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interrompue (1); on a remarqué, dis-je, que cette présomption pourrait n'être pas applicable, même au citoyen ayant la faculté d'exercer ses droits politiques. Il n'y a rien en effet de nécessairement commun entre le domicile politique et le domicile civil. On peut légitimement avoir et conserver celui-ci ailleurs que celui-là, qui se constitue par la résidence d'une année, sans que la constitution exige d'intention d'établissement absolu. On peut, de fait, après s'être inscrit au registre civique d'un arrondissement, s'y ménager cette résidence d'une année, à l'effet de s'y assurer l'exercice des droits. politiques, sans pour cela entendre y fixer son, principal établissement; puisqu'à la différence des fonctions locales à vie, les droits politiques peuvent s'exercer successivement dans toute la France, ou même alternativement s'exercer et se négliger.

Il a donc paru convenable de renoncer à cette troisieme présomption, et de s'en tenir aux deux seules énoncées dans le projet.

Les tribunaux de Lyon et de Poitiers avaient pro posé d'exiger du moins une déclaration authentique d'intention, de la part de celui qui voudrait changer son domicile.

Mais quelle sanction pourrait-on donner à une pareille disposition? quelle peine pourrait-on attacher à l'omission de la déclaration ? et qu'est-ce qu'une loi que rien ne sanctionne?

On ne pouvait que donner aux citoyens l'avis et 104 la faculté de cette déclaration, et c'est ce que fait le projet, par l'article 104, en ces termes: La preuve de l'intention résultera d'une déclaration expresse, faite, tant à la municipalité du lieu qu'on quitteru, qu'à celle du lieu où on aura transféré son domicile.

Si l'individu qui veut changer de domicile, ou qui a plusieurs habitations, a négligé cette décla(1) Const. art. 2 et 6.

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ration expresse, par laquelle serait indiqué sans équivoque le lieu du vrai domicile; si d'ailleurs il n'est pas dans l'un des cas de présomption légale exprimés par les articles 107 et 1og, l'intention ne peut plus être reconnue que par les circonstances, comme le déclare l'article 105. Or, leur recherche et leur appréciation sortent absolument du domaine de la loi, et n'appartiennent qu'aux tribunaux.

On peut bien se représenter une partie des cir105 constances qui sont de nature à caractériser le lieu du principal établissement; c'est, comme le dit Domat, d'après les lois romaines, qui nous guident sur tant d'objets (1), « c'est le lieu où l'indi« vidu tient le siége et le centre de ses affaires; où <«< il a ses papiers; qu'il ne quitte que pour quelque <«< cause particuliere; d'où, quand il est absent, on a dit qu'il est en voyage; où, quand il revient, on a dit qu'il est de retour;. où il porte les char<ges, etc. ». On peut y ajouter l'inscription civique, et surtout l'exercice des droits politiques. On peut trouver, dans la réunion de toutes ces circonstances, ou d'une partie, des motifs convenables de décision. Mais la loi ne doit en énoncer, particulièrement aucune; parce que les juges, voyant parler la loi, pourraient se croire tenus de négliger les circonstances par elle omises; parce que, d'ailleurs, chaque circonstance ne peut être bien appréciée que par ses nuances, qu'il est impossible à la loi de détailler ni même de prévoir.

Le projet a donc sagement fait de ne déterminer aucunes circonstances, et de les abandonner toutes à la sagacité des juges.

Il me reste à vous entretenir d'une précaution qui était indiquée par le tribunal de Grenoble, et qui avait ses partisans. « Au moins faudrait-il, disait«on, pour changer le domicile originaire ou celui « manifestement acquis, pour opérer légalement ce (1) Droit public, liv. 1, tit. 16, sect. 3.

& déplacement de domicile qui exige la réunion du « fait et de l'intention, qu'il ne pût être consommé que par une résidence effective de quelque durée « dans la nouvelle habitation. Ce serait imiter la <«< sagesse de la constitution, qui veut une année « de résidence dans le lieu de l'inscription civique, « pour qu'on y puisse exercer les droits de citoyen. « La certitude de l'intention trouverait ainsi sa preu<<< ve dans la constance de la démarche. Ce serait «< d'ailleurs le moyen de prévenir la fraude de la << part de débiteurs qui, pour se soustraire aux re«< cherches de leurs créanciers, non-seulement négligeraient la déclaration expresse, mais

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encore

a cacheraient le lieu de leur habitation nouvelle, ou « même en changeraient coup sur coup. »

