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s'agissait, au contraire, non d'une maison ou d'une famille, mais d'un principe, de la royauté.

Après avoir développé cette idée, M. de Montalivet entrait dans des détails historiques sur la manière dont la liste civile avait été volée par nos différentes assemblées législatives, en 1791, en 1814, en 1825. Il fit observer que ces trois assemblées, à des époques si éloignées, dans des circonstances si différentes, sous l'influence de passions si diverses, avaient pris des résolutions semblables, avaient doté la royauté avec munificence, et laissé au monarque les antiques demeures de Henri IV et de Louis XIV. Il en inférait que l'histoire, d'accord avec la raison, nous montrait dans cette uniformité de résultats un principe commun de justice et de raison politique.

Comment se fait-il, continuait l'orateur, qu'en 1791, au milieu de tant de passions impatientes de détruire, en face d'une royauté affaiblie qui excitait tant de défiance, dans une crise de réformes si générales et si rigoureuses, parmi tant de suppressions qui frappaient le clergé et la noblesse, une assemblée si hardiment novatrice se soit arrêtée unanimement à ce chiffre de 25 millions pour doter la couronne ?

Comment se fait-il qu'en 1814, à une époque où toutes les plaies de la France, épuisée par vingt cinq ans de guerres et de victoires, se rouvraient sous les nouveaux désastres d'une invasion étrangère, dans une Chambre où siégeaient déjà quelques-uns des défenseurs des deniers et des libertés du peuple que la révolution de 1830 a retrouvés dans cette enceinte et dans les rangs d'une opposition nouvelle, pas une voix ne se soit élevée contre une liste civile de 34 millions?

Comment se fait-il qu'en 1825, lorsque depuis trois ans pesait sur la France un ministère hostile à toutes nos libertés, sous un roi plus hostile encore, et, on le savait, en présence de cette minorité courageuse, organe infatigable de la France constitutionnelle, et qui, toujours sur la brèche, defendait pied à pied ses intérêts aussi bien que sa constitution, une liste civile de 32 millions n'ait pas trouvé un seul contradicteur?

■C'est qu'à ces trois époques, Messieurs, malgré la différence des temps, des circonstances et des hommes, une même pensée présidait aux délibérations. Tous voulaient la monarchie constitutionnelle, et ils savaient que, dans cette forme de gouvernement, il faut à la royauté une haute influence qu'elle n'emprunte pas seulement au concours et à l'action des pouvoirs politiques, mais qu'elle doit puiser aussi dans l'indépendance et la dignité de sa situation personnelle. i

Le ministre passait ensuite en revue les opinions qui avaient été émises, hors de la Chambre, par les divers partis, sur la question à l'ordre du jour, et annonçait qu'il voulait s'adresser seulement aux représentants de l'opinion qui a fondé en même

et de nos grandes cités; il faut que tous les malheureux, que toutes les infortunes privées ou publiques ne puissent tourner leurs regards vers une autre demeure. »

Dans le reste de son discours M. de Montalivet réfutait une objection qui s'était souvent renouvelée, que M. Dupont (de l'Eure) venait encore de présenter, et qui consistait à dire que c'était assurer et fortifier la royauté que d'en réduire l'existence extérieure aux plus étroites limites.

M. Lherbette fut le dernier orateur que la Chambre entendit dans cette séance. Il rechercha s'il était bon qu'il y eût un domaine de la couronne, et s'il n'était pas plus avantageux, de toutes manières, qu'il n'y eût qu'une allocation annuelle en argent. Mais l'assemblée encore émue des débats tumulteux qui l'avaient agitée n'écoutait qu'avec distraction les paroles de l'honorable membre.

Séance du 5. Le lendemain, après la lecture du procès-verbal, M. de Tracy prit la parole pour demander qu'il fût constaté que, nonobstant l'explication donnée la veille par M. de Montalivet, le mot sujets répété par lui avait trouvé dans la Chambre la même opposition, et que la Chambre repoussait cette appellation comme ne pouvant plus avoir lieu entre le souverain de la France, le chef de la nation, celui que tous les Français doivent et veulent respecter, et les citoyens qui composent la grande famille française. Aussitôt le débat recommença sur la propriété ou l'inconvenance de cette expression. M. le garde des sceaux prétendit qu'elle n'avait rien de contraire aux principes. Il cita comme un précédent décisif le rapport fait au roi le 8 août 1830 par la commission municipale de Paris, et où se trouvait le mot de sujets. « Représentant du pays, ajoutait le ministre, exécuteur suprême de la loi, le roi est la loi vivante; on ne peut séparer la Charte du roi; on jure à la fois fidélité au roi et fidélité à la Charte.» Cette assertion éprouva de nombreuses contradictions. M. Odilon-Barrot répondit que ce n'était pas sans dessein que la qualification de roi des Français avait été substituée dans la Charte de 1830, à

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celle de roi de France; que le mot de sujets avait été évité et dans la Charte et dans la déclaration qui lui sert de préambule. D'ailleurs le roi, depuis la révolution de juillet, s'était abstenu, dans ses rapports avec les Français, de cette expression de sujets. «Quant aux paroles prononcées par M. le ministre de l'instruction publique, disait l'honorable membre, elles lui appartiennent. La Chambre n'a pas juridiction sur les paroles d'un ministre; mais elle est maîtresse de son procès-verbal. Elle doit veiller à sa rédaction; elle doit, en rayant cette expression de son procès-verbal, protester contre un mot qui tendrait à altérer notre droit public. » Cette discussion irritante et tumultueuse se prolongea encore quelque temps, mais sans produire aucune considération nouvelle, et la Chambre passa à l'ordre du jour.

