer. V. Exc. d'une démarche à laquelle j'ai été forcé par des circonstances majeures.

Quel que soit le jugement que le monde portera de ma conduite, j'en suis peu inquiet. Le devoir envers mes troupes et la réflexion la plus mûre, me la dictent; les motifs les plus purs, quelles qu'en soient les apparences, me guident.

En vous faisant, Monseigneur, cette déclaration, je m'acquitte des obligations envers vous, et vous prie d'agréer les assurances du plus profond respect avec lequel je suis, etc, etc.

Pour copie conforme,

(Signé)

D'YORCK.

(Signé) Le Maréchal Duc de Tarente, MACDONALD.

No. IV.

Lettre du Lieutenant-Général de Massenbach au Maréchal Duc de Tarente.

Monseigneur,

La lettre du général d'Yorck aura déjà prévenu V. E. que ma derniere démarche m'est prescrite, et que je n'en pourrais changer

rien, parce que la mesure de prévoyance que V. E. fit prendre cette nuit me parut suspecte de vouloir peut-être me retenir par force, ou désarmer mes troupes dans le cas présent. Il me fallut prendre ce parti dont je me suis servi pour joindre mes troupes à la convention que le général commandant a signée, et dont il me donne l'avis et l'instruction ce matin.

V. E. pardonnera que je ne sois pas venu moi-même pour l'avertir du procédé; c'était pour m'épargner une sensation très-pénible à mon cœur, parce que les sentiments de respect et d'estime pour la personne de V. E. que je conserverai jusqu'à la fin de mes jours, m'auraient empêché de faire mon devoir,

Le 81 Décembre 1812.

(Signé) Le lieutenant-général MASSENBACH.

Certifié conforme,

(Signé)

Le Maréchal Duc de Tarente, MACDONALD.

Après la lecture de ce rapport, MM. les conseillersd'Etat présentent un projet de Sénatus-consulte (voyez ciaprès, séance du 11,) et M. le comte Regnaud de SaintJean-d'Angely en expose les motifs de la maniere suivante :

Motifs du Sénatus-Consulte qui met 350 mille Hommes à la disposition du Ministre de la Guerre.

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"Le traité de Tilsitt avait rendu au nord de l'Europe une paix qui semblait devoir être durable.

"Mais l'Angleterre menacée de la guerre avec les Etats-Unis d'Amérique, redoutant avec raison la mauvaise issue que doit tôt ou tard avoir pour elle la lutte engagée en Espagne, s'est occupée de susciter à la France une nouvelle guerre, en faisant rompre l'alliance récemment jurée par la Russie.

"Les efforts de l'Empereur pour la maintenir et assurer l'exécution des traités, ont été inutiles et la guerre s'est renouvelée.

"Elle a été commandée par la violation des conven, VOL. XL.

S

tions les plus solennelles, par des armements nombreux, par des agressions évidentes, par des refus répétés de toute explication, enfin par la nécessité imposée à S. M. de mainnir les droits, et la considération de sa couronne et de celles de ses alliés.

"Le succès de cette lutte nouvelle a été ce qu'il sera toujours pour des Français conduits par le génie qui les a

accoutumés à vainere.

"L'ennemi forcé dans tous les postes, repoussé dans tous les combats, vaincu dans toutes les batailles, a été forcé d'abandonner sa capitale au vainqueur; mais il l'a livrée aux flammes et presque réduite en cendres.

"De là, la nécessité de cette retraite glorieuse; retraite dans laquelle nous n'avons été atteints et frappés que par l'âpreté du climat, la dureté précoce de la saison, et T'excès inaccoutumé de sa rigueur.

"Quand le 29e Bulletin de la grande armée vint étonner à-la-fois, et rassurer la France, l'étendue de ses pértes dévoilées à la nation avec une simplicité si énergique, avec une si noble confiance, éveilla chez tous les Français le sentiment du besoin de les réparer; tous allerent dès-lors au-devant des demandes qu'ils pressentaient, disposés plutôt à les prévenir et à les réparer, qu'à les débattre ou à les attendre.

"Cependant l'Empereur, dont les ennemis doivent toujours craindre, les alliés et les sujets toujours espérer la venue, était arrivé dans sa capitale, lorsqu'on le croyait encore au-delà de Wilna; et se faisant rendre compte des ressources de ses arsenaux, de ses magasins, de son trésor, du nombre de ses troupes, avait annoncé à la France. l'intention de ne faire aucune demande d'hommes ni de contributions nouvelles.

"Avec les impositions annuelles, et les soldats déjà sous les armes, il pouvait fournir à tous les besoins de la campagne au Midi et au Nord de l'Europe.

"Mais, Sénateurs, les faits que le ministre des relations extérieures vient de vous faire connaître par ordre de S. M., doivent changer les premiers calculs de sa sagesse économe des sacrifices de ses peuples, et y faire succéder les calculs de la prévoyance et de la nécessité.

