Page images
PDF
EPUB

ple redevient le maître, dans ces moments critiques, de prendre l'intérêt du moment pour unique regle de sa conduite.

Hé! pourquoi donnerions-nous à nos voisins des priviléges qu'ils s'obstineraient à nous refuser? Il sera toujours utile, nous dit-on, d'attirer sur notre sol des étrangers riches de leurs possessions, de leurs talents, de leur industrie; j'en conviens: mais viendront-ils sur notre sol, ces opulents et précieux étrangers, si, par leur établissement en France, ils deviennent eux-mêmes tout-à-coup étrangers à leur sol natal; s'ils ne peuvent aspirer au titre de Français, sans sacrifier tous leurs droits acquis ou éventuels dans leur patrie, parce qu'elle nous refuse les avantages de la réciprocité, et qu'elle persiste à ne voir dans les Français que des étrangers? Encore une fois, méfions-nous des théories, quelque brillantes qu'elles paraissent, et consultons plutôt l'expérience.

Lorsque l'ancien gouvernement français annonça l'intention de supprimer, d'adoucir du moins les droits d'aubaine envers les peuples qui partageaient ses principes, plusieurs gouvernements s'empresserent de traiter avec la France, et de s'assurer, par un juste retour, le bienfait de la suppression ou de la modification du droit d'aubaine; on donna pour acquérir; car l'intérêt est la mesure des traités entre gouvernements, comme il est la mesure des transactions entre particuliers.

Mais depuis l'abolition absolue du droit d'aubaine de la part de la France, de tous les peuples qui n'avaient pas auparavant traité avec elle, il n'en est pas un seul qui ait changé sa législation. Ils n'avaient plus besoin de faire participer chez eux les Français à la jouissance des droits civils pour obtenir la même participation en France; aussi ont-ils maintenu à cet égard, contre les Français, toute la sévérité de leur législation : en sorte qu'il est actuellement

ART.

ART.

prouvé que si l'intérêt général des peuples sollicite
en effet l'abolition entiere du droit d'aubaine, il
faut,
, pour ce même intérêt, établir une loi de réci-
procité, parce que seule elle peut amener le grand
résultat que l'on desire.

Est-il nécessaire actuellement de répondre aux autorités? Montesquieu a qualifié le droit d'aubaine de droit insensé; mais Montesquieu, dans la phrase qu'on cite, plaça sur la même ligne les droits de naufrage et ceux d'aubaine, qu'il appelle tous les deux des droits insensés. Il y a cependant loin du droit barbare de naufrage, qui, punissant le malleur comme un crime, confisquait les hommes et les choses jetés sur le rivage par la tempête, au droit d'aubaine, fondé sur le principe (erroné si l'on veut, mais du moins nullement atroce) d'une jouissance exclusive des droits civils en faveur des nationaux.

Montesquieu, d'ailleurs, a-t-il prétendu qu'une nation seule devait se hâter de proclamer chez elle la suppression absolue du droit d'aubaine', quand ce droit était établi et maintenu chez tous les autres peuples? il savait trop bien que certaines institutions qui, en elles-mêmes, ne sont pas bonnes, mais qui réfléchissent sur d'autres nations, ne pourraient être abolies chez un seul peuple, sans compromettre sa prospérité, tant qu'il existerait chez les étrangers une espece de conspiration pour les maintenir.

Le régime des douanes a aussi été jugé sévèrement par des hommes graves qui desiraient la chûte de toutes les barrieres; en conclura-t-on qu'un peuple seul ferait un grand acte de sagesse en supprimant tout-à-coup et absolument le régime des douanes? et n'est-il pas au contraire plus convenable d'engager les autres nations à nous faciliter l'usage des productions de leur sol qui peuvent nous être utiles, par la libre communication que nous pouvons leur donner des productions françaises dont ils auront besoin?

Tout le monde convient qu'un état militaire ex

mais

cessif est un grand fardeau pour les peuples; lorsque cet état militaire, quelque grand qu'il puisse être, n'est que proportionné à l'état militaire des nations rivales, donnerait-il une grande opinion de sa prudence le gouvernement qui, sans consulter les dispositions de celles-ci, réduirait cet état sur le pied où il devrait être s'il n'avait ni voisins ni rivaux?

Une institution peut n'être pas bonne, et cependant sa suppression absolue peut être dangereuse; et c'est ici le cas de rappeler cette maxime triviale, que le mieux est souvent un grand ennemi du bien.