Des députés se retirèrent, en assez grand nombre, dans la salle des conférences, et y signèrent une protestation, qui fut rédigée en ces termes par M. Odilon-Barrot :

PROTESTATION.

Les membres de la Chambre des députés qui ont assisté avec douleur aux deux séances des 4 et 5 janvier 1832, dans lesquelles les ministres du roi ont reproduit et essayé de justifier la double expression de roi de France et de sujets du roi, attestée par le Moniteur, expressions qui ont été rayées de notre Charte de 1830 comme inconciliables avec le principe de la souveraineté nationale, se doivent à eux-mêmes et à leur pays de protester hautement contre des qualifications qui tendraient à dénaturer le nouveau droit français; le président n'ayant pas mis aux voix la suppression de ces mots du procès-verbal, la Chambre n'ayant pas voté sur cette suppression, ce qui aurait eu pour effet de donner un caractère légal et parlementaire à la présente protestation, les soussignés ont recours à la seule voie qui leur soit ouverte, celle de la publicité, et déclarent protester, en présence de la France, contre la qualification dont MM. les ministres se sont servis, et contre toutes les conséquences qu'on en pourrait tirer ultérieurement..

Cette protestation réunit, dès le premier moment, 104 signatures, et dans la suite 165 environ: plusieurs étaient précédées d'adhésions motivées, entre lesquelles on remarquait celle du général Lafayette, qui repoussait les expressions de roi de Ann. hist. pour 1832.

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France et de sujets, comme attentatoires à la révolution de juillet (1).

Nous avons dû retracer avec ses principaux détails cet incident, l'un des plus orageux qui eussent éclaté depuis le commencement de la session : il a fourni encore une fois aux partis qui divisaient la Chambre une occasion de se dessiner nettement avec leurs idées, leur esprit, leurs passions, et il donne à peu près la mesure de leurs forces respectives. Revenons maintenant à la liste civile.

On ne découvrait point d'arguments nouveaux dans les discours qui furent encore prononcés avant la clôture de la discussion générale. D'un côté, c'était toujours au nom et dans l'intérêt de l'infortune, des arts, du commerce, de l'industrie, du luxe utile aux ouvriers; au nom des vertus personnelles du monarque, qui répondaient suffisamment du sage et généreux emploi des fonds de la liste civile, qu'on invitait la Chambre à ne point écouter les conseils des partisans d'une économie exagérée, d'une économie ruineuse en définitive pour le fisc et désastreuse pour le pays (MM. Sapey, Ganneron, de Jouvencel.) Du côté opposé, on persistait à penser que, ni la grandeur nationale, ni la majesté du trône, n'exigeaient ni ne justifiaient l'allocation de la somme dont la commission proposait de grever les contribuables. Une liste civile exorbitante servait moins à soulager les véritables malheureux qu'à satisfaire l'avidité des courtisans. Un allégement des charges du pays contribuerait plus que toute autre chose à affermir et à consolider la royauté nouvelle; la simplicité de la famille royale lui ferait plus d'amis que le faste et la magnificence des cours et s'allierait mieux avec les goûts modestes du roi (MM. Robert, Salverte, Gauthier de Rumilly.)

(1) On a remarqué, quelques jours après, que M. le garde des sceaux, en présentant au roi le compte-rendu de la justice criminelle en 1830, avait formulé ainsi le salut habituel qui termine ces pièces : de V. M., le très humble et très fidèle serviteur.

Séance du 6. On avait attaqué le rapport de la commission comme contenant des contradictions et des lacunes; on avait paru même se méfier des communications faites à la Chambre M. de Schonen, dans son résumé, s'appliqua d'abord à repousser ces divers reproches. La manière dont la commission était composée donnait toutes les garanties désirables aux opinions les plus opposées. Les communications avaient été franches et entières. Les contradictions qu'on croyait apercevoir dans le rapport n'étaient qu'apparentes. Puis essayant de combler les lacunes signalées, l'honorable rapporteur mettait à contribution les états de biens, les budgets, les atlas déposés aux archives de la questure et de la Chambre, pour lui fournir de plus amples renseignements sur les produits dés palais et des châteaux de la couronne, dont les charges surpassent les revenus; sur les domaines qui sont peu de chose, disait-il, et sur les forêts qui sont véritablement productives. Au reste, ` M. de Schönen persistait dans toutes les conclusions de la

commission.

Un premier amendement de M. Salverte avait pour but de faire voter la liste civile par énumération, tandis que la commission proposait seulement de voter par distraction. Dans son énumération, M. Salverte n'avait compris que les Tuileries, le Garde-Meuble, Fontainebleau, Saint-Cloud et Meudon, avec toutes leurs dépendances. Tous les autres biens immeubles, plus onéreux qu'utiles à la liste civile, disaient MM. Mauguin et Laurence, devaient faire retour à l'État, qui, par une administration plus sage, une exploitation des forêts mieux enten- . due, trouverait une source abondante de richesses là où la couronne ne rencontrait que des charges et des dépenses. M. Dupin aîné se prononçait avec force contre la vente des forêts de la couronne. Selon l'honorable membre, le projet de vente, coupe et destruction des forêts ne devait jamais être admis, même sous le prétexte de tirer du prix ou du sol un meilleur produit. M. le ministre de l'instruction publique faisait d'abord remarquer que le système de la commission était

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