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lu faire le génie national. Lui-même il eontrariait sa pensée dominante par toutes les idées accessoires que lui suggérait la justesse ou la grandeur de son esprit. Pour conserver jusqu'à un tems indéfini notre fièvre belliqueuse, il eût fallu nous laisser l'âpreté qui résultait de nos malheurs et de nos discordes. Pauvres, ruinés et toujours menacés de la mort ou de la prison sous la république, qu'avions-nous de mieux à faire que de nous répandre au dehors et de chercher dans la gloire une distraction à nos misères? Il est vrai que Bonaparte nous laissait la servitude; mais comme il ne la rendait que trop douce, que trop commode, elle n'était plus un aiguillon pour nous jeter hors du sol natal. Il avait tiré pendant douze ans un parti merveilleux du plus impérieux de nos sentimens, l'amour de la gloire; mais cette passion commençait à s'épuiser à force d'avoir été satisfaite. Elle cherchait d'autres objets, et la victoire, tant de fois obtenue, brillait de moins d'éclat à

nos yeux que cette liberté dont la recherche nous avait lassés, et dont la pensée nous poursuivait toujours.

L'empereur s'était reposé pendant près de trois ans. Ce n'était pas que la guerre d'Espagne ne continuât dans toute sa fu reur; plus que jamais elle se présentait comme interminable. Le désespoir et la rage patriotique des Espagnols et des Portugais s'appuyaient maintenant sur les secours de l'Angleterre et les talens guerriers de Vel-lington. Ce capitaine, en reculant devant Masséna, avait voulu mettre un désert entre lui et l'armée qui le poursuivait faiblement. Il attendait les Français sous les lignes de Torres-Vedras, à douze lieues de Lisbonne. Masséna vint, reconnut la puissance de ces lignes, tenta tous les moyens de les tourner, ne put y parvenir, vit son armée atteinte de la famine, et fut forcé de se retirer en laissant les Anglais établis dans la péninsule. Sur un autre point, leur marine rendait Cadix inexpugnable. Les

triomphes de Suchet sur les côtes de la Méditerranée et son sage empire dans le royaume de Valence, l'importante prise de Badajoz, le succès du général Marmont, qui fit ensuite lever le siège de cette ville au duc de Wellington, satisfaisaient l'orgueil, sans offrir aucune issue pour la guerre. El le se perpétuait dans les campagnes; d'innombrables guérillas tenaient en quelque sorte les vainqueurs enfermés dans les forteresses et les villes conquises, Bonaparte n'avait plus jugé cette guerre digne de sa présence. Pour la première fois il souffrait 'une entreprise incomplète, et semblait s'ha bituer à l'incurable guerre d'Espagne, comme il s'était habitué aux désastres de sa marine. Une autre pensée l'occupait.

Campagne de Russie. Désastres, 1812.

A la vue des tributs et des hommages de l'Europe, et d'innombrables envoyés qui semblent prendre à tâche de surpasser les complaisances de sa cour et de son sénat même; à la vue des immenses richesses qui affluent dans les caves de son palais, et des monumens qui s'élèvent par ses ordres; au milieu des plaisirs que les arts s'efforcent de réveiller pour lui; enfin, auprès d'un fils auquel il pourra léguer l'héritage de sa grandeur, Bonaparte s'ennuie. Déjà les forces de son corps ne répondent plus à la fougueuse activité de son esprit; l'obésité le menace;

souffre assez souvent; mais nul effort ne lui coûte pour empêcher qu'on ne le soupçonne de quelque infirmité, de quelque décadence. Son ambition, qui s'accroît, lui persuade que ses facultés vont s'accroissant. C'est maintenant le colosse de la Russie qu'il

veut fouler aux pieds. Dieu sait s'il n'a pas

Quelle perspective! médité de s'ouvrir,

par les limites de la Russie asiatique, un chemin vers les Indes. Il rêve nuit et jour à cette entreprise, qu'il dissimule par mille soins inquiets, mille protestations pacifiques, et qui lui semble seule le complément de sa gloire et de ses destins. Pour justifier cette guerre, n'a-t-il pas son blocus continental, auquel l'empereur Alexandre s'est soustrait, après avoir promis d'y concourir? Il s'étonne que cet immense empire ne tourne pas en satellite autour du sien, et que l'empereur Alexandre n'ait pas sacrifié à l'amitié d'un grand homme tout le commerce de ses peuples, tout l'ouvrage de Pierre-leGrand.

Dès le commencement de 1812 les apprêts d'une guerre formidable deviennent manifestes; leur direction ne peut être équi voque. Depuis l'abaissement de la Prusse et de l'Autriche, la Russie est le seul empire qui ne soit point encore une puissance dé

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