Page images
PDF
EPUB

de naître. En lui laissant toutes les apparences matérielles, elle lui enleve son principal lien, qui est celui des sentiments et des affections. Deux époux qui doivent s'appartenir l'un à l'autre tout entiers demeurent étrangers, ou ennemis par leurs penchants, par leurs habitudes, par toutes les facultés de leur ame. S'il est vrai qu'il n'y a pas de mariage sans consentement, comment pourrait-on dire qu'il existe une société conjugale là où ce consentement est repoussé par la continuité d'une aversion invincible?

Mais pour que l'incompatibilité ait tous ces caracteres, il faut qu'elle soit constante, qu'elle soit profonde, et surtout qu'elle soit mutuelle. Que pourraient en effet sur l'intégrité du contrat les répugnances et les contradictions qui s'élevent d'un seul côté, lorsque de l'autre l'accord est maintenu par la patience, par la douceur, et par cet esprit de support et d'indulgence que chacun doit aux défauts de ses semblables?

Il suit de là que l'incompatibilité entre les deux époux ne saurait jamais être démontrée que par l'aveu commun qu'ils en font l'un et l'autre, et lorsqu'après s'être réciproquement éprouvés avec persévérance, ils sentent que le fardeau d'une vie commune leur est insupportable.

Or, c'est ce qu'on n'observa pas assez lors de la rédaction de la premiere loi. D'abord on omit d'exiger que l'incompatibilité fût mutuelle pour opérer le divorce; et ensuite, par une conséquence nécessaire de cette omission, on fut entraîné jusqu'à dire qu'il suffisait que l'incomptabilité fût, non pas prouvée, mais alléguée par l'une des parties. C'est alors que nous avons vu travestir en incompatibilité de caractere les moindres dégoûts, les chagrins les plus légers, les simples contrariétés, et jusqu'aux fantaisies de l'inconstance: ce fut comme une source intarissable où toutes les passions vinrent s'abreuver, et qui inonda la société de scandales.

ART,

ART.

233

Le projet de loi proposé préserve désormais nos mœurs d'une telle méprise; l'incompatibilité a cessé d'y être placée parmi les causes qui peuvent faire prononcer le divorce sur la poursuite d'un seul époux; mais la juste pensée de l'auteur de l'Esprit des Lois n'en a que mieux été conservée. En effet, elle se trouve retracée dans l'art. 233, en termes devenus plus clairs et plus expressément caractéristiques, sous les formes du divorce par consentement mutuel.

A cette seule dénomination, il me semble qu'une voix va s'élever de cette enceinte, qui me dira que si le consentement mutuel suffit dans ce traité solennel qui forme le mariage, il ne suffit pas dans l'acte qui doit le dissoudre. L'intérêt des époux n'est pas le seul que le contrat de mariage embrasse; c'est encore celui des familles, c'est celui de la société tout entiere.

Législateurs, ces justes sollicitudes ne nous ont point été étrangeres : et nous aussi, nous avons craint que le consentement mutuel ne fût un asile commode où viendraient se réfugier tous ces dégoûts de deux époux qui, las l'un de l'autre, heurtent contre toutes les barrieres pour trouver celle qui s'ouvrira aux écarts de leur indépendance.

Mais ces inquiétudes ont cessé à la vue de toutes les précautions dont la loi s'est environnée.

Que le divorce par voie de répudiation puisse être provoqué dans un de ces mouvements où l'esprit est prompt et l'ame passionnée, sa nature le permet, et les lenteurs de la procédure y mettent seules un obstacle.

Mais le divorce proprement dit, le divorce par consentement mutuel, doit, suivant l'expression de Montesquieu, être une affaire de délibération et de conseil; et c'est un des caracteres essentiels que le projet lui conserve.

Considérez quels sont ceux qui peuvent le deman

der; leur volonté passera pour imparfaite, si elle n'est point accompagnée de toutes les circonstances qui rendent parfait le consentement qu'on donne au mariage.