La proposition était spécieuse. Mais c'était une loi générale qu'on proposait; et il a été bientôt reconnu que l'application pouvait en devenir fort injuste. Par exemple, qu'un citoyen de Marseille se trouve appelé à Anvers par l'entreprise d'un établissement important de manufacture ou de commerce, ou par l'ouverture d'une succession opulente; il est tout simple que cet événement lui fasse abandonner Marseille, et le détermine à se fixer surle-champ à Anvers; et son changement de domicile se trouvera immédiatement évident par le fait et par l'intention, comme il sera sans fraude et de bonne foi. Cependant, en conséquence de la disposition générale proposée, cela ne lui suffirait pas; il lui faudrait encore un an, six ou trois mois de résidence à Anvers, avant d'y être domicilié de droit : de sorte qu'il serait tenu, jusque-là, de faire à son domicile abandonné de Marseille tous les actes relatifs à son état civil; de tenir pour bien adressées à ce domicile désert, toutes les significations et les citations qui y seraient faites ou données; de comparaître enfin en matiere personnelle, en défendant, devant les tribunaux de Marseille, devenus pour

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lui des tribunaux étrangers. Il faudrait même, s'il venait à mourir à Anvers avant l'expiration du délai, que sa succession fût réputée ouverte à Marseille, et que toutes les opérations relatives à cette succession y fussent faites; quoique la matiere de ces opérations fût à Anvers, quoique la femme et les enfants du défunt résidassent à Anvers. Cette conséquence de la disposition générale proposée ne serait-elle pas étrange?

Puisqu'on ne peut faire, de la nécessité d'une résidence effective plus ou moins longue, une loi générale qui soit équitable, tenons-nous-en donc à des précautions particulieres; et laissons aux lois subséquentes le soin d'y pourvoir, selon la matiere, soit en prenant exemple de la constitution (dont les statuts n'ont pourtant rien d'essentiellement commun avec le code civil), soit de toute autre maniere. Ainsi, renvoyons au titre du mariage la stipulation d'un certain temps de résidence préalable dans le lieu où l'on voudra en faire les publications et la cél ́bration; renvoyons au titre des actions à autoriser les citations au dernier domicile connu, lorsque la résidence nouvelle n'aura pas été suffisamment manifestée. Rapportons-nous-en, surtout, à l'intérêt que tout créancier a de suivre de l'œil les démarches de son débiteur, et de tâcher de remettre à la personne de celui-ci, quelque part qu'elle soit, les significations qu'on n'est pas assuré de pouvoir placer à son vrai domicile.

Quant au titre qui nous occupe, à ce titre où il ne s'agit que de principes généraux, adoptone, avec toute sa latitude, celui qui fait dépendre la preuve de l'intention uniquement des circonstances, et qui n'admet aucune atteinte à la liberté que chacun doit avoir de se déplacer quand il veut, comme il veut, aussi subitement et aussi fréquemment qu'il le veut(1).

(1) Nihil est impedimento quominus quis, ubi velit, habeát domicilium. L. 31, D. ad municip.

Ce que j'ai parcouru, jusqu'à présent, ne s'applique qu'aux individus qui ont la libre disposition de leur personne; il y a d'autres regles pour ceux qui ne l'ont pas.

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Ainsi la femme mariée, que le devoir tient auprès 108 de son mari; qui n'en peut être légitimement éloignée que par la séparation de corps, le divorce, ou la mort; qui peut être forcée de retourner à lui quand elle le délaisse; qui ne peut en conséquence avoir de résidence distincte que par l'effet d'une espece de délit de sa part, ou d'une tolérance momentanée de la part de son mari : la femme mariée, disons-nous, n'a pas d'autre domicile légal que le domicile marital.

De même, le mineur non émancipé, qui n'a pere ni mere, ne peut avoir d'autre domicile que celui de son tuteur. On doutait ci-devant que le tuteur pût changer le domicile de son pupille: mais, comme la succession mobiliere sera désormais la même partout, il n'y a plus d'intérêt à maintenir le domicile d'origine du mineur jusqu'à sa majorité accomplie, ou même seulement jusqu'à son émancipation; il n'y a plus de fraude à craindre de la part du tuteur, ou de qui que ce soit, dans ce changement. Le projet a donc pu, sans inconvénient, s'en tenir sur cela au principe général, qui donne au tuteur, à défaut des pere et mere, tout pouvoir sur la personne du pupille le projet a pu même ne lier le mineur, soit au domicile de ses pere et mere, soit à celui de son tuteur, que jusqu'à l'émancipation qui affranchit sa personne.

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Enfin, le majeur interdit ne peut avoir d'autre domicile que celui du curateur, sous l'inspection duquel il est placé.

Tous ces principes sont textuellement consignés dans l'article 108 du projet.

Indépendamment du domicile réel, l'usage en a introduit un de choix, stipulé souvent pour faciliter

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