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de la félicité d'un peuple : c'est par la loi seule que leur stabilité peut être garantie, et l'on reconnaîtra sans peine que la conservation des droits civils influe sur le bonheur individuel, bien plus encore que le maintien des droits politiques, parce que ceux-ci ne peuvent s'exercer qu'à des distances plus ou moins éloignées, et que l'action de la loi civile se fait sentir tous les jours et à tous les instants.

La loi sur la jouissance et la privation des droits civils offre donc un grand intérêt, et mérite toute l'attention du législateur.

Le projet qui vous est présenté contient deux chapitres. Le premier, De la jouissance des droits civils; le deuxieme, De la privation des droits civils. Celuici se divise en deux sections, parce que l'on peut être privé des droits civils, ou par la perte de la qualité de Français, où par une suite des condamnations judiciaires.

A quelles personnes sera donc accordée la jouissance des droits civils? On sent assez que tout Français a droit à cette jouissance; mais si le tableau de notre situation peut inspirer aux étrangers un vif desir d'en partager les douceurs, la loi civile ne doit certainement pas élever entre eux et nous des barrieres qu'ils ne puissent pas franchir.

Cependant cette communication facile, établie pour nous enrichir de la population et de l'industrie des autres nations, pourrait aussi quelquefois nous apporter leur écume : tout n'est pas toujours bénéfice dans un pareil commerce, et l'on ne trouva quelquefois que des germes de corruption et d'anarchie, où l'on avait droit d'espérer des principes de vie et de prospérité.

Cette réflexion si naturelle vous explique déja une grande partie des dispositions du projet.

Tout Français jouit des droits civils; mais l'individu né en France d'un étranger, celui né en pays 10 étranger d'un Français, l'étrangere qui épouse un

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Français, seront-ils aussi réputés Français ? Voilà les premieres questions qui se sont présentées : le projet les décide d'après les notions universellement reçues.

La femme suit par-tout la condition de son mari : elle devient donc Française quand elle épouse un Français.

Le fils a l'état de son pere; il est donc Français quand son pere est Français : peu importe le lieu où il est né, si son pere n'a pas perdu sa qualité.

Quant au fils de l'étranger qui reçoit accidentellement le jour en France, on ne peut pas dire qu'il ne naît pas étranger; mais ses premiers regards ont vu le sol français, c'est sur cette terre hospitaliere qu'il a souri pour la premiere fois aux caresses maternelles, qu'il a senti ses premieres émotions, que se sont développés ses premiers sentiments: les impressions de l'enfance ne s'effacent jamais; tout lui retracera dans le cours de la vie ses premiers jeux, ses premiers plaisirs: pourquoi lui refuseraiton le droit de réclamer, à sa majorité, la qualité de Français, que tant et de si doux souvenirs pourront lui rendre chere? C'est un enfant adoptif qu'il ne faut pas repousser quand il promettra de se fixer en France, et qu'il y établira de fait son domicile c'est la disposition de l'article : 9 du projet.

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Si nous recevons l'étranger né en France, rejette- 10 rons-nous de notre sein celui qui sera né en pays étranger, mais d'un pere qui aurait perdu la qualité de Français ? Le traiterons-nous avec plus de rigueur que l'étranger né sur notre sol? Non sans doute c'est toujours du sang français qui coule dans ses veines; l'inconstance ou l'inconduite du pere n'en ont pas tari la source; le souvenir de toute une famille n'est pas effacé par quelques instants d'erreur d'un pere; le fils doit être admis à les réparer, et peut-être encore les remords du peré

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ont-ils mieux fait sentir au fils le prix de la qualité perdue: elle lui sera d'autant plus chere, qu'il saura d'avance de combien de regrets la perte en est accompagnée.

J'arrive à la question la plus importante, et dont la solution pourrait présenter plus de difficultés. L'étranger jouira-t-il en France des droits civils? Ici la question se divise; l'étranger peut établir son domicile en France, ou il peut continuer de résider dans son pays.

Supposons d'abord que l'étranger fixe son domi

cile en France.

l'étran

Ne perdons pas de vue qu'il ne s'agit pas ici du titre de citoyen français : la loi constitutionnelle regle les conditions auxquelles l'étranger peut devenir citoyen; il faut, pour acquérir ce titre, que ger, âgé de vingt-un ans accomplis, déclare l'intention de se fixer en France, et qu'il y réside pendant dix années consécutives. Quand il aura rempli ces conditions, il sera citoyen Français.

