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arrive trop souvent qu'elle est forcée par les circonstances de donner son assentiment, quoiqu'en protestant, aux lois du budget dont la loi de règlement fait partie: cette première considération est de la plus haute importance. »

En outre, il importait qu'une telle disposition, qui établissait pour l'avenir un principe rigoureux d'expropriation, ne fût pas inséré dans un acte où personne n'irait le chercher. Aucune voix ne s'étant élevée pour combattre ces motifs, la suppression de l'article fut adoptée.

M. le duc de Broglie ayant fait observer que les réflexions que venait de présenter M. le rapporteur s'appliquaient identiquement à l'article 11, relatif à la remise de tout ou partie des droits du sceau, pour la délivrance des lettres de naturalité et de dispenses d'âge ou de parenté pour mariage, cet article, bien qu'il eût été demandé par le gouvernement, fut aussi rejeté.

L'article 14, dont la disposition était trop importante, suivant la commission, pour être improvisée à la tribune par amendement, pour être placée dans une loi annuelle, et l'article 15, qui défendait généralement et indéfiniment de faire une dépense qui, selon les circonstances, les temps et les personnes, pouvait être utile et commandée par des considérations d'un grand intérêt public, éprouvèrent le même sort que les précédents. Le scrutin secret donna ensuite 91 suffrages contre 2 en faveur de la loi.

Elle revint le 18 à la Chambre des députés, avec l'approbation du gouvernement. Mais les doctrines qui avaient obtenu l'assentiment de la Chambre des pairs en cette occasion ne furent point partagées par la commission de l'autre Chambre, comme il parut d'après le rapport présenté le 2 février par M. Passy.

Que sont, en effet, les lois de finances, disait-il? Des lois qui, bien que renouvelées tous les ans, n'en pourvoient pas moins à des nécessités durables et permanentes. Aussi les faits que, dans leur succession non interrompue, elles approprient aux besoins d'une seule année, ne formentils pas un tout isolé et complet? Liés à l'avenir comme au passé, ces faits sont d'ailleurs soumis à des règles dont l'influence les modifie parfois

fortement, et de l'appréciation desquelles il est impossible de les séparer. Des recettes ont-elles lieu sous des formes défectueuses, des dépenses prêtent-elles à l'abus, un mode de comptabilité en usage n'offre-t-il pas suffisamment de garanties, il est naturel de corriger les inconvénients existants à mesure qu'on les rencontre; et c'est parce qu'on l'a fait toutes les fois que l'examen des lois de finances en a offert l'occasion, que tant d'améliorations ont été introduites successivement dans l'organisation financière de la France. »

Cependant la majorité de la commission avait maintenu la suppression des articles 10, 11 et 14. Quant à l'article 15, elle avait pensé que sa véritable place était dans la loi des comptes, et elle en proposait le rétablissement avec un changement de rédaction, à l'effet de ne permettre à l'avenir d'allocation aux ministres, pour frais de premier établissement, qu'en vertu d'une ordonnance nominative et motivée.

4 février. M. Dubois Aymé, sur la proposition duquel la Chambre élective avait admis d'abord l'article relatif à l'adjudication des marchés du gouvernement, avec publicité et concurrence, insista pour que la Chambre maintînt sa première décision, parce qu'elle apportait un obstacle réel aux abus sans nombre, aux dépenses ruineuses qu'occasionaient trop souvent les marchés consentis de gré à gré sans aucune nécessité. M. Charles Dupin et le ministre du commerce combattirent avec force l'amendement, qui n'en fut pas moins. adopté à la presque unanimité, ainsi que l'article suivant, avec la nouvelle rédaction de la commission. Une majorité considérable (264 voix contre 36) se déclara ensuite au scrutin secret pour l'ensemble de la loi.

La clôture de la session empêcha sans doute que le retour de cette loi à la Chambre des pairs ne donnât une nouvelle preuve d'un dissentiment qui, du reste, n'eut encore que trop d'occasions de se manifester.

