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insurgés qui étaient passés à l'étranger sans autorisation ou qui s'étaient absentés sans qu'on sût ce qu'ils étaient devenus, attendu qu'ils devaient être censés avoir renoncé, par ce seul fait, aux titres qu'ils pourraient avoir à l'indulgence de l'empereur. N'était-ce donc pas une peine assez grave que cet exil éternel auquel tant d'illustres Polonais s'étaient condamnés, et devait-on encore les punir jusque dans leur postérité, par la confiscation, cette peine odieuse que toute nation civilisée se hâtera d'effacer de ses codes ?...

L'empereur Nicolas était mieux inspiré lorsque, par un ukase du 10 avril, il consolidait les droits et les prérogatives des bourgeois habitants des villes russes, dans une suite de dispositions dont l'histoire louera la sagesse, parce qu'elles tendent à donner de plus en plus à la Russie ce tiers état, qui est l'instrument le plus actif de la prospérité des peuples.

Au reste, ce n'était pas seulement en Pologne, où tant de vieux souvenirs de gloire et de nationalité luttaient contre l'affermissement de la domination étrangère, que la Russie avait à combattre des insurrections. A l'autre extrémité de son empire, les montagnards du Caucase et du Daghestan avaient de nouveau pris les armes. Un de leurs chefs les plus redoutés, Kazi-Moullah, fit, à la tète de bandes nombreuses, des irruptions dans le Daghestan, s'empara de quelques villages qu'il pillas, et eut plusieurs rencontres au mois de mai avec les troupes russes, qui ne parvinrent pas sans peine à délivrer la contrée de cet audacieux partisan.

-A Kazi-Moullah succéda son complice Hamzad-Beck, autre rebelle non moins fameux dans le Daghestan ; il souleva environ 2,000. montagnards, envabit la province de Djary, et propagea la sédition chez tous les Lesghis, qui le rejoignirent après avoir envoyé leurs familles et leurs biens dans l'intérieur des montagnes. Hamzad-Beck avait intercepté toute communication avec la forteresse de Zakataly, levé des cavaliers parmi les habitants intimidés, et menaçait les provinces de Yeloussi et de Scheki. Le lieutenant général Rosen, come

mandant les troupes russes au-delà du Caucase, résolut de déjouer les projets du rebelle: il se mit en marche le 26 juillet, et le 28 il dispersa une première bande de mille insurgés. Le 30, trois mille cinq cents hommes, avec douze pièces d'artillerie, se portèrent sur un village où Hamzad avait pris position. Chassé de ce point et battu encore le surlendemain, il s'enfuit à travers les montagnes et ne reparut plus. De cette manière, près de cinq mille familles furent réduites en trois jours à l'obéissance, sans aucune perte considérable pour les Russes, tandis que les révoltés avaient à regretter beaucoup de monde en tués, blessés ou prisonniers.

Cette défaite des peuplades sauvages qui, depuis cinq ans, s'étaient insurgées dans les montagues du Caucase, fut ensuite rendue complète et définitive par une nouvelle victoire remportée sur Kazi-Moullah. Il perdit la vie dans la défense de son dernier asile, le défilé inaccessible de Gimry. Les corps de ce chef et de ses principaux adhérens, percés de coups de baïonnettes, tombèrent entre les mains des Russes qui entrèrent, le 30 octobre, au point du jour, dans Gimry. Aussitôt après cette conquête, les vieillards du village se présentèrent devant le général Rosen pour demander gràce: le lendemain les autres villages firent également leur soumission.

Ainsi, à ne considérer en ce moment que les intérêts de sa grandeur, cette année fut heureuse pour la Russie. La vaste unité moscovite, menacée, quoique dans des degrés inégaux, par une double insurrection, était sortie victorieuse des deux luttes qu'elle avait eues à soutenir en Europe et en Asie. L'abus de la victoire en Pologne avait détruit la faible barrière élevée par le congrès de Vienne entre le colosse russe et l'Europe occidentale où il attirait tous les regards, comme s'il se fût agi du premier partage de la nation polonaise.Cette préoccupation, dont toutes les feuilles publiques déposaient, et qui avait un retentissement si animé dans la presse et dans le parlement d'Angleterre, allait bientôt s'augmenter encore par l'effet de la guerre du pacha d'Égypte contre le sultan Mahmoud. Seul de tous les gouvernemens

européens, le cabinet de Saint-Pétersbourg s'était prononcé de bonne heure entre les deux parties belligérantes. Dès le mois de juin, il avait rappelé son consul général d'Alexandrie et invité ses sujets à ne fournir aucun secours au pacha en armes ni en vivres : c'était annoncer pour le sultan une bonne volonté dont celui-ci se décida à profiter après la bataille de Koniah (voy. le chapitre de Turquie). A la vérité, la Russie se présentait comme auxiliaire, comme protectrice; mais n'étaitče pas sous ce masque qu'elle était intervenue autrefois dans cette malheureuse Pologne qu'elle achevait aujourd'hui de dévorer? Et de là une méfiance universelle, surtout en France et en Angleterre, au moment où la Russie se disposait à montrer enfin à ses soldats, avides de climats plus doux, cette Constantinople vers laquelle elle a toujours les regards tournés depuis Pierre-le-Grand.

