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nistre par intérim des affaires étrangères, d'annoncer les actes de réparation que prendrait la Sublime Porte.

« Sa Majesté, dit le ministre du sultan, ne voulant pas perdre un instant pour frapper d'un châtiment terrible les misérables qui ont commis cette trahison, et tramé ces desseins perfides contre les agents des deux hautes puissances, ses alliées, et qui ont massacré tant de personnes, vient de rendre un firman autorisant le gouvernement général de Djeddah, après enquête, à faire arrêter et mettre à mort, sur-le-champ, les promoteurs de la révolte, les insurgés qui auront avoué leur crime, et ceux dont la culpabilité sera reconnue. »

L'ordre impérial avait été porté à Djeddah, ajoutait le ministre, par Ismaël-Pacha, pour qu'il eût à se concerter, en vue de l'exécution, avec le gouverneur général. Enfin, pour plus de précaution, on avait ordonné l'envoi de nouvelles troupes, tant de la capitale que de l'Egypte.

Cependant, le commissaire français, M. Sabatier, ne s'étant pas encore rendu à sa destination; et, le commissaire turc, Ismaël-Pacha, dont le départ était annoncé par Mahmoud-Pacha, n'étant également pas arrivé à Djeddah, ce fut le commandant Pullen, du Cyclope, mouillé à Suez, qui, sur les ordres de son gouvernement, transmis par un navire de guerre, prit l'initiative du châtiment à infliger à ces grands coupables. Arrivé à Djeddah, il demanda que ce châtiment fût immédiat. Objection de Namik-Pacha : il s'agissait d'exécution capitale, et un gouverneur n'ayant pas le droit de l'ordonner, il devait, lui, en référer au gouvernement du Sultan.

Cette réponse n'arrêta pas le général anglais, qui passa outre, suivant l'antique usage britannique, bien excusable cette fois, et bombarda la ville. Seulement, on remarqua qu'il eût dû agir de la sorte à la première nouvelle de ces horribles massacres, Namik-Pacha, qui avait pour lui la légalité, persistait dans son opposition, quand survint le firman annoncé par le ministre intérimaire des affaires étrangères, autorisant l'exécution, sans recours au gouvernement du Sultan. Elle eut lieu et atteignit onze individus, qui subirent un trop juste châtiment, en présence des troupes anglaises.

Depuis le hatti-humayoun, sorte de charte promulguée en 1856 par Abd-ul-Medjid, et dont l'article 9 du traité de Paris (v. Ann.) constatait la haute valeur, en reconnaissant qu'il avait pour but d'abolir « toute distinction de religion et de race » entre les sujets du Sultan, on eût pu espérer l'apaisement des haines religieuses. On vient de voir que ce moment était encore bien éloigné, et chaque jour, de nouvelles collisions occasionnées par le fanatisme éclataient sur plusieurs points de l'Empire. Peut-être en devait-on accuser l'inexécution du hatti-humayoun de 1856, et l'abolition de toute distinction de race et de religion était-elle restée à l'état de lettre-morte, les chrétiens d'Orient n'étant pas encore traités sur le pied d'égalité dont parlaient en même temps le hatti-humayoun et le traité de Paris.

Presque simultanément avec les événements de Djeddah, et sur un autre point des possessions maritimes de l'empire, éclataient d'autres troubles non moins graves. Dans l'ile de Candie, en particulier, les choses eurent un caractère tel, que l'Europe entière s'en émut. Dans l'ordre des dates, voici ce qui se passa : le 16 mai, des Grees, en assez grand nombre, vinrent se poster auprès de la Canée. Ils n'avaient, prétendaient-ils, aucun dessein hostile. Ils réclamaient seulement contre la rigueur extrême qui présidait à la rentrée de l'impôt, qui, aux termes du hattihumayoun de 1856, était en quelque sorte la monnaie de leur exemption du service militaire. C'est-à-dire, que ce qui était une faveur pour eux, devenait la source des excès dont ils se plaignaient. Le gouverneur, dont les Grecs accusaient la sévérité outrée, était Vély-Pacha, ancien ambassadeur à Paris. Parmi les vexations relevées par les plaignants, il s'en trouvait qui étaient à peine croyables. On aurait exigé, par exemple, que de singuliers conscrits, des centenaires, et, à l'extrême opposé, des enfants qui prenaient encore le lait maternel, se rachetassent du service militaire! D'autres faits, qui, s'ils étaient fondés, eussent accusé chez leur auteur une suprême iniquité, étaient imputés à Vély-Pacha. Il aurait, ce qui était dans le caractère musulman, empêché ses coreligionnaires de se faire chrétiens; mais, ce qui n'était certes pas logique, si