La Chambre des députés, pensant qu'il résultait pour la chose publique un préjudice considérable de ce que tous les travaux législatifs commencés et non terminés dans une session étaient annulés de plein droit par la clôture de cette session, avait, sur la proposition de M. Salverte, adopté un

projet de loi qui portait que ces travaux seraient repris à la session suivante, en restreignant toutefois cette faculté aux projets sur lesquels un rapport aurait été fait (Voy, l'Ann. de 1831, page 363). Ce projet qui n'avait éprouvé aucune opposition dans la Chambre élective, rencontra, dès l'abord, une majorité hostile dans la commission à l'examen de laquelle la Chambre des pairs le renvoya.

En général, disait M. le marquis de Malleville, rapporteur de la commission, la couronne ne ferme la session des Chambres que lorsque les travaux qui devaient les occuper pendant la session sont terminés ; et elle l'ordonne ainsi, afin de leur procurer, et de se procurer à elle-même un loisir nécessaire pour l'accomplissement d'autres devoirs.

Mais là clôture de la session a aussi quelquefois un autre objet, celui de résister aux entreprises ambitieuses du corps législatif, et de mettre un terme à des débats orageux ou inopportuns, sans recourir à la mesure extrême de la dissolution ou de l'appel au peuple.

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Vous le savez, rien ne serait plus fatal dans une monarchie, plus incompatible avec son existence, que des Chambres législatives permanentes, ou qui ne pourraient être prorogées que par elles-mêmes; car, entreprenant tout ce qu'elles voudraient, elles ne tarderaient pas à opprimer la couronne et à se rendre despotiques.,

Il faut donc empêcher, autant que cela se peut, que leurs entreprises ambitieuses n'aient des suites, qu'elles ne se continuent d'une session à l'autre ; il faut que la couronne ait le moyen de rompre la liaison.

Lorsque la couronne trouve des inconvénients à tels ou tels projets, il est du devoir de leurs auteurs d'y réfléchir plus mûrement. Que si cependant ils jugent à propos de les reproduire dans une nouvelle session, au moins ne faut-il pas qu'ils le puissent, comme le leur permettrait la proposition actuelle, en surprenant à leur Chambre une simple mise à l'ordre du jour; il ne faut pas qu'ils exposent la Chambre à des débats orageux et publics sur l'ordre du jour lui-même; il faut qu'ils se soumettent de nouveau à toutes les épreuves prescrites pour la proposition, la délibération et l'adoption des lois.

C'est pourquoi l'effet de la clôture de la session, comme celui de la dissolution, dont le droit appartient à la couronne, est d'annuler tous les actes, tous les projets qui n'ont pas encore acquis le caractère de lois.

A l'appui de cette opinion, M. de Malleville citait de nom-breux exemples pris dans les usages du parlement d'Angleterre et du congrès des États-Unis. Cette marche présentaitelle d'ailleurs des inconvénients aussi considérables, et le projet eu délibération d'aussi grands avantages qu'on le supposait? La commission ne le pensait pas et concluait au rejet de la proposition (séance du 27 janvier).

3 février. Ces conclusions, combattues par M. le comte

d'Haubersaert, mais auxquelles MM. le duc de Broglie et le comte Roy prêtèrent leur appui, furent admises par la Chambre, qui repoussa la proposition à une majorité considérable (69 voix contre 7).

Une autre question bien plus irritante, et sur laquelle les deux Chambres étaient aussi destinées à ne pas s'entendre, fut celle de l'abrogation, déjà sanctionnée par la Chambre des députés (Voy. l'Ann. de 1831, page 363), de la loi relative au deuil anniversaire du 21 janvier.

16 février. Le projet qui prononçait cette abrogation avait été apporté à la Chambre des pairs dès le 30 décembre; la discussion en était impatiemment attendue, à cause de l'approche du 21 janvier. Mais la commission à laquelle il avait été renvoyé, avait voulu, en l'ajournant, disait son rapporteur, M. le comte de Tascher, placer la discussion d'une question grave sur un terrain parfaitement libre, c'est-à-dire à une époque telle qu'elle ne pût fournir aucun prétexte à l'agitation des esprits, et que les influences passionnées du dehors ne pussent réagir au dedans de lá Chambre sur la liberté de

son vote.