ART.

La mari a-t-il moins de vingt-cinq ans, la femme 275 moins de vingt un ans, la mésintelligence est imputée à la légéreté de leur â ge; ils ne sont pas même entendus.

Ont-ils des parents, je veux dire de ceux qui, 278 placés dans la ligne directe ascendante, conservent toujours sur leurs descendants l'autorité de l'âge et de l'expérience, il faut que leur autorisation formelle soit rapportée. La loi semble tenir aux deux époux ce langage: «< Quand vous vous êtes unis, « vos peres sont intervenus pour me garantir que << vous consentiez à l'union; faites-les comparaître << encore devant moi, afin qu'ils m'attestent que <«<leur garantie fut une méprise, et qu'ils se sont << trompés, comme vous, en souscrivant à ce grand << acte de famille. »

Vingt ans se sont-ils écoulés depuis le mariage, et la femme a-t-elle acquis sa quarante-cinquieme année ? la loi dit encore aux époux : « Ne dédaignez << pas dans la saison de l'automne, ce qui fit le <«< charme de votre printemps où trouveriez-vous << ailleurs une même constance et de communs sou«venirs? Ne rejetez pas le joug auquel vous êtes << accoutumés: il ne vous est pas insupportable, puisque vous y fùtes assortis si long-temps. »

Ajoutez à cela toutes ces discussions préliminaires sur les intérêts, si propres à refroidir les passions, et à convertir les fantaisies en attention sérieuse, tous ces délais réitérés, cette nécessité de multiplier ses confidences et ses demandes auprès des ascendants, cette épreuve anticipée de la désunion par la retraite de l'épouse dans une maison convenue, ces formalités judiciaires dont la lenteur s'accorde si mal avec la turbulence des desirs vagabonds; et vous

[graphic]

pendant cinq cents ans, nul ne s'empressa d'user d'une faculté si chèrement achetée. Les historiens ont eu à ce sujet, pour les mœurs romaines, une admiration beaucoup trop exagérée. Les nôtres toutes corrompues qu'on les suppose, auraient pu, au même prix, offrir le même prodige.

Cessons donc, législateurs, cessons de craindre que le divorce par consentement mutuel, soumis à de telles conditions, ne devienne un prétexte banal et commode pour les caprices de la légéreté. S'il est entre les époux quelque voie de rupture avouée par l'honnêteté publique, je ne crains pas de dire que c'est celle-là par-dessus toutes les autres. Nous aimons à penser que, dans le malheur des dissensions et des fautes domestiques, il y aura des moyens de laisser subsister le voile qui les couvre, et de ne pas en propager l'exemple et le scandale dans des discussions juridiques. Vainement une sévérité vertueuse réclamerait-elle contre ces ménagements; vainement dirait-elle qu'il est salutaire d'imprimer à nos vices intérieurs l'ineffaçable sceau de la honte; vainement s'écrierait-elle qu'en de telles matieres la délicatesse est corruption, et la circonspection, lâche crainte du ridicule : il faut rendre justice à l'esprit français, à ce principe actif d'honneur et de générosité qui distingue nos procédés et nos mœurs. C'est lui qui fait redouter à l'époux de se rendre le dénonciateur public de sa feinme, d'accuser l'amie de sa jeunesse, et de couvrir d'ignominie la mere de ses enfants; c'est lui qui fait trembler la femme devant l'idée de souiller sa propre pudeur du récit des désordres d'un époux, de diffamer le nom qu'elle a porté, et de traîner devant les tribunaux l'homme qui l'a rendue mere. Si nos mœurs sont dissolues, permettons-leur du moins d'être encore nobles et décentes; et, par respect pour la piété filiale, laissons aux époux, même alors qu'ils sont forcés de se désunir, les moyens d'ensevelir par un II. Motifs.

18

ART.

233

« PreviousContinue »