L'assemblée constituante prononça l'abolition du droit d'aubaine! Je sens tout le poids de cette autorité mais qui osera dire : que l'assemblée constituante, que de si grands souvenirs recommanderont à la postérité, ne fut pas quelquefois jetée au-delà d'une juste mesure par des idées philantropiques que l'expérience ne pouvait pas encore régler? Et sans sortir de l'objet qui nous occupe, l'appel que l'assemblée constituante fit aux autres nations, a-t-il été entendu d'elles? En est-il une seule qui ait répondu? N'ont elles pas, au contraire, conservé toutes leurs regles sur le droit d'aubaine? Concluons de-là que si l'assemblée constituante a voulu préparer l'abolition totale du droit d'aubaine, le plus sûr moyen de réaliser cette conception libérale, c'est d'admettre la regle de la réciprocité, qui peut amener un jour les autres peuples, par la considération de leurs intérêts, à consentir aussi l'abolition de ce droit.

[ocr errors]

Ces motifs puissants ont déterminé la disposition du projet qui n'assure en France, à l'étranger, que les mêmes droits civils accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle les étrangers appartiennent.

Voilà la seule regle qu'on doive établir dans un code civil, parce qu'en préparant pour l'avenir la suppression totale du droit d'aubaine, elle n'exglut

ART.

ART.

19

d'ailleurs aucune des concessions particulieres qui pourraient être dans la suite sollicitées par les circonstances et pour l'intérêt du peuple français.

Je ne crois pas devoir m'arrêter à quelques autres articles du premier chapitre; la simple lecture en fait assez sentir la sagesse ou la nécessité, et je passe au deuxieme chapitre de la privation des droits civils.

On peut être privé des droits civils par la perte de la qualité de Français, et par une suite des con21 damnations judiciaires; la premiere section de ce chapitre a pour objet la perte de la qualité de Français.

Il serait superflu de rappeler qu'il ne s'agit pas ici de droits politiques et de la perte du titre de citoyen, mais du simple excrcice des droits civils, droits acquis à un grand nombre de Français qui ne sont pas, qui ne peuvent pas être citoyens; ainsi toute cause qui prive du titre de citoyen, ne doit nécessairement priver des droits civils et de la qualité de Français. Cette qualité ne doit se perdre que par des causes qui supposent une renonciation à sa patrie.

pas

L'article 17 du projet en présente quatre: 1° La naturalisation acquise en pays étranger; 2° l'acceptation non autorisée par le gouvernement de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger; 3o l'affiliation à toute corporation étrangere qui exigera des distinctions de naissance; 4° tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour. L'article 19 assigne une cinquieme cause; c'est le mariage d'une Française avec un étranger. Enfin l'article 21 place aussi au nombre des causes qui font perdre la qualité de Français, l'entrée, sans autorisation du gouvernement, au service militaire de l'étranger, ou l'affiliation à une corporation militaire étrangere.

Il est assez évident que, dans tous ces cas, la

qualité de Français ne peut plus se conserver : ón ne peut pas avoir deux patries. Comment celui qui s'est fait naturaliser en pays étranger, celui qui a accepté du service ou des fonctions publiques chez une nation rivale, celui qui a abjuré le principe le plus sacré de notre pacte social, en courant après des distinctions incompatibles avec l'égalité, celui enfin qui aurait abandonné la France sans retour, auraitil pu conserver le titre de Français ? Cependant, dans le nombre des causes qui détruisent cette qualité, on doit faire une distinction. Il en est quelquesunes qui ne sont susceptibles d'aucune interprétation favorable, celles, par exemple, de la naturalisation en pays étranger, et de l'abjuration du principe de l'égalité, mais il en est d'autres, telles que l'acceptation de fonctions publiques ou de service chez l'étranger, qui peuvent quelquefois être excusées; un peuple ami peut réclamer auprès du gouvernement français, des secours que notre intérêt même ne permet pas de refuser. Aussi n'a-t-on dû attacher la perte de la qualité de Français qu'à une acceptation, non autorisée par le gouvernement, de services ou de fonctions publiques chez l'étranger.

ART.

Mais les Français même qui ont perdu leur qua- 18 lité par l'une des causes déja expliquées, ne pourront-ils jamais la recouvrer? Ne peut-on pas supposer qu'en quittant la France, ils ont uniquement cédé à l'impulsion d'un caractere léger, qu'ils ont voulu sur-tout améliorer leur situation par leur industrie, pour jouir ensuite au milieu de leurs concitoyens de l'aisance qu'ils se seront procurée ? Ne doit-on pas supposer du moins que leur désertion a été suivie de vifs regrets? et leurs freres pourrontils être toujours insensibles, quand ces transfuges viendront se jeter dans leurs bras?

Vous supposer, législateurs, cette rigoureuse insensibilité, ce serait mal vous connaître. Une mere ne repousse jamais des enfants qui viennent à

« PreviousContinue »