Page images
PDF
EPUB

Mais nous avons déjà indiqué la nature des rapports du comédien au directeur quoique cette analogie puisse blesser quelques amours-propres, nous pensons que ces rapports sont ceux du maître au serviteur. Cette opinion nous a déjà fait admettre (n° 221) qu'en cas de différend sur la quotité des appointements, le directeur devait, sauf la preuve contraire, en être cru sur son affirmation. Elle

que

nous fait penser aussi les comédiens pourraient invoquer la disposition de l'art. 2101 du Code civil qui accorde un privilége sur la géné ralité des meubles au salaire des gens de service, pour l'année échue et ce qui est dû sur l'année courante. Tous les motifs qui ont pu dicter cette disposition de la loi s'appliquent aux comédiens : la jurisprudence en fait profiter tous les jours les com mis, les employés de toute espèce des négociants, et tous ceux dont la collaboration a fait marcher l'entreprise, et nous ne voyons pas quelle raison pourrait empêcher les comédiens de jouir du même avantage.

271. La résolution d'un contrat est toujours prononcée quand l'une des parties ne satisfait pas à ses obligations. Ce principe doit être appliqué aux actes des comédiens avec les directeurs. Ainsi le comédien peut demander la rupture de son engagement lorsque le directeur ne remplit pas les conditions qui lui sont imposées. Le même droit appartient au directeur contre le comédien qui manque à ses devoirs, soit en ne faisant pas exactement son service, soit en refusant d'obéir aux

réglements qui sont obligatoires pour lui, et en portant le trouble et le désordre dans la troupe. Mais, aux termes de l'art. 1184 du Code civil, la résolution n'a point lieu de plein droit: si donc le directeur a des reproches à adresser au comédien, ou le comédien au directeur, au point de faire rẻsilier l'engagement, il doit se pourvoir devant les tribunaux, et ne peut, jusqu'au jugement à intervenir, se dispenser de remplir ses engagements.. C'est par suite de ce principe que le tribunal de commerce d'Avignon a jugé, le 18 septembre 1827, qu'un chef d'atelier, qui croyait avoir à se plaindre d'un de ses ouvriers, n'avait pas pu, avant qu'il eût été statué sur ses griefs, l'expulser de sa maison. (Courrier des Tribunaux, du 30 septembre 1827.)

La Cour de Paris a aussi jugé dans l'affaire du Théâtre des Nouveautés contre la demoiselle Vigne, que le directeur, qui reprochait à cette jeune artiste d'avoir négligé son service, n'avait pas pu la congédier par un simple acte extra-judiciaire, et que, quoiqu'il lui eût déclaré par huissier qu'elle ne faisait plus partie du théâtre, il lui devait ses appointements pendant toute la durée de son engagement.

272. Si l'acteur engagé est refusé par le public, l'acte d'engagement se trouve annulé. C'est une clause que renferment toujours ces actes, et qui devrait y être suppléée, si elle ne s'y rencontrait point. Cependant il est une classe de comédiens auxquels on ne pourrait l'appliquer, c'est celle des

choristes et figurants, qui, par la nature de leurs services, la modicité des appointements, et leur peu d'importance personnelle, doivent être considérés comme traitant avec l'administration à ses risques et périls, et comme dégagés de l'obligation de se faire agréer par les spectateurs. C'est par ce motif que jamais il ne sont soumis à la formalité des débuts, et que les directeurs omettent souvent de les indiquer sur les tableaux de la troupe, et même sur les affiches. Il arrive parfois aussi que des acteurs tout novices sont engagés dans une entreprisc, à fort bas prix, pour y faire leur apprentissage. On ne saurait non plus leur appliquer le principe de la nécessité de l'acceptation par le public; c'est au directeur à en tirer le parti qu'il juge convenable, et à ne point leur confier de rôles qui soient au-dessus de leurs forces : le taux, toujours si médiocre, des appointements qui leur sont donnés, et la durée souvent fort longue de l'engagement, sont fixés en considération de leur inexpérience et du peu d'utilité qu'ils peuvent rapporter à la troupe. Le contrat passé avec eux est tout-à-fait aléatoire; il est définitif, quel que soit le résultat de leurs premiers essais et la réception qui leur est faite par le public.

.

273. Sauf ces exceptions, le principe que nous avons énoncé au numéro précédent est incontestable. Mais son application est très difficile par l'embarras de décider si l'acteur a ou non été agréé par les spectateurs; et, d'abord, qui prononcera sur ce point de fait, de l'acteur, du direc

teur ou de l'administration publique, qui trop souvent se constitue organe du public ? Nous pensons que ce ne sera aucun des trois : l'acteur peut être dominé par son amour-propre ou son intérêt, et se méprendre sur l'accueil qu'il aura reçu ; le directeur n'est pas non plus désintéressé et peut avoir des motifs personnels pour souhaiter la rupture ou le maintien de l'engagement; d'ailleurs, il ne peut être au pouvoir ni de l'un ni de l'autre de rompre seul une convention synallagmatique: quant à l'autorité, elle ne peut s'immiscer dans une question privée, et nous verrons bientôt quelles conséquences peut avoir son intervention. Il faut donc nécessairement recourir au pouvoir judiciaire, qué le droit commun investit du soin de prononcer sur toutes les contestations qui s'élèvent entre les citoyens. Les tribunaux jugeront si c'est le cas de prononcer la résiliation, c'est-àdire si le public n'a pas agréé l'acteur. A la vérité, ce point de fait pourra lui-même offrir quelque embarras. Que devra-t-on en effet considerer comme une chute? Faudra-t-il que la majorité des spectateurs se soit prononcée contre le débutant, ou l'improbation de la minorité suffira-t-elle pour autoriser la résiliation? Il est impossible de fixer aucune règle à cet égard: le talent de l'acteur, sa réputation, son emploi dans la troupe, sont autant de circonstances qui peuvent influer sur la décision en effet, un acteur secondaire pourra ne point céder à telle improbation qui suffira pour autoriser la retraite d'un acteur du premier rang:

tantôt l'acteur voudra se retirer, malgré le petit nombre de sifflets qu'il aura essuyés, tantôt il vou→ dra rester malgré l'ignominie d'une désapproba→ tion non équivoque; le directeur pourra aussi se trouver dans telle position qui l'engagera à conserver un acteur malgré la défaveur publique, ou à le repousser malgré le suffrage de la majorité. C'est aux tribunaux qu'il appartiendra de prendre en considération toutes ces circonstances accessoires, de faire la part de l'amour-propre et de la cupidité, et de décider si l'engagement doit être rompu. On sent fort bien que le résultat du jugement ne pourra jamais être d'imposer au public un acteur qui ne lui conviendrait point d'abord, quand le jugement du parterre n'aura point été équivoque, il ne pourra y avoir d'incertitude dans la décision en second lieu, les tribunaux auront plus souvent à prononcer sur les dommages-intérêts réclamés, qu'à ordonner le service du.comédien. Quant aux moyens d'instruction et de preuve à employer, ils ne différeront en rien des autres procès des témoins pourront être entendus, la notoriété, toujours attachée aux événements du théâtre, pourra être consultée, les gazettes consacrées à l'histoire des débuts dramatiques seront compulsées avec la réserve convenable, et de tous ces éléments résultera la conviction des juges.

274. Ordinairement les comédiens se réservent le droit de débuter plusieurs fois, avant qu'une décision puisse être prise sur la nature de la réception faite par le public. Cette convention doit

« PreviousContinue »