"Déjà, Messieurs, j'ai vu éclater dans cette asseinblée les témoignages de l'indignation qu'éprouvera l'Europe entiere au récit d'une trahison à laquelle on hésiterait de eroire si elle n'était avouée, écrite par son auteur même.

"Le général prussien dont le nom deviendra désormais une injure, a trahi à la fois son souverain, l'honneur, les devoirs de citoyen et ceux de soldat.

"Il s'est séparé honteusement de l'armée dont il faisait partie, du corps avec lequel il marchait; il a livré ceux qui s'exposaient sur sa foi aux suites hasardeuses de son lâche abandon, de sa désertion inopinée.

"Instruit de ce crime, nouveau dans l'histoire des guerres modernes, S. M. le roi de Prusse a montré un ressentiment digne de sa loyauté et de sa fidélité à ses alliés. Uni de sentiments au monarque, son cabinet n'a éprouvé que le besoin de réparer, de punir un attentat politique et militaire, qui offense la nation prussienne et outrage son souverain.

"Ces faits, ces assurances sont consignées dans les pieces dont le ministre des relations extérieurs vous a donné communication.

"Elles garantissent que la gravité de cet événement sera appréciée non-seulement par le gouvernement, mais encore par le peuple prussien tout entier. Il jugera, et toutes les nations du Nord jugeront avec lui, de quels malheurs un tel crime pourrait être la source. La Prusse montrera son attachement au prince qui la gouverne, en se ralliant à son exemple à la voix de l'honneur, et à la fidelle observation des traités.

"Cependant le politique attentif depuis plusieurs années à la marche des événements, s'arrêtera nécessairement sur les causes qui ont amené celui dont je viens de vous entretenir, et ces causes, Sénateurs, il ne me semble pas inutile de les retracer ici rapidement.

"On les trouve évidemment dans les manœuvres et les intrigues de l'Angleterre sur le continent.

Trop faible pour se défendre seule même sur mer contre la puissance française, elle a constamment et succes sivement travaillé à armer contre elle tous les cabinets de l'Europe. C'est l'Angleterre qui a amené et ramené sur les champs de bataille les armées que l'Empereur a vaincues et vaincues encore depuis douze ans.

"Lorsque les cabinets éclairés par l'expérience ont voulu la paix, la paix qui a réjoui l'Europe, a fait frémir l'Angleterre,

"Alors elle a répandu parmi les peuples, et surtout! dans les grandes cités, à l'aide de ses nombreux émissaires et au moyen d'une active corruption, les germes de haine, les

semences de division, les principes de désorganisation, qui éloignent ou séparent les sujets de leurs princes, les peuples de leurs gouvernements.

"C'et ainsi que des sociétés nombreuses sous les noms d'amis de la vérité, de la nature, etc. etc. ou sous d'autres titres non moins bizarres, ont été forinées, encouragées, soultenues, prêchant la haine, l'insurrection, la désobéissance contre tout souverain ami de la France et de la paix dn Contiuent.

"Hélas, c'est dans notre belle France, si paisible aujourd'hui, alors si agitée et si misérable, que le cabinet anglais a fait, durant plusieurs années, qui furent des années de crimes et de malheurs, l'essai de ces funestes moyens de discorde et de troubles civils.

"C'est par ces moyens que l'Angleterre agissait en 1809 coutre le cabinet de Saint Pétersbourg, alors qu'il montrait envers la France des dispositions amies. C'est par ses agents que l'Angleterre préparait en Russie l'influence du parti ennemi de la France, et par lui les hésitations, les variations, les résolutions hostiles des cabinets, et enfin cette derniere guerre qui a coûté à la Russie la dévastation de ses plus belles provinces, le repos à l'Europe, des regrets à l'humanité.

"L'Angleterre a employé, sans doute, pour préparer l'éternel déshonneur du général Yorck, les mêmes moyens, les mêmes associations par lesquels elle amena en 1809 des corps réglés, à se mettre en rébellion, et, chose inouie, à faire la guerre pour leur compte, malgré l'intention, contre les ordres mêmes de leur souverain.

"Ainsi l'Angleterre désunit et divise les pays qu'elle ne peut dominer; elle prépare la ruine des Etats qu'elle ne peut soumettre à son systême.

"En effet, quel moyen de destruction plus inévitable pour le trône même le mieux affermi, que la désertion d'une armée, son opposition aux intérêts de son pays, sa désobéissance aux ordres de son monarque, si tous les souverains intéressés à la répression d'un tel crime, n'unissaient leur voix pour en provoquer, leurs efforts pour en assurer le châtiment, leur pouvoir pour en empêcher le retour.

"Heureusement, Messieurs, les tentatives de nos ennemis pour étendre jusqu'à la France leur fatale influence, leurs funestes succès, sont impuissants.

"Notre vaste territoire, notre immense population, n'éprouvent que les sacrifices inséparables de l'état de guerre,

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