Portant d'abord toute son attention sur la loi du 19 janvier 1816, la commission y avait reconnu deux éléments bien distincts: 1o des dispositions réglémentaires qui n'étaient pas exemptes de l'esprit de réaction naturel à cette époque; 2o un principe politique et social d'une haute importance. Ces dispositions, la commission ne prétendait pas les justifier; sans doute on aurait pu ne pas faire cette loi de 1816, ou la faire autre; peut-être même était-elle au moins inutile.

Mais, ajoutait M. de Tascher, quand elle est faite, quand elle a servi pendant quinze ans de sanction à la Charte qui a vaincu en 1830, pouvezvous l'abroger tout entière? Pouvez-vous, en rejetant ses formes offensantes, repousser son principe politique? Votre commission a pensé à l'unanimité que vous ne le pouviez pas, car ce principe de la loi de 1816 est devenu la sanction de l'article 12 de la Charte jurée le 7 août, et le repousser aujourd'hui, ce principe, ce serait anéantir la sanction; le repousser, ce serait déclarer à la face des nations que cet article de votre Charte n'y figure que pour mémoire, et que l'inviolabilité de la couronne est un mensonge inséré dans une Charte de vérité; ce serait déclarer que

la France de juillet n'a donné à son roi qu'une vaine garantie; enfin Messieurs, nous oserons vous le dire, repousser aujourd'hui, avec la loi de 1816, tout souvenir anniversaire du 21 janvier, ce serait dire que parce que Charles X est déchu en 1830, on a bien fait, il y a quarante ans, de tuer Louis XVI. (Vive sensation.) Ce serait déclarer à la France, et faire promulguer par son roi que le jour où la tête d'un roi de France est tombée sous la hache du bourreau, et le jour où de pareils attentats pourraient se renouveler, seraient, dans les fastes de la nation française, des jours ordinaires où il serait loisible à chacun de vaquer à ses affaires ou à ses plaisirs, ainsi que le racontait, à la France épouvantée, l'impassible Moniteur du 22 janvier 1793. Voici comment il s'exprimait: Deux heures après, rien n'annonçait dans Paris que celui qui naguère était le chef d'une grande nation, venait d'y subir le supplice des criminels; la tranquillité publique n'a pas été troublée un seul instant dans Paris. » (Nouveau mouvement.) Ce langage stoïque vous révolte, Messieurs, et cependant il n'est que l'expression naïve du système qu'on vous propose d'adopter.

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Et dans quel moment vous le propose-t-on ? C'est quand les uns vous parlent du 21 janvier comme d'une justice sévère! quand les autres essaient de justifier les juges de Louis XVI par le mandat spécial qu'ils avaient reçu du peuple! c'est quand un organe de la presse périodique soumet à ce même peuple les doutes les plus sanguinaires! quand un autre, plus récemment encore, propose d'appliquer la responsabilité au rang suprême! quand les voûtes du temple de la justice retentissent!.... Je m'arrête, Messieurs; mais quelle coïncidence! Et c'est dans un tel moment que vous abandonneriez l'article 12 de la Charte, et qu'en abrogeant sa sanction, la Chambre des pairs semblerait accorder un bill d'indemnité au régicide légal ! Ce n'est pas du moins votre commission qui vous le proposera.

Entrant ensuite dans l'examen des différents articles de la loi de 1816, M. le rapporteur déclarait que la commission était d'avis de maintenir le principe de cette loi et d'amender ainsi la résolution de l'autre Chambre :

Art. 1er. Le 21 janvier de chaque année, les cours et tribunaux continueront à vaquer.

<< Art. 2. Sont et demeurent abrogées toutes les autres dispositions de la loi du 19 janvier 1816.»

21 février. Trois opinions se manifestèrent dans le cours de la discussion. La première, appuyée par M. le marquis de Dreux-Brézé, était pour le rejet pur et simple du projet. S'il y eut jamais un deuil légitime, disait-il, ce fut le deuil porté pour Louis XVI. D'ailleurs l'Angleterre dont, en toute occasion, on cite l'exemple, l'Angleterre n'avait pas cessé, depuis sa révolution de 1688, de célébrer l'anniversaire de la mort de Charles Ier

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