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vaient amusé, tourmentaient alors l'âme de Julien, convaincu que son imprudence était la cause de la détresse publique. A la fin, jugeant que c'était la seule ressource pratiquable qui lui restât, il forma la résolution de diriger ses pas vers les bords de la riviere du Tigre, dans le dessein de sauver l'armée par une marche forcée vers les frontieres de la Corduene, province fertile et amie. Les troupes découragées obéirent au signal de retraite, et cela soixante-dix jours seulement après avoir passé la frontiere dans l'espoir de renverser le trône de Perse.

Aussi long-temps que les Romains semblaient avancer dans le pays, leur marche fut observée et insultée par les corps de cavalerie Perse, qui escarmouchaient avec l'avant-garde, tantôt en ordre serré, tantôt en fourageurs. Leurs détachements étaient néanmoins soutenus par une force beaucoup plus considérable, et les têtes des colonnes romaines ne furent pas plutôt dirigées sur le Tigre, que cette nuée de cavalerie légere parut dans la plaine L'armée de l'Empereur passa la nuit dans des alarmes perpétuelles. A la pointe du jour elle se vit entourée par la cavalerie de l'ennemi qni pourtant n'était que l'avant-garde des barbares; le corps principal sous le commandement d'un général de haut rang et d'une grande réputation, suivait de près. Comme les Romains, étaient forcés dans leur marche de partager leurs corps ou d'allonger leur ligne, ils offraient à leurs vigilants ennemis de fréquentes occasions de les attaquer dans des circonstances favorables. Les Perses chargerent avec fureur à plusieurs reprises, et quoique souvent repoussés avec fermeté, les souffrances de l'armée impériale étaient horribles, et il y eut plusieurs officiers de distinction tués ou blessés. Cependant ces succès momentanés et locaux ne leur permirent pas de presser la poursuite de l'ennemi vigoureusement. La grande perte des RoVOL. XL.

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mains fut celle du temps. Le climat commença aussi à se faire sentir; la vigueur des Gaulois et des Germains fut épuisée par les marches continuellės et les combats journaliers dans un climat auquel ils n'étaient point accoutumés, et leur progrès fut entravé par les précautions d'une retraite dangereuse en présence d'un ennemi actif. A chaque moment, le fond des provisions diminuant, le prix des sub sistances augmentait dans l'armée romaine. Les faibles secours qu'ils obtenaient ne servaient qu'à aggraver le sentiment de la détresse publique, et les Romains commencerent à éprouver les tristés craintes de périr tous, avant de pouvoir gagner la frontiere, soit par la famine, soit par l'épée des barbares. Le Tigre était encore sur leur gauche, et leurs provisions étaient presque consommées. L'ennemi occupait les rives opposées. Un petit corps passa et surprit un poste ennemi qui n'était pas gardé, mais il n'y eut plus ensuite d'autre succès. On perdit deux jours bien importants à travailler sans succès pour tâcher de jeter un pont sur le fleuve, et l'armée qui souffrait déjà les rigueurs de la famine, jeta un regard de désespoir sur le Tigre et sur les barbares, dont le nombre et l'opiniâtreté augmentaient avec la détresse de l'armée impériale.

Ici notre parellelle s'arrête. Il fut permis, par capitulation, au reste des troupes romaines de retourner dans leur pays, couvertes de honte et ayant à peine la force de la sentir.

Julien lui-même périt dans cette désastreuse retraite, soit qu'il fût percé du javelot d'un Arabe, ou qu'il fût frappé par un assassin, ce qui n'est pas éclairci par l'histoire. Mais l'apostat ne vécut pas assez pour voir la ruine finale de ses gigantesques armées. Son successeur fut un Souverain très-Chrétien et même le Souverain le plus chrétien qui ait jamais été assis sur le trône impérial. Son premier objet fut de retirer les armées des services éloignés et dan

gereux auxquels l'ambition de Julien les avait con. damnées. Le second fut de donner la paix au monde et de rétablir dans ses domaines ce qu'on appelait alors ton archaion kosmon, expression qu'on peut rendre à merveille par la phrase française de l'ancien régime.

