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M. BERLIER dit que l'article proposé est en harmonie avec les usages reçus; que la puberté, à laquelle on a toujours at– taché la capacité du mariage, est ici à considérer principalement; qu'il s'agit d'une simple faculté dont, comme par le passé, l'on n'usera sans doute que bien rarement; qu'il est pourtant des individus chez lesquels les développemens de la nature précèdent ceux de la raison ou d'un discernement parfait, et qu'il importe de laisser aux familles le soin d'en prévenir ou d'en réparer les effets prématurés; qu'enfin, le consentement des parens, condition sans laquelle le mariage du mineur est invalide, offre une garantie suffisante contre les abus qu'on paraît craindre.

LE PREMIER CONSUL dit (*) que, s'il ne serait pas avantageux que la génération toute entière se mariât à treize et à quatorze ans, il ne faut donc pas l'y autoriser par une règle générale; mais qu'il est préférable d'ériger en règle ce qui est conforme à l'intérêt public, et de ne permettre que par une exception, dont l'autorité publique serait juge, ce qui ne sert que l'intérêt particulier.

M. ROEDERER dit que l'usage des dispenses, loin de sauver l'honneur des fainilles, le compromettrait. Plusieurs causes morales préviendront ordinairement l'abus qu'on peut faire de la faculté de former des mariages entre des individus trop jeunes. Les parens tendent naturellement à conserver le plus long-temps possible leur autorité; ils veulent que l'éducation de leurs enfans s'achève, ils diffèrent de les doter.

LE PREMIER CONSUL dit que, dans un pays où le divorce

(*) « Est-il à désirer que l'on puisse se marier à treize et à quinze ans?

On répond : non; et on propose dix-huit ans pour les hommes et quatorze pour les femmes.

"

« Pourquoi mettre une aussi grande différence entre les hommes et les femmes ? est-ce pour remédier à quelques accidens? Mais l'intérêt est bien plus important. Je verrais moins d'inconvéniens à fixer l'âge à quinze ans pour les hommes qu'à treize pour les femmes; car, que peut-il sortir d'une fille de cet âge qui a neuf mois de grossesse à supporter? On cite les Juifs: à Jérusalem, une fille est nubile à dix ans, vieille à seize, et non touchable à vingt. - (Paroles de Bonaparte, tirées des Mémoires sur le Consulat, pages 428 el

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est reçu, on ne peut espérer la durée des mariages si on permet de les contracter presqu'au sortir de l'enfance. Même avant que le divorce fût usité en France, on mariait rarement des enfans de treize à quatorze ans ; ou si de grands intérêts déterminaient à former de telles unions, on séparait les époux jusqu'à ce qu'ils eussent atteint l'âge d'une maturité plus avancée. Il (*) serait bizarre que la loi autorisât des individus à se marier avant l'âge où elle permet de les entendre comme témoins, ou de leur infliger les peines destinées aux crimes commis avec un entier discernement.

M. ROEDERER observe que l'extrême liberté du divorce sera probablement restreinte; et que, quand elle existerait, elle deviendrait pour beaucoup de familles un motif de ne pas consentir à des mariages prématurés; que, d'un autre côté, les principes religieux seront un frein contre les abus.

LE PREMIER CONSUL dit que ce système serait peut-être le plus sage, qui n'autoriserait le mariage qu'à vingt-un ans pour les hommes, et à quinze pour les filles.

M. TRONCHET dit que la loi pourra, sans inconvénient, différer le mariage jusqu'à ces âges, si, d'ailleurs, elle établit un moyen de faire des exceptions à la règle générale.

L'article est rejeté; et le Conseil adopte en principe que le mariage ne sera permis qu'à dix-huit ans aux hommes, et à quinze ans aux femmes, à moins qu'ils n'obtiennent des dispenses pour le contracter plus tôt.

L'article 3 est soumis à la discussion; il est ainsi conçu : << Sont incapables de contracter mariage,

« 1°. L'interdit pour cause de démence ou de fureur;

« 2°. Les sourds-muets de naissance, à moins qu'il ne soit

(*) « Vous ne donnez pas à des enfans de quinze ans la capacité de faire des contrats ordinaires; comment leur permettre de faire, à cet âge, le contrat le plus solennel? Il est à désirer que les hommes ne puissent se marier avant vingt ans, ni les filles avant dix-huit. Sans cela nous n'aurons pas une bonne race. (Paroles de Bonaparte, tirées des Mémoires de Thibaudeau, pages 429.)

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« constaté qu'ils sont capables de manifester leur volonté; « 3. L'individu frappé d'une condamnation emportant « mort civile, même pendant la durée de temps qui lui est « accordée pour purger la contumace. »

LE PREMIER CONSUL demande pourquoi le mariage serait interdit au sourd-muet.

M. RÉAL répond qu'il est admis à se marier lorsqu'il est capable de donner un consentement.

M. DEFERMON observe que la section exclut, par une disposition générale, le sourd-muet de naissance, et ne l'admet que par exception, quoique tous les sourds-muets sachent exprimer leur volonté.