l'imputation était fondée, il aurait forcé les chrétiens de passer à l'islamisme. Venaient les exactions, les contributions extraordinaires, les corvées personnelles reprochées aux autorités turques, et, grief d'une haute gravité, l'excès de pouvoir du juge ottoman, qui, usant d'une sorte de droit d'aubaine, déclarait acquis au fisc, à la mort d'un chrétien, tout son avoir. Dans ce lamentable exposé, adressé d'ailleurs aux Consuls des puissances européennes, moins celui de la Grande-Bretagne, supposé l'ami du gouverneur, les pétitionnaires se fondaient sur l'insuffisance des dernières récoltes, pour obtenir la remise des impôts nouvellement établis sur eux.

Réponse écrite de Vély-Pacha: il ne faisait, quant à l'impôt, qu'exécuter les ordres de son Gouvernement. En somme, il prétendait que le hatti-humayoun réglementaire des droits des sujets du Sultan était appliqué dans l'ile, absolument comme dans les autres parties de l'Empire. Puis, le gouverneur général tint conseil à la Canée. Outre le Métropolitain, il y avait dans cette assemblée un prélat, l'évêque de Sidonie, aimé des habitants autant que son collègue l'était peu. Le gouverneur aurait voulu qu'il ramenât ses ouailles récalcitrantes. Il déclina sans doute cette mission, dans la prévision qu'il n'y réussirait pas. Emportement du gouverneur qui, en sa qualité de Turc et de haut fonc tionnaire, ne comprenait sans doute pas qu'on lui résistât. Estil vrai que l'évêque de Sidonie succomba aux mauvais traitements dont il aurait été l'objet de la part du trop fougueux représentant du Sultan ? Mort quelques heures après l'issue de ce conseil, le prélat emporta ce secret dans la tombe.

A cette conduite singulièrement persuasive de Vély-Pacha, succédèrent bientôt des actes et des événements qui pouvaient bien être mis sinon sur le compte de sa volonté, au moins sur celle de sa conduite politique.

Le Pouvoir central crut enfin devoir intervenir : envoi de troupes, commissaires extraordinaires (Achmet et RamziEffendi), voilà à quoi il se détermina d'abord. Un incident neutralisa ces bonnes dispositions: le 2 juillet, un jeune grec de dixsept à dix-huit ans, au service d'un pâtissier turc, contre lequel il nourrissait une haine violente, l'assassina dans sa boutique,