Cependant, quand il aura déclaré son intention de se fixer en France et du moment qu'il y aura transporté son domicile, quel sera son sort dans sa patrie? Dans sa patrie! il n'en a plus depuis la déclaration qu'il a faite de vouloir se fixer en France; la patrie ancienne est abdiquée, la nouvelle n'est pas encore acquise; il ne peut exercer de droits politiques ni dans l'une ni dans l'autre : peut-être même a-t-il déja perdu l'exercice des droits civils dans sa terre natale, uniquement parce qu'il aura transporté son domicile sur le sol français. S'il faut, pour participer à ces droits dans la nouvelle patrie, attendre encore un long espace de temps, comment pourrat-on supposer qu'un étranger s'exposera à cette espece de mort civile pour acquérir un titre qui ne lui sera conféré qu'au bout de dix années ?

Ces considérations motivent assez l'article du projet qui accorde l'exercice des droits civils à l'étranger

admis par le gouvernement, à établir son domicile parmi nous.

La loi politique a sagement prescrit une résidence de dix années pour l'acquisition des droits politiques; la loi civile attache avec la même sagesse le simple exercice des droits civils à l'établissement en France.

Mais le caractere personnel de l'étranger qui se présente, sa moralité plus ou moins grande, le moment où il veut se placer dans nos rangs, la position respective des deux peuples, et une foule d'autres circonstances, peuvent rendre son admission plus ou moins desirable; et, pour s'assurer qu'une faveur ne tournera pas contre le peuple qui l'accor de, la loi n'a dû faire participer aux droits civils que l'étranger admis par le gouvernement.

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L'étranger qui ne quitte pas le sol natal jouira-t-il 11 aussi en France de la totalité ou d'une partie des droits civils? L'admettra-t-on sans restrictions, sans conditions? ou plutôt ne doit-on pas, adoptant la regle d'une juste réciprocité, restreindre les droits de l'étranger à ceux dont un Français peut jouir dans le pays de cet étranger?

Cette question a été si souvent et si profondément agitée, qu'il est difficile de porter de nouveaux aperçus dans sa discussion; et quelque parti qu'on embrasse, on pourra toujours s'autoriser sur de grandes autorités, ou sur de grands exemples.

Ceux qui veulent accorder aux étrangers une participation totale et absolue à nos droits civils, recherchent l'origine du droit d'aubaine dans celle de la féodalité, et regardent la suppression entiere de ce droit comme une conséquence nécessaire de l'abolition du régime féodal. L'intérêt national, suivant eux, en sollicite la suppression aussi puissamment que la barbarie de sa source. L'ancien gouvernement avait lui-même reconnu la nécessité de le proscrire dans une foule de traités qui en avaient au moins modifié la rigueur; il avait senti que ce droit

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ne devait plus subsister depuis que le commerce avait rattaché tous les peuples par les liens d'un intérêt commun. Telle a été, disent-ils, l'opinion dès plus grands publicistes; Montesquieu avait dénoncé le droit d'aubaine à toutes les nations comme un droit insensé, et l'assemblée constituante, ce foyer de toutes les lumieres, ce centre de tous les talents, en avait prononcé l'abolition intégrale et absolue, sans condition de réciprocité, comme un moyen d'appeler un jour tous les peuples au bienfait d'une fraternité universelle.

Le projet de détruire les barrieres qui séparent tous les peuples, de confondre tous leurs intérêts, et de ne plus former, s'il est permis de le dire, qu'une seule nation sur la terre, est sans doute une conception également hardie et généreuse : mais ceux qui en ont été capables ont-ils vu les hommes tels qu'ils sont ou tels qu'ils les desirent?

de tous

Consultons l'histoire de tous les temps, les peuples, et jetons sur-tout nos regards autour de nous. Si l'on fit tant d'efforts pénibles et trop souvent inutiles pour maintenir l'harmonie dans une seule nation, dans une seule famille, pouvons-nous raisonnablement espérer la réalisation d'une harmonie universelle, et le mode moral doit-il être, plus que le mode physique, à l'abri des ouragans et des tempêtes?

Au lieu de se livrer aux illusions trop souvent trompeuses des théories, ne vaut-il pas mieux faire des lois qui s'appliquent aux caracteres et aux esprits que nous connaissons? L'admission indéfinie des étrangers peut avoir quelques avantages; mais nous ne savons que trop qu'on ne s'enrichit pas toujours des pertes ou des désertions de ses voisins, et qu'un ennemi peut faire quelquefois des présents bien funestes. On sera du moins forcé de convenir que le principe de la réciprocité, d'après les traités, a cet avantage bien réel, que les traités étant suspendus par le fait seul de la déclaration de guerre, chaque peu

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