A peine, dans la perspective des dangers dont l'ambition russe semblait menacer la Turquie chancelante et par suite la paix de l'Europe, remarquait-on le côté faible de cette puissance gigantesque : l'embarras des finances. On peut croire que cette considération n'avait pas été sans influence sur le refus du cabinet de Saint-Pétersbourg d'aider le roi de Hollande dans sa querelle avec les Belges. Depuis long-temps il était question d'un emprunt qui rencontrait de grandes difficultés et avait même entièrement échoué en Angleterre. Cependant un rescrit impérial du 18-30 octobre prescrivit au ministre des finances d'inscrire au grand livre des dettes de l'État un emprunt de 20 millions de roubles d'argent, avec intérêt de 5 pour cent et I pour cent d'amortissement (1). La maison Hope, d'Amsterdam, chargée de le réaliser, l'a émis au taux de 84. A ce prix les soumissions qu'elle a voulu recevoir ont été immédiatement remplies.

(1) Le rouble d'argent s'échange en Russie contre les roubles assignats de banque, qui valent 1 fr. 10 c. de France, à raison de 370 roubles de papier pour 100 roubles d'argent. Cet emprunt est donc de 80 millions de francs à peu près.

CHAPITRE IV.

TURQUIE. Siége de Saint-Jean-d'Acre par les Égyptiens.
et Ibrahim sont déclarés traîtres et rebelles par la Porte.

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Méhémet-Ali
Ses prépa-

Première victoire d'Ibrahim sur les troupes de la
Les Égyptiens marchent en

Porte. Prise de Saint-Jean-d'Acre.

avant.

Hama.

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Bataille de Bylan. Prise d'Antioche.

rine égyptienne. Travaux du

d'Alexandrie. port

une nouvelle armée. - État général de la Turquie. ses opérations offensives. Combat de Sillé. Intervention armée de la Russie.

Progrès de la mala Porte organisé Ibrahim reprend

Bataille de Koniah.

Dans notre dernier volume nous avons laissé l'armée égyp tienne devant Saint-Jean d'Acre. Le siége continuait avee persévérance depuis le mois de décembre, malgré les mauvais temps. Abdallah, pacha d'Acre, quoiqu'il n'eût qu'une garnison de 2,000 hommes, faisait une résistance digne de la renommée de la place où il était enfermé, et jusqu'alors toutes les attaques des Égyptiens avaient été sans succès. Ils avaient eu à souffrir beaucoup du climat froid et pluvieux de la Syrie. Ibrahim avait dû demander des renforts à son père, et sa flotte, maltraitée par les bombes de la forteresse et par les tempêtes, était allée réparer ses avaries dans le port d'Àlexandrie.

Soit que ces revers donnassent au Sultan l'espoir que Méhémet-Ali échouerait dans son entreprise, soit par la perfidie des membres du divan hostiles aux réformes de Mahmoud ou gagnés au pacha d'Égypte, les préparatifs de la Porte contre son vassal révolté ne marchaient qu'avec lenteur. Le Sultan, d'ailleurs, n'avait pas encore cessé de considérer la guerre de Syrie comme une guerre particulière entre deux gouverneurs voisins et rivaux, et il s'efforçait de croire que Méhémet ne voulait pas s'attaquer directement à l'autorité impériale. Ceci explique pourquoi la liste de nomination, d'avancement ⚫t de confirmation, publiée, comme à l'ordinaire, après la fête

du Baïram, ne destituait pas formellement le vice-roi d'Égypte: elle se bornait à annoncer que les pachaliks d'Égypte et de Candie restaient provisoirement inoccupés, et qu'on y pourvoirait suivant la conduite ultérieure de Méhémet-Ali et de son fils.

Cependant le vice-roi, loin de rappeler ses troupes de la Syrie, avait persisté à n'entrer en arrangement et à ne faire acte de soumission au grand-seigneur que si S. H. voulait lui accorder l'investiture de cette province, aux mêmes conditions de vasselage et de tribut que le gouvernement de l'Égypte. Le sultan dut enfin en venir à une rupture complète : un firman solennel déclara Méhémet-Ali et son fils traîtres et rebelles, en ordonnant qu'ils fussent punis exemplairement. Une armée d'expédition partit pour la Syrie, au mois de mars, sous les ordres de Hussein-Pacha, gouverneur de la province de Tchirmen, qui avait reçu à cette occasion, en présence de tous les grands de l'empire, le titre inusité en Turquie, et emprunté à la hiérarchie militaire de l'Europe, de feld-maréchal d'Anatolie. Hussein était célèbre par la destruction des janissaires et la bravoure qu'il avait déployée dans la campagne de Russie. Méhémet ayant été déposé, il était lui-même appelé à le remplacer dans le gouvernement de l'Égypte. C'était une proie superbe pour son ambition, mais difficile à prendre.

De son côté, Ibrahim se disposait à pousser la guerre avec une nouvelle vigueur. Il convertit le siége de Saint-Jeand'Acre en blocus, ne laissa devant la place qu'un corps d'observation de 5,000 hommes, et, avec le reste de son armée, il se porta en avant, vers la fin de mars, pour ouvrir la campagne contre les troupes qui s'étaient déjà rassemblées à Alep et à Damas. Il réussit, par des marches forcées, à surprendre, le 7 avril, près de Tripoli, une division de 15,000 hommes, commandée par Osman-Pacha, et la détruisit entièrement. Osman prit la fuite pendant la nuit, abandonnant ses tentes, ses munitions, son artillerie et ses blessés. Tout ce qui ne tomba pas sous les coups des Égyptiens fut fait prisonnier ou se dispersa,

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