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secrete qu'il doit éprouver quand on lui parle de divorce.

En un mot, le divorce serait un mal, s'il était prononcé, quand il n'est pas démontré que la vie commune est insupportable; et lorsqu'il est bien reconnu que cette vie commune est insupportable en effet, le second mariage serait lui-même un mal affreux.

On ne se jouera pas du divorce; à Dieu ne plaise qu'on puisse se familiariser avec l'idée qu'il n'est pas prononcé pour toujours! L'espoir d'une réunion qui pourrait présenter d'abord à des esprits inattentifs l'apparence de quelques avantages, entraînerait de fait et à la longue de funestes conséquences, parce qu'elles corrompraient nécessairement l'opinion qu'on doit se former d'une action de cette nature.

Tels sont, législateurs, les motifs du projet de loi dont je vous ai donné lecture. Ses dispositions ont été long-temps examinées, discutées, mûries, et au conseil d'Etat, et dans ces conférences salutaires et politiques qui, réunissant toutes les lumieres pour la perfection de la loi, garantissent entre les principales autorités un concert si doux pour les amis du peuple français, si triste pour ses ennemis.

Plus vous examinerez ce projet, plus, je l'espere, vous demeurerez convaincus de la nécessité d'en faire une loi de la République.

Dans les maux physiques, un artiste habile est forcé quelquefois de sacrifier un membre pour sauver le corps entier ainsi des législateurs admettent le divorce pour arrêter des maux plus grands. Puissions-nous un jour, par de bonnes institutions, en rendre l'usage inutile! C'est par de bonnes lois, mais c'est aussi par de grands exemples que les mœurs publiques se réforment et se purifient: ce n'est pas le langage seul qu'on doit épurer; c'est la morale qu'il faut mettre en action. Que le mariage soit honoré; que le nom et les droits d'époux

soient respectés; que l'opinion publique régénérée flétrisse également le séducteur et l'infidele; et nous n'aurons peut-être plus besoin du divorce mais jusque-là gardons-nous de repousser un remède que l'état actuel de nos mœurs rend encore et trop sou vent nécessaire.

ART.

N° 2I.

RAPPORT fait au tribunat, par le tribun SAVOIE-ROLLIN, au nom de la section de législation, sur la loi relative au divorce. (Tome I, page 43.)

TRIBUNS,

Séance du 27 ventose an x1.

La loi que vous avez adoptée sur le mariage place au nombre des causes qui le dissolvent, le divorce légalement prononcé.

Le projet de loi que votre section de législation m'a chargé de vous exposer, a précisément pour objet de régler l'action du divorce dont vous avez déja consacré le principe. Ce projet se divise en cinq chapitres le premier traite des causes du divorce; le second, du divorce pour cause déterminée, et des formes qui l'operent; le troisieme, du divorce par consentement mutuel; le quatrieme, des effets du divorce; et le cinquieme enfin, de la séparation de

corps.

Mais en recevant dans votre législation le principe du divorce, vous n'avez pas voulu, sans doute, qu'il pût corrompre le principe du mariage, qu'il pût altérer, détruire, ou même affaiblir cette institution fondamentale des sociétés humaines. Ainsi,

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en adoptant le principe, vous pouvez encore ne pas admettre la loi qui détermine ses diverses applica

tions.

je

Avant de me livrer à l'examen de ses détails, dois donc m'arrêter à son ensemble; je dois considérer ce qu'est le mariage dans la société, quel est le caractere qui lui est propre, quel est celui que les lois lui assignent, et rechercher si ces caracteres ne sont point dénaturés par les dispositions du projet de loi qui vous est soumis. Je ne craindrai pas de fatiguer votre attention dans une matiere aussi grave. Eh! de quel sujet plus important seriez-vous frappés? il intéresse à-la-fois les peres, les enfants, les époux; il saisit l'homme tout entier, et dans sa vie intérieure, et dans sa vie publique; car la famille est le berceau de l'Etat, et les vertus domestiques sont toutes les vertus du citoyen.