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et en même temps le vola. Il fut arrêté et conduit devant l'amiral Ahmed, l'un des commissaires récemment arrivés, qui le fit mettre aux fers. Exaspération de la population musulmane à la nouvelle du crime: elle prend les armes, place des mèches incendiaires aux portes des divers magasins, et se répand dans la ville en menaçant les chrétiens et en réclamant l'exécution immédiate de l'assassin. Sur ce, réunion du conseil, pour calmer l'effervescence de la multitude. Ahmed-Pacha annonce que justice va être faite. Mais ici encore une question de forme et de prérogative. Le jeune grec est condamné à être pendu; mais nulle exécution capitale ne peut avoir lieu sans l'ordre du Sultan. En présence de cette difficulté et de l'urgence, les autorités turques décident que l'arrêt du Conseil sera imprimé et publié avec avis que l'autorisation à fin d'une exécution immédiate sera sur-le-champ demandée à Constantinople. La foule n'entend à rien elle se réunit en armes à la mosquée, en retire le corps de la victime, et déclare qu'elle ne la laissera enterrer qu'après l'exécution du meurtrier. En vain les commissaires Rhamzi-Effendi et Ahmed-Pacha parcourent la ville en cherchant à y rétablir le calme. L'irritation va croissant. Ils se déterminent alors au parti le plus imprudent: ils cèdent à la pression de leurs fanatiques coreligionnaires et font étrangler le jeune grec. Plus de frein alors aux fureurs de la multitude: elle se rue sur le cadavre de l'assassin encore chargé de ses chaînes, le traîne dans les quartiers habités par les chrétiens jusqu'à ce qu'enfin, Ali-Pacha, commandant les troupes récemment venues de Constantinople, parvienne à leur arracher le supplicié qu'il fait porter à l'hôpital d'où un prêtre le conduit au cimetière.

On conçoit les anxiétés de la population chrétienne durant ces excès du fanatisme musulman qu'un massacre général pouvait suivre. Quelques-uns se retirèrent chez les Consuls ou se tinrent enfermés dans leurs demeures; d'autres prirent des mesures pour émigrer. Toutefois les autorités turques parvinrent à rétablir le calme. Une proclamation signée Ahmed-Pacha, Ramzi Effendi, commissaires de la Porte, et Vély-Eddin-Pacha, le gouverneur inhabile ou malheureux, contribua à rétablir la paix publique. La proclamation annonçait une amnistie, l'exé

cution de tout ce qui avait trait à la religion dans le sens du hatti-humayoun; une sorte d'abolition de la corvée, l'exemption d'impôt sur les vins, brebis, chèvres, etc. Elle niait l'intention du Gouvernement d'imposer de 20 p. 010 proportionnels les propriétés. On demanderait au Gouvernement central l'abolition de la taxe sur la paille. Il aurait à examiner aussi la question des héritages, dans lesquels s'immisçait le cadi Moula Effendi; la question de la répartition de l'impôt de la conscription lui serait également soumise. Enfin, la conduite des receveurs serait l'objet d'une enquête. Cette proclamation datée du 26 mai (7 juin) ressemblait à maints documents de ce genre: elle abondait en bonnes intentions. Cependant la Sublime Porte comprit qu'il fallait enrayer dans cette voie de troubles, d'excès et de meurtres où le fanatisme d'une partie de ses sujets s'était engagé, et où une main à la fois ferme et modérée l'eût peut-être empêchée d'entrer. En conséquence, elle remplaça le gouverneur VélyPacha par Samí-Pacha. Arrivé à la Canée, ce haut fonctionnaire fit lire à la foule, en présence des clergés grec et mahométan, une proclamation qui reproduisait en les affaiblissant les concessions annoncées par les commissaires extraordinaires. La commission des insurgés déclara cette proclamation insuffisante, et ajouta que l'on ne déposerait les armes que devant la confirmation des promesses faites. Sami-Pacha s'exécuta, fit les modifications demandées, qui aussitôt furent lues aux insurgés réunis au nombrede10,000 hommes. Mais Sami-Pacha se ravise au moment de signer, il tient surtout à ce qu'il soit entendu que l'individu qui changera de religion sera, au moins, tenu de quitter le pays. Cette hésitation, cette restriction consterne les chrétiens, et les Turcs fanatiques de profiter de la circonstance pour s'ameuter de nouveau. Dans la nuit du 16 au 17 juillet, ils commencent une fusillade, en faisant croire à de nouvelles démonstrations hostiles de la part des insurgés chrétiens. Les habitants paisibles redoutent un nouveau massacre et fuient. C'est alors que le gouverneur sent que le moment de s'exécuter est venu. Il signe la proclamation modifiée par les insurgés. En somme, c'était, à quelques variantes près, ce que, mieux inspirés que Sami, les commissaires avaient promis. A la fin de juillet, l'île était pres

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