Si Buonaparté était mort, la ressemblance eût été parfaite jusqu'à la fin. Mais, quoiqu'il en soit, nous nous flattons que nos lecteurs se réjouiront avec nous que le parallele ait été poussé jusques-là, et qu'ils partageront le vœu bien sincere que nous faisons, que de même que la vie de l'ancien et du moderne Julien ont tant de traits de ressemblance, ainsi puisse leur sort se terminer de la même maniere!'!

NEGOCIATIONS DE BUONAPARTE EN

RUSSIE.

Entrevues de Kutusoff et de Lauriston; de Miloradowitch et dé Murat.

Buonaparté qui croyait dicter la paix à Moscou, n'y fut pas plutôt arrivé qu'il aperçut qu'il était bien plus dans une situation à solliciter une capitulation qu'à dicter des couditions de paix ; il imagina donc d'envoyer son Lauriston au Prince Kutusoff proposer un armistice. Le Prince reçut Lauriston au milieu de ses Généraux, afin que Buonaparté ne pût pas composer la conversation; on sait le parti que le moderne César sait tirer d'un tête à-tête, dans ses Commentaires, qu'il a la modestie d'intituler des Bulletins.

"Je ne suis point autorisé, dit-il, à écouter aucune proposi tion de paix ou d'armistice: quant à la lettre adressée à Sa Majesté, je ne m'en chargerai certainement pas. Je dois vous déclarer que l'armée Russe a trop d'avantages pour les sacrifier, elle n'a pas besoin d'armistice."

Lauriston observa que la guerre ne pouvait être éternelle ; qu'elle devait avoir une fin, surtout quand elle se faisait d'une

maniere aussi cruelle.

"Les révolutionnaires français ont donné l'exemple de la barbarie, et Buonaparté a encore ajouté à leur cruauté. Saus doute, la guerre ne sera pas éternelle, mais il ne faut pas songer à la paix tant que les Français seront au-delà de la Vistule. La Russie n'a point provoqué la guerre : l'Empereur pouvait anéantir tous les préparatifs de Buonaparté, en portant immédiatement toutes ses forces de l'autre côté de la Vistule avant que Buonaparté les eût commencés ; mais les tentatives de Sa Majesté pour l'éviter ont été inutiles. Buonaparté est entré en Russie sans déclarer la guerre; il a dévasté une partie de l'empire. Il n'a pas été invité à

venir à Moscou; il faut qu'il en sorte comme il pourra. Nous lui ferons tout le mal que nous pourrons; c'est notre devoir. Il a proclamé que la campague était terminée à Moscou; nous voyons la chose tout différemment; nous croyons qu'elle ne fait que de commencer. Si vous ne vous en doutez pas, nous vous en convaincrons incessamment."

Lauriston. Puisqu'il n'est pas possible d'espérer la paix, il faudra bien marcher; mais en partant, il faudra encore répandre le sang des braves, puisque vos armées marchent de tous côtés.

"Je vous le répete; vous ferez comme vous pourrez pour vous en retourner, et nous ferons tout ce que nous pourrons pour vous en empêcher. Au reste s'il n'est question que de votre départ, nous pourrons arranger cette affaire quand le temps sera venu."

Lauriston se plaignit de nouveau de la fureur qu'on avait inspirée au peuple, afin de rendre tout rapprochement impossible, en attribuant aux Français l'embrasement de Moscou, tandis que le feu y avait été mis par les habitants eux-mêmes.

"C'est la premiere fois que j'entends porter des plaintes de l'enthousiasme et du dévouement d'un peuple tout entier, qui défend son sol contre un ennemi qui l'a envahi, sans y avoir été provoqué; et qui, par cette agression injuste, excite cette animosité, cette rage, dont cet ennemi se plaint, mais que tous les autres peuples admireront. Quant à l'embrasement de Moscou, je suis vieux, M. Lauriston, j'ai un peu d'expérience à la guerre. Soyez donc bien sûr que je sais tous les jours, et à toutes les heures du jour, ce qui se passe à Moscou. J'ai ordonné que l'on, mît le feu à quelques magasins; mais depuis l'arrivée des Français à Moscou, les Russes n'ont brûlé que les ateliers des charrons; les habi tants ont brûlé peu de maisons. Vous avez détruit systématiquement le reste, les jours étaient fixés, les quartiers qui devaient être livrés aux flammes étaient marqués. J'ai eu

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