On a cru généralement que l'institution du mariage se reglait par un droit naturel antérieur aux conventions humaines, et que ces conventions n'ê-taient justes que par leur conformité à ce droit; mais il est plus aisé de l'invoquer que de le définir. Si l'on entend par lui ces rapports nécessaires entre les hommes, qui dérivent de leur organisation, de leurs sensations, de leur intelligence et de leurs besoins, on n'en donne qu'une idée très-vague, et il est évident, sous ce point de vue, que le droit naturel peut varier à l'infini, selon que les hommes se trouvent dans un état plus ou moins parfait de société. Si l'on prétend, au contraire, que sa source est placée à l'origine des sociétés même, que ses notions les plus exactes se puisent dans l'homme de la nature, je pense que, dans ce systême, la liaison des mots a seule formé la liaison des idées avant, le sauvage, attaché à une peuplade, vivant au milieu des bois, est encore l'homme plus naturel, réduit à un isolement absolu: or, que serait pour lui ce droit naturel qui ne réprondraît à aucun être de

son espece, qui ne partirait de lui que pour aboutir à lui? Un droit, comme une progression, n'existe que dans ses termes comparatifs; plus les termes augmentent, plus la progression s'éleve; plus les relations réciproques des hommes s'étendent, plus leurs droits se multiplient et se compliquent; enfin, l'homme n'a des droits à exercer et des obligations à remplir, que parce qu'il vit avec ses semblables.

La conséquence de cette observation est que, là où se réunissent deux êtres, là commence la société civile, là commencent les lois qui reglent entre eux leurs droits et leurs devoirs. Que ces lois ne soient pas arbitraires, et qu'elles aient pour fondement les besoins réciproques qui lient des êtres intelligents et sensibles, rien n'est plus vrai; mais loin d'être préexistantes à la société, elles ne sont que parce qu'elle existe. Comment pourrait-on le nier, lorsqu'on voit que ces lois suivent constamment la progression des lumieres acquises dans l'état social, que, à mesure que cet état se perfectionne, l'intelligence humaine se développe, découvre de nouveaux rapports, et les fixe par des lois nouvelles? Ainsi, dans l'enfance des sociétés, l'union des sexes n'est qu'un attrait fugitif, qui n'a d'empire que pendant l'instant du desir; l'histoire est un continuel témoignage de ces faits; mais c'est elle qui nous apprend aussi que les progrès de la civilisation marchent en raison composée des progrès des facultés morales de l'homme et des institutions qu'elles introduisent: le mariage, à peine connu des peuples errants, prend des formes plus constantes chez les peuples pasteurs, et ne s'éleve à la dignité qui lui convient que parmi les peuples entièrement civilisés.

Ce n'est pas au sein de l'ignorance et de la barbarie des premieres institutions, qu'on a reconnu que le mariage devait être un contrat dont la durée n'avait pour terme que la vie de l'un des époux; cette perfection, qui est tellement essentielle au ma

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riage que, sans elle, il n'aurait jamais produit les ART. biens immenses qu'il a faits aux hommes, n'a été sentie et sanctionnée que par la raison humaine plus éclairée et plus attentive; ceux-là même en conviennent, qui reportent à un droit naturel l'indissolubilité du mariage; car ils avouent que si des lois positives ne contraignaient pas nos passions, ce droit naturel serait dans l'impuissance de garantir ce qu'il prescrit : que signifie cet aveu, si ce n'est que nos penchants naturels sont à-la-fois de maintenir la perpétuité du contrat et de la rompre ? Nous voilà bien éclairés avec ces systêmes qui ne reposent que sur des erreurs de mots! Les facultés des êtres intelligents sont naturelles, sans doute, mais ne sont pas des lois; les lois, pour être bonnes, doivent être conformes à ces facultés; et les peuples font continuellement l'expérience heureuse ou terrible de cette vérité fondamentale; plus les lois sont dans un rap port exact avec ces facultés naturelles, mieux ils sont gouvernés; plus les lois dédaignent de s'en rapprocher, moins ils obtiennent de bonheur.

Je ne considérerai donc le mariage que dans la société instituée; et, par le mariage, je n'entends point le rapprochement fortuit de deux êtres, lors mais même qu'il se renouvellerait par intervalle, un engagement mutuel et continu, un véritable contrat d'après les lois ou les coutumes d'un peuple. Il est clair que la société intime de l'homme et de la femme, que les droits réciproques qu'ils se sont attribués l'un sur l'autre, que leur cohabitation habituelle, que la confusion de leurs biens, que ce consentement universel de la grande société, dans laquelle ils vivent, à respecter et à protéger leur union; il est clair, dis-je, que tout cela ne peut exister nulle part sans des conventions générales et particulieres, qu'elles soient écrites ou qu'elles ne le soient pas il est évident enfin, que tel est le

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