LE PREMIER CONSUL dit que le mariage étant un contrat, et tout contrat se formant par le consentement, on conçoit que celui qui ne peut exprimer son consentement ne peut pas se marier; mais le sourd-muet de naissance, en voyant son père et sa mère, a connu la société du mariage; il est toujours capable de manifester la volonté de vivre comme eux; et alors, pourquoi aggraver son malheur en ajoutant des privations à celles que lui a imposées la nature?

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que, puisque l'article n'a pour objet que d'expliquer que les sourds-muets ne peuvent se marier que lorsqu'ils peuvent consentir, sa disposition se confond avec celle de l'article 4. On peut donc se borner à ce dernier.

M. REGNAUD (de Saint-Jean-d'Angely) dit que l'article est devenu encore plus inutile, depuis que l'on a découvert l'art de faire expliquer les sourds-muets.

LE PREMIER CONSUL demande pourquoi la privation de l'ouïe et de la parole serait un empêchement au mariage plutôt que d'autres infirmités qui peuvent également y avoir rapport.

M. FOURCROY dit qu'il y aurait plus de motifs de déclarer incapables de mariage ceux qui sont atteints de maladies héréditaires ou de vices de conformation, à l'instar de quelques

législateurs anciens qui défendaient le mariage aux infirmes, aux hommes contrefaits, de peur qu'il n'en provînt des enfans faibles, malades, à charge à eux-mêmes et à la société. M. REAL répond que la section a suivi la déclaration de 1736, qui parle des sourds-muets de naissance.

M. BIGOT-PRÉAMENEU dit que l'article est inutile, s'il n'explique le mode suivant lequel le sourd-muet pourra donner

son consentement.

M. REAL répond que la disposition qui réglera ce mode pourra être placée parmi les dispositions qui déterminent la forme de la célébration des mariages.

M. PORTALIS dit que la rédaction de l'article doit être renversée; qu'au lieu d'établir en principe général que les sourds-muets ne pourront pas se marier, et de ne leur en donner la capacité que par voie d'exception, il conviendrait, au contraire, de poser la règle générale que les sourds-muets sont capables de se marier, et de convertir ensuite en exceptions les incapacités particulières où ils peuvent se trouver.

Au surplus, la jurisprudence n'a jamais eu de difficultés à lever que par rapport à la comparution des sourds-muets en justice. Leur mariage n'a pas causé d'embarras. Ils sont entourés d'une famille, d'amis, qui attestent le consentement qu'ils expriment par leurs signes.

M. REAL dit qu'on ne pourra se dispenser de régler la manière dont ils devront exprimer leur consentement.

M. REGNAUD (de Saint-Jean-d'Angely) observe que, depuis la découverte de l'art de faire expliquer les sourdsmuets, on suppose tellement la possibilité de les comprendre, qu'on ne leur nomme plus de curateurs lorsqu'ils sont traduits en justice; mais seulement un interprète pour expliquer aux juges les signes qui suppléent en eux à l'organe de la parole.

M. PORTALIS blâme cet usage, parce que, dit-il, il importe de maintenir les formes instituées pour la sûreté des accusés. Mais il serait injuste de frapper les sourds-muets d'interdic

tion dans les facultés que leur a laissées la nature : il vaudrait mieux que la loi gardàt le silence sur leur mariage.

M. TRONCHET dit que la loi ne peut se dispenser de s'en expliquer. Les sourds-muets ne pouvant être admis indistinctement à contracter, il est impossible de leur donner, pour le plus important des contrats, la capacité indéfinie qu'on ne peut leur laisser à l'égard des autres. Et même, si on suivait rigoureusement les principes, il faudrait, pour les y admettre, exiger la preuve qu'ils connaissent les suites que doit avoir, par rapport à la femme, aux enfans, à la société, l'engagement qu'ils contractent, et qu'ils se soumettent à toutes ces obligations. Les sourds-muets éduqués ont sans doute ce degré d'intelligence; mais tous doivent manifester qu'ils sont instruits de la nature de l'engagement qu'ils contractent; car l'intérêt détermine plus souvent que le goût à épouser un individu affecté d'une infirmité aussi gênante : on doit donc être en garde contre cet intérêt, et contre les séductions qu'il essaie pour extorquer un consentement dont les conséquences ne sont pas aperçues par celui qui le donne.

LE PREMIER CONSUL dit qu'il ne suffit pas d'être en garde contre l'intérêt que des étrangers peuvent avoir de séduire le sourd-muet; qu'il convient également de ne pas perdre de vue l'intérêt que peut avoir sa famille à l'empêcher de se marier.

M. PORTALIS dit que la loi n'a pas le pouvoir de changer la nature ni la destinée des hommes. Celle du sourd-muet l'expose inévitablement, par rapport au mariage, à divers dangers dont la loi ne l'affranchira jamais. Elle doit donc se borner à le déclarer incapable de se marier, lorsqu'il ne peut manifester son consentement : si elle se rend plus difficile, elle met le sourd-muet dans un état d'interdiction plus pénible même qu'un mariage hasardé.

M. ROEDERER dit qu'un sourd-muet qui serait privé de sa famille se trouverait trop heureux d'avoir le secours d'une

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